Ding dong. «C’est la soupe! C’est Raphaël!»
Deux fois par semaine depuis le début du confinement, Raphaël enfourche son scooter et sillonne l’«Altitude 100», quartier à cheval sur les communes de Forest et d’Uccle: c’est la «tournée soupe», organisée par l’asbl Bras Dessus Bras Dessous afin de rompre l’isolement des personnes âgées cloîtrées chez elles pour se protéger du virus.
Une petite dame toute frêle, la quatre-vingtaine bien sonnée, pointe le bout de son nez à la porte. «Vous avez bonne mine aujourd’hui!», lui lance Raphaël, l’œil pétillant par-dessus son masque. Et, lui tendant le bocal encore fumant rempli à ras bord de soupe aux chicons ainsi que le sac en tissu bourré de pain, de gâteaux et de fruits, il lâche sa petite feinte du jour: «Il y a une surprise dedans. Mais vous ne pouvez pas l’ouvrir avant que je ne m’en aille.» Puis d’expliquer: «Ou c’est moi qui vais tout engloutir! C’est une boîte de chocolats Neuhaus offerte par la commune de Forest.»
Hormis quelques détours pour un bref coup d’œil aux façades Art déco des environs, la tournée de Raphaël compte une quinzaine d’étapes. Une quinzaine de visites à une quinzaine de personnes «âgées», toutes des dames, de 70 à 98 ans grosso modo. Une mèche de cheveux prestement remise à sa place, une dent manquante vite camouflée derrière un sourire un peu pincé, le ventre rentré et le torse bombé: certaines prennent la pose pour la photo. Et aux plus timides face à l’œil menaçant de l’objectif, Raphaël précise: «Celles qui ne sont pas photogéniques sont celles qui ont bon caractère!» Une plaisanterie par-ci, un compliment par-là, le bénévole au caractère bonhomme s’enquiert des nouvelles de chacune.
«C’est de la soupe aux chicons, je le sais! J’ai mes informateurs!», rit l’une d’elles, nous accueillant sur son palier, distanciation sociale oblige.
Une autre, 86 ans et les yeux aussi bleu-gris qu’un ciel d’hiver sans nuages, se montre moins enjouée: «Je suis seule, seule. Je ne vois plus mes enfants ni mes petits-enfants. C’est dur, le confinement, vous savez.»
«Les chocolats Neuhaus? J’adoooore!», s’écrie une troisième, descendue en short, pantoufles et peignoir dans le hall d’entrée de son immeuble.
«Ça me fait beaucoup de bien ces petites visites, merci beaucoup! Je vis une solitude forcée depuis quelques années», glisse aussi une dame élégamment vêtue, la larme à l’œil. Le sourire vite retrouvé, elle offre à son visiteur bienfaiteur une poignée de Chokotoff et une bouteille de rouge enveloppée dans du papier journal, celui d’un quotidien chinois. «Ça, c’est le détail qui tue dans toute cette histoire de Covid, hein?», s’amuse-t-elle.