Les hommes ploient sous le soleil. Ils avancent lentement dans le vignoble, le long des rangées de vignes vertes. C’est la canicule. Il fait plus de 33 degrés à l’ombre. Celui que l’on surnomme «Aba» s’asperge longuement d’eau puis retourne vers son labeur.
Sous son chapeau de paille, Durgham Naji est en nage. La tâche est difficile pour cet homme musulman, en plein ramadan. Mais il ne se plaint pas. Il se saisit des sarments de vigne et les glisse entre deux fils de fer tirés comme des élastiques tout au long de la parcelle. Il lâche un petit rire discret, un brin ironique: «Le vin, j’apprends à le faire, mais je ne le bois pas.»
La chaleur écrasante qui règne en ce mois de juin donne l’illusion d’un égarement en plein cœur de vignobles du bordelais, ou même du Languedoc. Mais l’espace consacré à la viticulture est trop restreint pour que le paysage colle à ces grandes régions viticoles françaises. Les trois hectares de vignes sont enserrés par les vraies stars du coin: les pommiers et les poiriers, cultures encore dominantes dans la région. Les maisons aux briques rouges ne laissent guère de place au doute. Le bordelais est bien loin d’ici.
La parcelle que nous arpentons aujourd’hui se situe en province de Liège, à Ében-Émael, sur la commune de Bassenge. Les vignes donnent un certain cachet à cette petite colline anodine choisie pour son emplacement stratégique – elle est orientée vers le sud-est, face au soleil –, la qualité de son sol calcaire et son altitude. Cette butte n’est ni trop basse (là où le brouillard givrant printanier pourrait stagner et tuer les bourgeons) ni trop haute (là où l’air devient trop froid). Bientôt les raisins apparaîtront. De ce raisin, un vin rouge naîtra, composé de deux cépages. Du pinotin et du cabernet-cortis.
Les trois travailleurs procèdent en ce mois de juin aux travaux de «relevage». «La vigne est une liane, explique Romain, viticulteur-œnologue aux ‘Vins de Liège’. Il faut la guider vers le haut pour avoir une bonne surface foliaire, ce qui permet d’avoir assez de sucre synthétisé.» La vigne doit pousser droit. Ce sont les «travaux en vert» auxquels s’adonnent les vignerons avant la période d’accalmie du mois d’août. «Nous avons un mois de vacances en été, avant que commencent les vendanges», explique Alec Bol, coordinateur de la société coopérative à finalité sociale «Vin de Liège».
Des vacances pendant lesquelles les quelques employés encore en poste tondront les parcelles et pulvériseront un peu de soufre ou de cuivre, à faible dose (pour la première fois cette année, Vin de Liège expérimente des pulvérisations sans soufre). Ils utiliseront aussi des alternatives à ces produits pas forcément très doux pour l’environnement, comme le terpène d’orange, issu de l’écorce de l’agrume, pour protéger les grains de raisin des champignons agressifs et de maladies, dont la plus connue est le mildiou. Les raisins qu’on cultive ici sont estampillés agriculture biologique. «On croit souvent qu’il n’est pas possible de pulvériser en agriculture biologique, explique Alec Bol, mais le cahier des charges l’autorise, dans certaines proportions. Le respect de l’environnement fait partie intégrante des objectifs que nous poursuivons.»