L’inégalité des chances, ça commence tôt. Souvent dès la naissance. Quand l’enfant naît dans une famille en difficulté sociale ou psychologique où l’on n’a pas le réflexe ou la possibilité de se faire suivre pendant la grossesse et après l’accouchement. À Charleroi, trop de mamans arrivent à la maternité dans une situation précaire tant sur le plan social que sur le plan médical. Et à la sortie, le suivi du bébé n’est pas mieux assuré. Echoline est née de ce constat et le défi est toujours d’actualité.
Quand on évoque la question du suivi des naissances en Belgique, on pense immédiatement aux consultations de l’ONE. Mais l’accompagnement assuré par l’Office de la naissance et de l’enfance connaît un succès variable selon les caractéristiques sociales des populations concernées. Selon la banque de données médico-sociales de l’ONE (2010), le taux de couverture des premiers contacts avec le personnel de l’Office avoisine les 90% à Namur, au Luxembourg et dans le Brabant wallon mais 80% dans le Hainaut et à Liège.
L’asbl Echoline est née de ce constat: pour assurer un vrai accompagnement obstétrical autour de la naissance, il faut revenir aux consultations, au contact direct avec la maman et son bébé, cela afin de prévenir la prématurité mais aussi la maltraitance physique, la négligence, l’absence d’accès aux soins. Echoline est née en 2001, comme une empreinte wallonne d’Aquarelle, cette équipe de sages-femmes au CHU Saint-Pierre à Bruxelles qui depuis 1999 propose un accompagnement global à la naissance pour les femmes qui n’ont pas accès à la sécurité sociale. Un peu d’écoline, un peu d’échographies, de collines de Charleroi et on mixe le tout.
L’équipe est un mélange de sages-femmes et de psychologues qui travaillent en binômes dans les consultations à domicile. «On va chercher les femmes là où elles sont», explique Marie Sorel, psychologue. Beaucoup d’entre elles sont envoyées par l’ONE, le service d’aide à la jeunesse (SAJ) et le service de protection judiciaire (SPJ). Il faut alors établir le lien. Certaines femmes accrochent tout de suite parce qu’elles cherchaient ce type d’aide. Pour d’autres, celles qui viennent par « obligation» parce qu’envoyées par le SPJ, cela prendra plus de temps. Les femmes sont suivies avant et après la naissance. Avant?
Un bébé, ça fait peur
Le domaine d’intervention est vaste. Echoline a formé des groupes, les « bulles » pour les futurs parents, les « cocons » pour les nouveau-nés, les « chenilles » pour ceux qui commencent à se déplacer, les « papillons » pour les enfants qui prennent leur envol avant l’école maternelle.
Echoline apporte aussi une aide matérielle en puériculture (jouets, landaus…) très appréciée. Et l’ONE? C’est un partenaire essentiel d’Echoline mais dans les familles les plus précarisées, l’ONE fait peur. Peur du jugement, peur du contrôle social, du placement de l’enfant. De fait, l’équipe est fort sollicitée pour des situations de négligence qui sont définies comme un manque de soins et de réponses aux besoins primaires de l’enfant (sommeil, alimentation, sécurité, éducation). Cela représente un bon tiers des familles suivies.
L’hygiène aussi est un problème. Manque d’hygiène corporelle comme domestique. Il est vrai que les conditions de logement de certaines familles ne favorisent guère cette attention à la propreté du domicile. Echoline assure un accompagnement à la naissance depuis plus de dix ans à Charleroi mais la situation sociale des familles suivies ne s’améliore pas.
Les familles semblent accumuler de plus en plus de difficultés, résume l’équipe. Le SAJ intervient en effet pour 46% des familles suivies et le SPJ pour 26%. Ces suivis concernent autant les enfants qu’un des parents.
Parent et handicapé mental
Le nombre important de femmes souffrant de troubles psychiatriques et de déficiences mentales interpelle également. L’équipe l’explique par le passage à une pratique d’autonomie plus grande des handicapés mentaux qui sortent des institutions. « C’est très bien en soi mais la dimension de la parentalité a été totalement oubliée. » Quand on demande aux sages-femmes et aux psychologues d’Echoline s’il ne leur arrive pas d’être découragées, les rires fusent. Mais Emilie Querton, psychologue psychomotricienne, reconnaît que «leur travail n’est pas facile » et qu’elles ne « peuvent donner que 10% de ce que les mères ont besoin».
Un sentiment d’impuissance qui s’explique par l’accumulation des problèmes sociaux sur lesquels l’équipe n’a pas ou n’a que peu de prise. Comme le logement. Trop de familles vivent dans des appartements, voire de simples chambres insalubres et inadaptées à la présence d’enfants. Les problèmes se corsent pour celles qui souffrent de troubles mentaux. Il faudrait, dit- on chez Echoline, plus de logements supervisés avec un encadrement assuré par des éducateurs. Et des institutions psychiatriques de jour avec une possibilité d’accompagnement des enfants.
«Il y a un terrible manque d’accompagnement social, note Marie. Le système est trop complexe. Nous travaillons avec le réseau social de Charleroi mais tous les dispositifs sont tellement éclatés. Les services interviennent en cas de crise mais il faudrait un suivi plus permanent. Il faudrait une sorte de parrainage des enfants. C’est peut-être ce qui manque à Echoline. » Et puis, il y a aussi ces décisions politico-budgétaires que les plus précarisés paient comptant. Comme la diminution de la durée du séjour en maternité. «Cela s’est décidé d’une manière très brutale et cela complique notre travail, analyse Florence. Renvoyer les mères après trois jours, cela ne va pas.»
Ce retour précoce ne comporte pas de risque pour la maman et l’enfant s’il est bien encadré. Or ce sont les femmes les plus vulnérables qui ont le plus difficilement accès aux visites des infirmières de l’ONE à domicile. On en revient aux constats de départ, ceux qui ont rendu nécessaire la création d’Echoline et la rendent incontournable aujourd’hui: l’accompagnement à la naissance des familles les plus démunies reste un défi de tous les jours. Et avec lui la lutte contre la reproduction de la pauvreté. « J’essaie d’être une meilleure mère que la mienne», nous expliquait une des mamans suivies par l’association. Quelle meilleure réponse?