La culture nichée au cœur d’un hôpital psychiatrique

La culture nichée au cœur d’un hôpital psychiatrique

Santé

La culture nichée au cœur d’un hôpital psychiatrique

Inscrire la culture comme dimension à part entière d’un institut psychiatrique. C’est le pari un peu fou que s’est lancé l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu à Leuze, en Wallonie picarde, en créant son propre service culturel à destination des personnes hospitalisées. Ni art-thérapie ni «vitrine culturelle», l’Écheveau s’inscrit dans le réseau des artistes en milieu de soins. Et parvient à faire s’entremêler ateliers artistiques, actions de prévention, suivi hors de l’hôpital… Avec un objectif en ligne de mire : briser les murs de l’hôpital psychiatrique et le tabou de la santé mentale.

Clara Van Reeth Images : Patients de l'hôpital Saint-Jean-de-Dieu 21-12-2022

L’avenue de Loudun est une nationale comme on en compte des dizaines en Wallonie. Le long de cette bande de bitume rectiligne qui relie la gare de Leuze-en-Hainaut au «vieux Leuze» se dresse, de l’autre côté d’un large portail coulissant, une chapelle au clocher élancé. Elle est le reliquat de l’époque où, en 1905, l’Ordre hospitalier de Saint-Jean-de-Dieu a élu domicile dans cette petite commune située entre Ath et Tournai pour y ouvrir un hôpital psychiatrique. Géré par les frères, des religieux français, l’hôpital avait tout d’un asile de l’époque, probablement assez proche des représentations hollywoodiennes de la folie qui ont abreuvé notre imaginaire collectif. «Si jamais t’es pas sage, c’est là que tu finiras», à «l’asile de fous»: voilà ce qu’on a longtemps dit dans la région pour désigner l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu. Aujourd’hui encore, quand on parle d’aller au «vieux Leuze», les gens du coin savent ce qu’on entend par-là.

De l’époque des frères, il ne reste aujourd’hui plus grand-chose. En 1976, la gestion de l’institut a été reprise par l’Acis, l’Association chrétienne des institutions sociales et de santé. Hormis la chapelle, un seul bâtiment de l’époque a été conservé: l’Écheveau. L’ancienne cafétéria, située à l’entrée de l’hôpital, a été reconvertie en un «bar à médiation culturelle», devenu le quartier-général du service culturel de l’hôpital. L’Écheveau a d’ailleurs donné son nom au projet, qui le porte bien: un entrelacs de dimensions et d’axes de travail au service d’un objectif commun, la culture. Le projet a achevé de métamorphoser l’identité de cet hôpital psychiatrique, désormais à des années lumières de l’«asile de fous» peuplé de patients isolés, médicamentés, immobilisés.

Laurent Bouchain, le coordinateur de l’Écheveau, remonte pour nous le fil de l’histoire. Le metteur en scène et dramaturge de formation, barbe et cheveux blancs coupés courts, raconte comment tout a commencé, dans les années 90, par des ateliers de théâtre, puis d’écriture, puis de vidéo… «C’est comme ça que, progressivement, la culture a commencé à s’inscrire dans l’hôpital. Le temps passant, la direction m’a proposé un emploi à quart-temps pour étudier la faisabilité d’implanter une véritable orientation culturelle au sein de l’hôpital.»

L’énergie de Laurent Bouchain a croisé la volonté du comité de direction de l’époque. Jean-Philippe Verheye, ancien membre du comité de direction et directeur de l’hôpital depuis 2017, se plaît toujours à raconter, à quelques jours de la retraite, comment la culture «a pris de plus en plus de place au sein de l’institution», au point que «si on laissait faire Laurent, on ne serait plus un hôpital psychiatrique mais un centre culturel», lâche-t-il sur le ton de la blague.

Une «bulle» où l’on fait autre chose

Comme un centre culturel d’ailleurs, l’Écheveau propose des ateliers artistiques aux patients des cinq unités de l’hôpital. Ce mercredi matin, ils sont trois participants à l’atelier de dessin animé par Tom. Qu’à cela ne tienne: l’illustrateur et graveur, une petite trentaine d’années, rassemble sur la table une quinzaine de feutres noirs et un tas de feuilles blanches. Le thème d’aujourd’hui: le portrait. Dans un calme monacal, Léon, Clara et Laura[1] s’appliquent, le dos voûté et les yeux rivés sur leur dessin. Les consignes de Tom se succèdent. Il faut dessiner la personne en face de soi sans jamais lever le feutre de sa feuille. Puis la dessiner sans la quitter des yeux. Ou encore en tenant le feutre à pleine main, comme le ferait un enfant. Chaque consigne provoque son lot de «Oooh» et de «Pfff» chez les trois participants, un sourire en coin, comme pour dire «Je n’y arriverai jamais!»

Pourtant, chacun joue le jeu. Les portraits se multiplient et recouvrent bientôt la table.  Certains sont drôles, d’autres carrément beaux. Tom observe chaque trait, débusque les «tics», émet des conseils pour aborder chaque dessin différemment. Il encourage Clara, qui dessine toujours de petits visages au centre de la feuille, à oser prendre plus de place. A Laura, qui commence systématiquement ses portraits par un rond, il conseille de mieux observer: «Les gens n’ont pas tous la tête ronde, ni tous le même rond».

Silencieuse, un léger sourire aux lèvres, Clara se laisse visiblement gagner par le lâcher-prise que requiert l’exercice. Hospitalisée dans l’unité de la Joncquerelle, dédiée aux comportements dépendants, elle se dit «apaisée» par le dessin et espère «avoir la possibilité de continuer quand [elle sera] dehors.»
Au fil des traits qui noircissent les feuilles, les participants se livrent. Léon surtout a la parlotte. Orthopédiste de profession, il raconte sa passion pour la réparation de bateaux, son rêve de jeunesse de devenir skipper. Avant d’évoquer ses problèmes de boisson, ses tentatives de suicide et cet épisode de crise lors duquel sa mère a fini par l’amener ici. «L’hôpital n’a pas voulu m’hospitaliser car j’étais en crise, c’était une urgence (l’admission à l’hôpital se fait sur base volontaire, NDLR). Mais plus tard, j’ai décidé de revenir et de me faire hospitaliser.»

Face au besoin manifeste de partage de Léon, l’animateur fait montre de réserve. Quand le premier se confie et cherche un échange de regards, le second se penche plutôt sur son dessin. Tom confiera plus tard éviter d’aborder les problèmes personnels durant ses ateliers. «Ils sont déjà dans le « psy » en permanence. Ici, c’est une bulle où l’on fait autre chose, où l’on pense à autre chose. Et puis, parfois, certaines histoires peuvent plomber l’ambiance pour les autres participants.»

[1] Les prénoms des personnes hospitalisées ont été modifiés

Casser les barrières

L’atelier terminé, chaque participant rejoint son unité. A l’époque des religieux et jusqu’à récemment, l’organisation spatiale de l’hôpital était fortement centralisée. Aujourd’hui, les différentes «ailes» de l’institution sont disséminées et reliées entre elles par de larges parcelles de pelouse. Quand il ne pleut pas comme aujourd’hui, les patients passent le temps en s’y promenant.

Légèrement en retrait se trouve un jardin paysager, où sont parfois organisées des activités culturelles – comme ce trio à cordes venu se produire en concert, quelques semaines plus tôt. Plus loin, enclavé entre deux bâtiments, un lopin de terre accueille du «land art». Autant de preuves, pour Laurent Bouchain, du caractère «transversal» de la culture en général et de son projet en particulier.

Le coordinateur de l’Écheveau poursuit son tour du propriétaire, un trousseau de clés digne de Passe-Partout à la main. Ici, l’atelier d’Isabelle, l’animatrice qui travaille sur le «bas seuil culturel» et dans lequel cohabitent des chats en frigolite recouverts de peinture, des plaques recouvertes de mosaïques et autres collages. Là, l’atelier alpha où des participants se familiarisent avec les bases de la langue française.

Dans les couloirs, des tableaux de patients parsèment les murs et égaient du mieux qu’ils le peuvent les lieux un brin décatis. Derrière une porte couleur vert pomme, la bibliothèque. Si celle-ci a toujours existé, elle n’abritait jusqu’il y a peu qu’un catalogue restreint et radicalement « genré »: la collection « Nous Deux » de livres à l’eau de rose et des livres sur la guerre. «On a décidé qu’il nous fallait une vraie bibliothèque, où toutes les sections soient représentées, explique Laurent Bouchain. Évidemment ça représente des financements. Ça a été un choix politique de la direction de mettre de l’argent là-dedans»

Plus globalement, face au choix de l’hôpital d’investir financièrement dans la culture, la pilule a parfois été difficile à avaler, du côté des soignants notamment. «Au départ, les unités de soin nous sont beaucoup questionnés en disant: « C’est de l’argent qui pourrait nous revenir pour soigner les patients ». Mais aujourd’hui, ce n’est plus un problème. La culture a toute sa place dans l’hôpital», assure Jean-Philippe Verheye.

Effets bénéfiques : de « l’hypothèse » à la « réalité ancrée »

Au rez-de-chaussée d’un énième bâtiment, Laurent ouvre soudain la porte sur une grande salle lumineuse, entièrement vide à l’exception d’une scène surélevée, coiffée d’une rampe de projecteurs et d’enceintes. Bref, de quoi accueillir des spectacles… Comme un vrai centre culturel. C’est ici, notamment, que se joue une autre dimension importante du projet, ce que le coordinateur de l’Écheveau nomme l’axe « préventif »: «En santé mentale, une grosse problématique concerne la difficulté qu’ont beaucoup de personnes à nommer leur mal-être ou maladie. Et la société est toujours bercée de représentations très stigmatisantes sur l’hôpital psychiatrique. Notre pari est de se dire que si on fait venir un public extérieur au sein de l’hôpital – pour participer à un évènement festif, toujours à vocation culturelle – cela pourrait réduire les peurs et les préjugés, et favoriser le fait que les gens osent venir ici si, un jour, ils ont vraiment un problème.»

Régulièrement, l’Écheveau invite donc des opérateurs culturels à s’approprier l’espace hospitalier le temps d’une pièce de théâtre, d’un concert ou d’une exposition. Résultat de cette dynamique visant à «casser les barrières»: «Dans la ville de Leuze, l’hôpital est beaucoup plus connu maintenant, du fait de cette intégration culturelle, appuie le directeur. Cela offre aux habitants une autre vue que celle de l’hôpital psychiatrique de type asilaire. Ça déstigmatise les problèmes de santé mentale, et c’est très positif.»

Mais à quel point passer la porte d’un hôpital psychiatrique reste-t-il une étape difficile à franchir ? Pour Clara, la participante à l’atelier de dessin du matin, «c’était un grand pas, une punition même». Pour Laura, «une honte» carrément. Mais toutes deux ont déjà revu leur jugement sur l’hôpital, notamment grâce aux activités culturelles proposées. «Elles m’ont appris à mieux me connaitre», confie la première. «Moi, à être plus sociable», ajoute la seconde.
L’Écheveau se revendique pourtant comme un «endroit non-thérapeutique». A plusieurs reprises, Laurent Bouchain insiste: «Nous ne nous inscrivons absolument pas dans la mouvance de l’art-thérapie. Nous sommes des « artistes en milieu de soin »: il n’y a pas d’axe thérapeutique dans notre travail. Les ateliers que les artistes donnent ici sont exactement les mêmes que ceux qu’ils donnent pour le tout public, hors de l’hôpital. Certes, ce public est différent, mais tous les publics le sont à leur manière.»

Il n’empêche, si le projet s’est maintenu et a pris tant d’ampleur au fil des ans, il doit bien y avoir des effets bénéfiques – thérapeutiques – pour les personnes en souffrance mentale ? Au départ de l’ordre de l’«hypothèse», de la «croyance», ces bienfaits sont rapidement devenus des «réalités ancrées, soudées, démontrées», confirme Laurent Bouchain. «Nos patients ont besoin d’être ramenés du côté de la vie, ajoute Jean-Philippe Verheye. Et les artistes incarnent cette vitalité. La culture est une ouverture majeure, accessible et non discriminante pour les personnes qui ont un problème de santé mentale.»

Bien sûr, tout le monde n’y trouve pas chaussure à son pied. Sur une capacité totale de 133 lits, un tiers environ des patients participe aux activités de l’Écheveau. «Mais même si ce n’est qu’une minorité qui accroche à la culture, ça reste important. Car bien souvent, ce lien continue après leur hospitalisation», conclut le directeur.

Brouhaha et café chaud

Il est midi. Christine avale son sandwich dans la cuisine de l’Écheveau, tout en passant en revue les livres qu’elle a soigneusement sélectionnés pour son atelier. L’animatrice, fonctionnaire à la province du Hainaut, anime ponctuellement des ateliers à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu depuis sept ans. Aujourd’hui, elle se rend dans une unité de l’hôpital peu visible et dont les portes nous resteront d’ailleurs fermées: le Mesnil. Une unité pour personnes avec double diagnostic – un handicap couplé à un trouble de la santé mentale.

Si Laurent Bouchain met volontiers l’accent sur le fait que les «personnes en burn-out, en dépression, avec une bipolarité, une psychose ou des problématiques neurologiques n’impliquent aucune différence dans l’approche artistique proposée, par rapport à des personnes en dehors de l’hôpital», au Mesnil, c’est une autre histoire.
Pour son atelier de lecture, Christine a dû jongler avec «plusieurs contraintes»: «La taille des livres (des A3, pour qu’ils voient tous les images), le choix de livres, qui ne soient pas trop effrayants… Il faut bien se dire que ce sont des adultes qui ont un âge mental entre trois et six ans. Certaines savent lire, d’autres pas. Certains marchent, d’autres pas. Certains sont violents, d’autres pas.» Au Mesnil, le mobilier est scellé aux murs car s’ils ont six ans d’âge mental, les patients ont aussi la force physique d’adultes. Alors pour Christine, aujourd’hui, la culture se résumera à «créer du lien». «Je m’accroupis en face d’eux, je les regarde dans les yeux. Mon but, c’est de leur apporter un peu de joie, du bien-être. En dehors de ce que leur propose l’Écheveau, ces gens sont oubliés, invisibles, parce qu’ils font peur.»

Alors que l’animatrice ramasse les dernières miettes de son sandwich et rassemble ses affaires, Tom, l’animateur de dessin, se prépare à rejoindre le bar de l’Écheveau, dont il assure la permanence cet après-midi. Une tâche que les sept employés du service culturel se partagent en alternance.
Direction donc l’ancienne cafétéria de l’hôpital – désormais baptisée «bar à médiation culturelle» ou «bar social». A 13 heures tapantes, heure d’ouverture, une douzaine de patients attendent déjà devant la porte. Tom allume le poste de radio, la file s’engouffre à l’intérieur, chacun enlève son manteau; et la salle, d’apparence plutôt anodine, s’emplit soudain d’un brouhaha qui lui donne des allures de troquet du coin – l’alcool en moins. Les allers-retours au comptoir se multiplient, la machine à café carbure. Sur le comptoir du bar, l’agenda de l’Écheveau est là pour inciter tout un chacun à jeter un œil aux activités culturelles du mois. Juste à côté, le listing pour s’y inscrire.

A certaines tables, les conversations vont bon train. A d’autres, quelques personnes partagent simplement un bout de silence. Un homme à la large carrure est avachi sur sa chaise, paraissant presque endormi. «Les médicaments qu’ils prennent ici créent de gros états de fatigue et notamment des problèmes de mémoire, glisse Tom entre deux cappuccinos. Les gens s’inscrivent aux ateliers, puis ils oublient.» Les trois participants de l’atelier de ce matin auraient d’ailleurs dû être huit, à en croire le registre d’inscription.

La somnolence et les trous de mémoire, Willy les a bien connus. Hospitalisé après 14 ans de lutte contre l’alcoolisme, il se souvient encore des effets de son sevrage au valium les dix premiers jours de son internement, de cet état de coton permanent. «Après mon arrivée ici, je m’étais complètement replié sur moi-même. Un jour, l’assistante sociale du service m’a mis en contact avec Laurent, qui m’a donné la chance de me réintégrer dans une vie normale, confie le sexagénaire, le visage marqué, attablé à l’écart de l’agitation. Avec l’Écheveau, j’ai appris à changer mes habitudes, à remplir mes journées autrement. Avant je ne faisais que boire, alors forcément mes journées étaient « bien » remplies. J’ai dû prendre de nouveaux repères, me prouver à moi-même que j’étais capable de faire autre chose.»

S’il n’avait aucune affinité particulière avec la culture avant son hospitalisation – «chef d’équipe dans une usine pétrochimique, mon boulot c’était ma vie» – Willy continue aujourd’hui à fréquenter des expositions et à s’adonner à la lecture. Surtout, depuis qu’il a quitté l’hôpital il y a un an et demi, il officie désormais en tant que bénévole à la bibliothèque de l’hôpital. «Pour aider les gens, avec un mot ou avec un livre. Et pour rester en contact avec le personnel.»

Des petits pas

Accompagner les gens après leur sortie de l’hôpital pour leur permettre de continuer leur «chemin culturel», c’est encore un autre « fil » du projet de l’Écheveau. Car Laurent Bouchain a une autre casquette: il est aussi référent culturel pour la région du Hainaut au sein du projet 107 (la réforme belge des soins de santé mentale qui mise sur le développement de l’offre communautaire, en s’appuyant notamment sur des équipes mobiles qui assurent le traitement de problèmes psychiatriques au domicile de la personne). A ce titre, il mène régulièrement des «accompagnements culturels» à l’extérieur, pour permettre à d’anciens patients «de maintenir un lien avec la culture et de se maintenir hors de l’hôpital».

Un lundi de décembre, à 9 heures du matin: alors qu’une première neige s’accroche fragilement aux trottoirs et aux capots des voitures, Laurent franchit le seuil de la maison de Florence, dans la région de Mons. Enveloppée dans un large châle mauve, cette dame aux cheveux courts et au large sourire l’accueille sans chichis. Laurent et Florence se connaissent bien, depuis le temps. Leur première rencontre remonte à 2015. Alors qu’elle lutte contre plusieurs addictions, «un mode de vie basé sur la défonce» selon ses propres mots, Florence est suivie par un psychiatre de l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu. Un jour, elle lui fait part de ses pensées suicidaires et réclame, en désespoir de cause, d’être internée. Bien inspiré, le psychiatre refuse, arguant des progrès réalisés par Florence et des risques que ferait peser une hospitalisation sur son indépendance; il lui propose plutôt un suivi à domicile dans le cadre du projet 107.

«Au début, deux femmes venaient chez moi: une assistante sociale et une aide-soignante. En découvrant que j’avais un parcours artistique et une fibre créative, elles ont proposé de me mettre en lien avec Laurent.» Depuis, une relation sincère s’est nouée entre eux deux, faite de sorties culturelles, de discussions autour des intérêts artistiques de Florence et d’un travail de fond sur la motivation. «Laurent, c’est une lanterne», résume Florence. Et son visage s’illumine.

La quinquagénaire s’exprime pleine de joie, de vitalité. Mais au fil de ses phrases parfois décousues, inachevées, on devine aussi les démons avec lesquels elle lutte. Un torrent d’envies créatrices qui ne se concrétisent pas toujours et abiment l’estime de soi.
«On a appris à faire des petits pas, explique Laurent assis à côté de Florence, qui opine du chef. Elle avait tendance à se fixer des objectifs trop ambitieux, puis était paralysée et ne faisait rien. Les petits pas ont permis d’éviter cet effet castrateur.»

Leur entretien mensuel prend plutôt la forme d’un échange informel. Aujourd’hui, Laurent lui demande où en sont ses projets d’écriture. Il la questionne sur ce dont elle manque, en ce moment, d’un point de vue créatif. Lui suggère des noms de personnes ressources, de lieux à contacter.
«Les équipes mobiles s’inscrivent dans une temporalité de trois mois. Mais dans ma fonction de référent culturel, je peux continuer à voir les personnes pendant plusieurs années. Ici, avec Florence, ça fait sept ans.» Et en 2023, leur relation se poursuivra. En fin d’entretien, Laurent et Florence fixent leur prochain rendez-vous de janvier. Puis, dans le jour qui se lève et sous une fine pluie de flocons, Laurent Bouchain repart, la « lanterne de la culture » toujours à la main.

Clara Van Reeth

Clara Van Reeth

Journaliste et contact freelances, stagiaires et partenariats