La fabrique d’espoir

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Emploi/formation

La fabrique d’espoir

38 villages, 11.500 habitants et… près de 500 chômeurs de longue durée. Comme beaucoup d’autres endroits en France, le «territoire du Pays de Colombey et du Sud Toulois» n’a pas été épargné par la disparition de quelques employeurs de taille. Aujourd’hui, l’entité joue son va-tout. Elle fait partie de l’expérimentation «Territoires zéro chômeur de longue durée», menée sur dix territoires français. But de l’opération: viser l’«exhaustivité» et engager le maximum de chômeurs longue durée au sein de «La Fabrique», une «entreprise à but d’emploi». Rencontre avec les hommes et les femmes qui portent ce projet, entre un air de «cigar box guitar» et une bouchée de jarret de porc.

Julien Winkel Images : Julien Winkel ; La Fabrique 10-08-2017
La fabrique d’espoir

En Meurthe-et-Moselle, un petit territoire d’irréductibles tente de résister au chômage de longue durée. Pour ce faire, une «entreprise à but d’emploi» a été créée sur son sol. Sa mission est simple: engager la majeure partie des demandeurs d’emploi au chômage depuis plus d’un an dans les 38 villages des alentours. Et créer une activité économique à partir de ce qu’ils savent faire. Portrait d’un projet qui se construit «en se cassant la gueule vers l’avant».

«Voilà votre jarret de porc. Vot’ boisson, vous la voulez su’l table?»

«Pardon?»

«Vous voulez du vin ou vous allez continuer à la bière?»

«Euh, non non, je vais rester sur la bière que j’ai commandée au comptoir, merci…»

Il n’y a pas grand monde dans la salle à manger de l’Auberge de Lorraine en cette soirée de fin juin. Du coup, les quelques tables garnies de nappes en papier rouge tirent un peu la gueule, tapies dans la pénombre. Malgré l’ampoule qui brille au plafond, la lumière peine à s’imposer. Il faut dire qu’au-dehors, de gros nuages s’amoncellent, annonciateurs d’une pluie que tout le monde semble attendre après les fortes chaleurs des jours précédents.

Au comptoir, par contre, c’est une autre histoire. Quelques Hollandais bruyants s’occupent de mettre l’ambiance dans cet établissement de Colombey-les-Belles, un des 38 villages pour 11.500 habitants du «territoire du Pays de Colombey et du Sud Toulois», situé en Meurthe-et-Moselle, près de Nancy. Pour certains, les vacances ont visiblement déjà commencé. Et la bière coule à flots. Ce soir, les ressortissants d’outre-Moerdijk se contenteront de Kronenbourg. Mais, qui sait, l’année prochaine ils se rafraîchiront peut-être le gosier à coups d’une bière locale composée de malt en provenance d’un des rejetons de «La Fabrique», l’«entreprise à but d’emploi» qui a vu le jour à quelques kilomètres de là, à Bulligny.

Voilà six mois que «La Fabrique» a officiellement posé ses valises dans de grands hangars entourés de champs. Les lieux étaient occupés jusqu’il y a peu par Turbull’ance», une «coopérative d’intérêt collectif» à qui l’on doit l’organisation annuelle du «Jardin du Michel», un festival musical d’importance dans la région. Aujourd’hui, «Turbull’ance» a déménagé à Toul et ce sont les 25 travailleurs de «La Fabrique» qui ont pris possession des lieux. «Quand nous sommes arrivés, nous n’avions rien, même pas un stylo. Quand on avait besoin de peinture, notre directeur nous répondait ‘T’as été voir du côté de la déchetterie?’», se souvient Philippe, un des neuf employés à avoir participé aux débuts de l’aventure. Pour beaucoup, le simple fait d’être là signifiait pourtant déjà énormément. Et pour cause: tous les travailleurs de l’entreprise à but d’emploi étaient chômeurs de longue durée – au moins un an d’inoccupation – avant de se lancer dans l’aventure. Aujourd’hui, ils sont en CDI «à temps choisi», payés au SMIC (1.153 euros) certes, mais avec «l’espoir de faire la société autrement», d’après Philippe.

L’emploi comme un droit

«La Fabrique» fait partie d’une expérimentation plus large, menée sur dix territoires français pour cinq ans. Le principe de base est simple: il s’agit de considérer l’emploi comme un droit. Et de prouver qu’il est humainement et économiquement possible de supprimer le chômage de longue durée à l’échelle des territoires.

«Il y a trois fondements à notre projet, explique Patrick Valentin, l’initiateur de l’expérience ‘Territoires zéro chômeur longue durée’ sur l’ensemble de la France. Un: personne n’est inemployable pour peu qu’on lui donne un travail adapté à ses compétences. Deux: ce n’est pas le travail qui manque, c’est l’emploi. Il reste beaucoup de travail utile à faire, plus qu’il n’y a de chômeurs de longue durée. Et trois: ce n’est pas l’argent qui manque non plus. Chaque année, la privation d’emploi – NDLR, le chômage – entraîne beaucoup de dépenses et de manque à gagner alors qu’elle génère une souffrance et que les extrêmes ne cessent dès lors de monter.»

Pour venir démontrer cette théorie, des «entreprises à but d’emploi» sont donc créées au sein des territoires participant à l’expérimentation. Leur fonctionnement a quelque chose de révolutionnaire: il ne s’agit pas d’engager des personnes «privées d’emploi» censées s’acquitter de tâches définies dans un plan d’affaires préexistant à l’entreprise. Mais bien de partir des compétences des futurs travailleurs afin de déterminer quelle activité pourrait être développée en accord avec les besoins du territoire. Le tout sans venir tailler des croupières aux acteurs économiques déjà présents.

Pour soutenir les entreprises émergentes, un Fonds d’expérimentation territoriale a été créé par une loi et un décret votés courant 2016. Doté de 15 millions d’euros en provenance de l’État pour 2017, ce Fonds a pour objectif de financer les emplois des entreprises à but d’emploi pour un montant de 18.000 euros par personne. Pour 2017, il a fallu que l’État français mette la main au portefeuille. Mais pour 2018 et les années suivantes, une autre solution se profile. Les montants «économisés» sur le chômage ou le RSA (revenu de solidarité active) – les privés d’emploi sont au travail et ne «coûtent» donc plus à la collectivité – devraient alimenter le Fonds. Et permettraient à l’État de ne plus le faire directement. «J’ai bientôt un rendez-vous avec l’Unédic – l’association chargée de la gestion de l’assurance chômage – à ce sujet», explique d’ailleurs Patrick Valentin.

«Ce sera pour les extraterrestres»

Petit retour dans le passé. Nous sommes quelques heures avant l’épisode de l’Auberge de Lorraine. Le jarret de porc est encore au frigo. Et les travailleurs de «La Fabrique» sont au taquet. Dans quelques jours, le Tour de France passera dans le coin. Une occasion en or de faire connaître l’entreprise et le projet «Territoires zéro chômeur longue durée». Philippe et Linda, une autre travailleuse, sont occupés à peindre de grandes pancartes «Territoires chômeurs longue durée». But de l’opération: les coucher dans un champ voisin. «Ah, ça, c’est super, s’exclame Aurélie Mathelin, chef de projet à La Fabrique. J’ai pris contact avec France 2 pour savoir si l’hélicoptère du tour pouvait faire un plan dessus. J’espère que ça va fonctionner.» «Si c’est pas l’hélicoptère, ce sera pour les extraterrestres», se marre Jean-Michel, un troisième employé.

Autour d’eux, le hangar dans lequel s’est installée l’entreprise déploie ses immenses volumes, déjà bien occupés. Tout au long de grands rayonnages s’empilent une multitude d’objets allant du service à thé à l’orgue Hammond, en passant par les vélos en tous genres. Au loin, on peut entendre des coups de marteau, le bruit d’une scie électrique. Sur pied depuis à peine six mois, La Fabrique est néanmoins déjà active dans un grand nombre d’activités: le bûcheronnage, le maraîchage (avec également du travail dans les vignobles), le service aux entreprises, le bâtiment, un rôle d’animateur de lien social et une recyclerie qui explique l’accumulation d’objets divers. Certaines activités rapportent déjà de l’argent. Mais beaucoup d’autres sont encore en construction, comme la recyclerie. «Nous avons un travailleur en poste à la déchetterie. Il sélectionne les objets récupérables, explique Aurélie Mathelin. À terme, l’idée est de créer un magasin.» Tout cela prend bien sûr du temps. D’autant que «La Fabrique» est partie de rien. «C’est en janvier 2017, alors que le projet débutait, que les problèmes ont commencé», raconte Philippe Parmentier, maire de la commune d’Ochey et président de la Communauté de communes du Pays de Colombey et du Sud Toulois.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, l’État français avait prévu des textes législatifs pour encadrer l’expérience. Il avait aussi prévu un Fonds d’expérimentation censé financer les postes de travail. Par contre, rien n’était planifié en termes de mise de départ pour la trésorerie des structures, les investissements de base… «Cela paraissait tellement évident que rien n’avait été prévu», ironise Philippe Parmentier. Du coup, ce sont les travailleurs qui pallient le manque de matériel, en fournissant tout ce qu’ils peuvent. Avant qu’une solution ne soit finalement trouvée. De l’argent est mis sur la table «suite à une vidéoconférence avec Myriam El Khomri», la ministre du Travail et de l’Emploi de l’époque, d’après Aurélie Mathelin. Il a aussi fallu une mobilisation de tous les acteurs du projet. Ce qui tombe bien: le territoire du Pays de Colombey et du Sud Toulois n’a pas attendu 2017 pour se bouger. Il est en mouvement depuis 2014. À cette époque, ATD Quart Monde est venu prêter main-forte à Patrick Valentin afin de «pousser» son projet de «Territoires zéro chômeur longue durée». Le mouvement cherche des territoires volontaires. Le tout pour faire nombre et amener à la rédaction d’une loi, celle de 2016.

«J’ai d’abord entendu parler du projet et j’ai trouvé ça un peu utopique, concède Philippe Parmentier. Puis j’ai rencontré Denys Cordonnier, représentant d’ATD Quart Monde pour la Meurthe-et-Moselle. Et je me suis dit que tenter de sortir les demandeurs d’emploi de la panade, cela valait le coup. Ce projet, ce n’est pas LA solution, mais on a la chance de pouvoir expérimenter autre chose. Ce serait bête de ne pas essayer parce que ça paraît utopique.»

 

Le travail, un tabou

Pour impliquer tout le monde, il faut commencer par convaincre les délégués des différentes communes des territoires, mobiliser les élus. Puis les entreprises. «Elles n’étaient pas contre, mais très surprises, dubitatives, raconte Philippe Parmentier. Cela dit, il n’y avait pas de crainte de concurrence déloyale, car nous les avions intégrées à un comité stratégique censé encadrer l’expérimentation. Et l’activité des entreprises à but d’emploi est censée ne pas concurrencer les autres entreprises puisqu’elles explorent des niches non exploitées.» Le seul secteur à pinailler est celui de l’économie sociale. Il faut dire que la philosophie du projet se rapproche grandement de celui de l’ESS. D’autant plus que, d’après la loi qui viendra en 2018, les entreprises à but d’emploi sont censées prendre un statut d’économie sociale… Dès le début, il faut donc «informer, intégrer» les différents acteurs au projet. Ce qui inclut, aussi et surtout, les demandeurs d’emploi. Plus de vingt «réunions de proximité» sont organisées afin de les impliquer. Et ça marche: très vite, les «privés de travail» accrochent.

Jean-Michel a 47 ans. «Ancien salarié, chef d’entreprise, artisan dans le domaine de la production de films de communication», il s’est retrouvé au RSA fin 2014. Courant 2015, il reçoit un courrier dans sa boîte aux lettres pour une «réunion de mobilisation». «À la lecture du courrier, je me suis dit que c’était quelque chose qui avait l’air concret, susceptible de répondre au chômage de longue durée», raconte-t-il. Comme tous les travailleurs que nous avons pu rencontrer, Jean-Michel pointe les effets de l’inoccupation sur le moral des troupes, la perception de soi-même.

«Tous les membres de la famille en souffrent, témoigne-t-il. Le travail devient un sujet tabou, on est sur ‘pause’, complètement. Et lors d’un entretien d’embauche, cette période d’inactivité est inévitablement pointée du doigt. On peut l’expliquer, bien sûr, mais c’est vu comme un handicap.»

Dans ce contexte, la philosophie du projet Territoires zéro chômeur longue durée lui parle tout de suite. Partir du savoir-faire des demandeurs d’emploi, voilà qui a de quoi séduire et décomplexer. Pourtant, Jean-Michel hésite. «J’avais fait des bilans de compétences, des formations, des entretiens d’embauche, mais j’étais toujours sur la touche. Et là on me demandait de dire ce que je savais faire, de proposer des activités utiles au territoire. J’avais envie d’appeler, mais j’avais l’impression que je n’avais rien à proposer.» D’après Aurélie Mathelin, ce type de réaction est monnaie courante chez les «privés d’emploi». «Dans un premier temps, ils disent souvent qu’ils n’ont rien à offrir. Et puis en les poussant, en grattant, on se rend compte qu’ils peuvent beaucoup.»

Jean-Michel passe donc finalement le cap. Et crée une association, «Les Tailleurs de bouleaux», avec d’autres demandeurs d’emploi. Son objectif est double. Un: servir de relais aux «privés d’emploi» qui hésiteraient à s’engager dans le projet. «Nous savions que d’autres que nous allaient connaître les mêmes hésitations. Nous voulions les épauler parce qu’après six mois, nous sentions que ce sentiment disparaissait, nous prenions confiance en nous», explique Jean-Michel. Deux: l’objectif du groupe est aussi de permettre aux demandeurs d’emploi de rester au contact du projet. Une mission qui sera apparemment amplement réussie puisque «Les Tailleurs de bouleaux» deviennent une des chevilles ouvrières de l’initiative sur le territoire. Ils aident ainsi Philippe Parmentier dans son travail de persuasion dans le coin. Au niveau local, le projet prend. Au niveau national aussi: en novembre 2016, après le vote de la loi, le territoire du Pays de Colombey et du Sud Toulois est désigné comme l’un des dix territoires faisant partie de l’expérimentation.

500 chômeurs dans les bois

Aujourd’hui, «La Fabrique» compte donc 25 travailleurs et travailleuses. Le comité stratégique des débuts a mué: il est devenu le «comité local» (voir encadré), du nom de la structure qui est censée animer le projet pour chaque territoire suite au vote de la loi. «Son rôle est notamment de recenser les travaux utiles sur le territoire et de s’assurer de leur non-concurrence avec ce qui existe déjà», précise Aurélie Mathelin. Un vrai challenge, parfois, si l’on en croit la jeune femme. Aujourd’hui, elle doit d’ailleurs prendre son bâton de pèlerin pour aller discuter avec un marchand de bois inquiet. «Il y a 500 chômeurs sur le territoire, explique Gérard, un travailleur de La Fabrique. Alors ils s’imaginent fatalement 500 chômeurs dans les bois; ça leur fait peur.»

Cette phrase souligne l’une des autres spécificités des Territoires zéro chômeur longue durée: l’exhaustivité. Idéalement, le projet – via le comité local – est censé aller chercher tous les demandeurs d’emploi longue durée du territoire et leur donner le choix d’adhérer au projet. Une gageure. D’après Guirec Kerambrun, directeur de La Fabrique, l’entreprise devrait donc engager environ 300 travailleurs et travailleuses si on décompte celles et ceux qui pourraient ne pas se montrer intéressés. En six mois, elle est d’ailleurs déjà passée de neuf à 25 travailleurs. Et cela ne devrait pas s’arrêter. «Au début, nous nous étions fixé 100 engagements pour la première année. Aujourd’hui, nous nous situons plutôt du côté de 50», explique Geneviève. Âgée de 55 ans, cette «ancienne cadre» membre des Tailleurs de bouleaux était sans emploi depuis quatre ans lorsqu’elle a fait le choix de rejoindre La Fabrique. Elle gagne aujourd’hui un peu plus de 1.000 euros contre 3.000 auparavant, mais elle se dit «contente».

«Pourquoi un demandeur d’emploi de longue durée n’aurait-il pas le droit de faire ce qu’il veut? lâche-t-elle. Au début, les gens se posaient des questions sur l’entreprise. Mais aujourd’hui elle fonctionne, on ne peut plus dire que l’on est des utopistes. Ici, il y a de la bienveillance, on prend soin les uns des autres. Et puis il n’y a pas d’enjeu de salaire puisqu’on est payés au SMIC…»

Le travail de Geneviève est avant tout administratif. Elle s’occupe notamment des ressources humaines. «Toute la difficulté de notre travail est de rencontrer tout le monde et de leur trouver une activité. Mon boulot consiste notamment à imaginer comment leur proposition devient une réalité dans La Fabrique. On tripote avec ça, on fait de la haute couture.» Geneviève insiste sur ce point: dans l’idéal, il s’agit de trouver du travail pour tout le monde. «Il FAUT les engager», souligne-t-elle.

Philippe et ses cigar box guitars

L’objectif est énorme et pose de nombreuses questions. Toutes ces personnes auront-elles une activité intéressante à proposer? Celle-ci sera-t-elle «réaliste»? La structure ne risque-t-elle pas de se perdre en grandissant trop vite? Et qu’en est-il de la viabilité économique du projet? Autant d’interrogations qui traversent l’équipe. Philippe était «auto-entrepreneur» menuisier jusqu’à il y a peu. Il confectionnait notamment des «cigar box guitars», du nom de ces guitares bricolées à l’aide de boîtes à cigares aux balbutiements du blues. Il s’occupe maintenant de la recyclerie de «La Fabrique». L’homme est un convaincu du projet. Il fait lui aussi partie des «Tailleurs de bouleaux». Cela ne l’empêche pas de se poser des questions. «Il y a peu, il y a un pilote de drone qui s’est proposé. Il y a des débouchés pour cela. Mais, pour l’instant, on ne lui a pas encore donné d’emploi. On a fait des calculs de rentabilité… D’un autre côté, est-ce que le projet n’est pas un peu trop utopique? On ferait quoi si un astronaute se présentait? Là on a quatre ou cinq activités, ça va. Mais si on arrive à dix activités, Guirec va exploser», se marre-t-il.

 

 

 

 

Du côté de Guirec Kerambrun, justement, on n’élude pas les enjeux.

«Pour moi, l’écueil absolu serait d’engager tout le monde pour finir par se rendre compte que cette embauche ne se concrétise pas par un emploi réel, admet-il. Il faut qu’il y ait du boulot derrière. Le piège serait de tomber dans l’occupationnel et le trivial.»

Pour La Fabrique, le défi est donc réel: combiner le développement d’activités issues du savoir-faire des demandeurs d’emploi tout en composant avec les enjeux de pérennité des entreprises «normales». «Ce n’est pas une réflexion classique, sourit Guirec Kerambrun. Ce projet n’avance que par ce déséquilibre généré par le fait que nous partons du savoir-faire des travailleurs et pas de l’inverse. J’accompagne un projet qui se construit en même temps qu’il avance, en se cassant la gueule vers l’avant. C’est assez déstabilisant, nous défrichons le terrain, il faut accepter l’incertitude…»

Malgré cette position parfois inconfortable, La Fabrique a des projets plein les cartons. On parle ainsi de la création d’antennes développant le même type d’activités en d’autres endroits du territoire. Et de développement économique. Le but des entreprises à but d’emploi (EBE) est dans un premier temps de jouer le rôle «d’amortisseurs», affirme Guirec Kerambrun. Si la situation économique se détériore, leurs effectifs sont appelés à augmenter. Si la situation s’améliore, ils diminueront. Cela dit, il se peut aussi qu’à moyen terme les «EBE» deviennent totalement pérennes et se détachent de l’expérimentation. «Il ne s’agit pas que de social, explique Philippe Parmentier. C’est aussi une question de développement économique du territoire.»

En guise de preuve, une miellerie, une malterie ou une structure fabriquant des matelas en laine, fournie par les moutons du coin pourraient aussi bientôt voir le jour. Le tout sous la forme de coopératives. Ici, on ne partirait donc plus du savoir-faire des demandeurs d’emploi, mais bien des ressources locales. À charge ensuite pour les structures de trouver des demandeurs d’emploi longue durée pour s’acquitter des tâches créées. Ou de les former. Détail intéressant: ces structures auraient pour objectif de devenir indépendantes de La Fabrique d’un point de vue juridique. Elles pourraient néanmoins continuer à partager des liens avec elle, notamment en lui sous-traitant la gestion des ressources humaines.

Au vu de ce programme, les cinq années à venir avant la fin de l’expérimentation seront donc chargées. L’enjeu est de taille. Et le temps presse. «On a déjà bouffé presque 10% du temps prévu à lancer La Fabrique, il ne faut plus traîner, note Philippe. Mais si à la fin des cinq ans on arrive à faire la démonstration que des activités ont pu devenir rentables, on aura réussi.» Philippe Parmentier, lui, se veut volontariste. «Il ne faut pas avoir peur de se planter. Les plus belles réussites sont les plus difficiles. Il est clair que nous courons plusieurs lièvres à la fois, mais il y a un momentum, il faut tous les attraper.» D’autant plus que, symboliquement aussi, l’enjeu est énorme pour toutes les personnes impliquées.

«À long terme, c’est tout un pays qui peut changer si un jour l’exclusion liée au chômage de longue durée n’existe plus, se confie Jean-Michel. On parviendra peut-être alors à extraire ce mal qui fait souffrir beaucoup de monde.»

Le comité local est composé notamment:

          de représentants institutionnels (État, Région Grand Est, Conseil départemental, Communauté des communes, Pôle emploi, mission locale,…);

          de représentants des employeurs et des entreprises;

          de représentants des salariés et des «privés d’emploi» (syndicats, association «Les Tailleurs de bouleaux»).

 

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste