Depuis, Jean-Loup Lemaire est devenu un personnage plutôt médiatique. Ce matin même, il avait rendez-vous avec des journalistes de Libé. En mars, un reportage de 18 minutes consacré à la Tente des Glaneurs sera diffusé sur TF1. Élu du conseil de quartier de Wazemmes, l’homme participe aussi tous les jeudis aux débats sur la loi anti-gaspillage à l’Assemblée nationale. Il lui arrive aussi d’intervenir au sein des institutions européennes, sans compter les colloques et manifestations divers auxquels il prend part. «Je passe une fois par mois dans les médias», résume-t-il sans déplaisir. C’est que Jean-Loup parle bien, fort et cash, le tout pour la bonne cause. Il ne manque pas non plus de réseaux, en bons termes avec la maire de Lille Martine Aubry, à l’aise pour tenir tête aux commerçants comme aux politiques.
Du logo à l’esthétique des étals, en passant par les vidéos plutôt pros de sa page Facebook, il semble doté d’un vrai sens de la com. Mais si l’homme aime le beau et le bon sens, ne lui dites surtout pas qu’il est dans l’air du temps. La Tente des Glaneurs, il l’a d’abord imaginée – neuf mois durant, le temps de roder le projet de A à Z – pour les gens qui ont faim, certainement pas pour soulager la culpabilité des bobos qui s’inquiètent du sort de la planète. L’aspect développement durable, s’il fait partie de la démarche, ne peut être coupé de cette réalité: chez nous, des gens continuent d’avoir des difficultés pour se nourrir et nourrir leurs enfants. «S’il y a un petit bobo qui vient dans la file pour manger à l’œil, il tient entre 7 et 11 minutes et ensuite, il s’en va tout seul. Parce que s’il vient par idéologie, il va se rendre compte qu’autour de lui, ce sont des gens qui ont faim et que ce n’est pas sa place. Il reste peut-être en tout et pour tout 1% de connards mais je ne vais pas fermer pour 1% de connards alors que 99% en ont besoin.»
Tel est le ton de Jean-Loup – raccord avec ce fond de colère où s’ancre souvent la générosité. Avec la Tente des Glaneurs, l’ex-cuisiner a voulu atteindre une frange de la population oubliée, ces citoyens qui échappent encore et toujours à l’aide alimentaire, «soit parce qu’ils éprouvent un sentiment de honte quand ils se présentent, soit parce qu’ils n’entrent pas dans les barèmes». Comment expliquer autrement, d’ailleurs, que l’on voie encore des gens fouiller les poubelles, un acte qui – si l’on s’y arrête deux secondes – serait impossible pour qui n’y serait pas contraint par la survie? C’est pourquoi la Tente des Glaneurs ne demande aucun papier, aucune preuve, aucune justification.
Tout le monde vient en confiance, et tant pis pour les accusations d’assistanat que doit encaisser Jean-Loup Lemaire de temps à autre. «Pour ouvrir une Tente, il faut d’abord faire comprendre aux commerçants que ce n’est pas un marché parallèle où leurs clients potentiels viendraient manger à l’œil. J’ai donc expliqué un par un aux commerçants qu’avec moi, ils allaient gagner de l’argent trois fois. D’abord, sur la taxe d’ordures qui s’élève à 100 ou 150 euros la tonne: moins ils jettent, moins ils paient. Ensuite, parce que s’ils sont identifiés commerçants solidaires, les gens vont préférer acheter chez eux plutôt que chez les autres. Enfin, parce qu’on fait avec eux de la survente, qui consiste à acheter chez eux quelque chose qu’on donne à une association. Si après ça, ils ne voient pas l’intérêt…».
Ce modèle pensé dans ses moindres détails, Jean-Loup Lemaire l’a déjà implanté dans une dizaine de villes françaises, notamment à Paris, Grenoble et Strasbourg. «La Tente des Glaneurs, une ‘association concept marque franchisée déposée de redistribution exclusivement gratuite sur les marchés de France et d’Europe’. Cela me permet d’ouvrir des franchises et d’avoir une homogénéité, que toutes les Tentes fassent pareil et qu’elles fonctionnent à partir d’une charte éthique du collaborateur bénévole et d’une charte éthique des accueillis. D’ailleurs, chaque équipe qui ouvre une Tente en France doit d’abord venir se former à Lille.» Et d’en appeler aux amis belges, chez qui Jean-Loup Lemaire espère s’implanter, une fois identifiés des coordinateurs motivés.