Dans le vaste hangar de l’Atelier de l’Avenir, à Grâce-Hollogne, trois ouvriers s’affairent sur la découpe d’une façade en bois. Elle est destinée à une maison unifamiliale de Namur. Au centre de l’atelier, une structure métallique constitue la table papillon. Elle peut dresser ses ailes pour coincer les panneaux de grande dimension, et ensuite les déposer sur le flanc gauche ou droit. En bout de hangar, des façades de logements se suivent, isolants et châssis incorporés. Cent dix-huit ont été commandées.
Les ouvriers sont concentrés. Les consignes de sécurité s’invitent à chaque appareil. En texte et via deux images. L’une cerclée de rouge (à ne pas faire) et une autre cerclée de vert (bravo!). D’autres éléments étonnent. Des gyrophares sur les machines en fonctionnement. Un Clark qui recule en projetant une lumière vers l’arrière. Et «par rapport à la sécurité, avec les camions il y a des sens à respecter, un circuit sans marche arrière, explique Michel Fontaine, contremaître. Les flux de circulation sont très organisés».
Ces mesures de prudence et ajouts de signaux visuels s’expliquent facilement: bon nombre d’ouvriers de l’atelier sont sourds. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’ils ne connaissent pas les nuisances sonores. «Beaucoup ont des appareils auditifs, explique Aurélie Klinkenberg, chargé de la communication de l’Atelier de l’Avenir. Les vibrations, c’est leur son à eux. Ils ont perdu l’ouïe mais, au toucher et au visuel, ils sont redoutables. Ils sentent avant nous qu’une machine va tomber en panne.»
Michel entre dans le hangar, claque la bise à deux ouvriers affairés sur des pièces de bois. Signe quelques mots puis repart. Travailler avec des personnes sourdes inquiétait Michel Fontaine quand celui-ci a postulé, il y a de cela cinq ans et demi. L’entreprise qui l’employait venait de faire faillite. Il cherchait un nouveau poste et une place de contremaître se profilait à l’Atelier de l’Avenir. Il n’avait jamais eu de contact avec cette communauté. «Au début, c’était un peu effrayant. Puis on se rend compte qu’ils n’ont pas de handicap.» Juste une différence. «J’ai été surpris par le fait que certains sont assez colériques. ‘On est maltraités!’ Chez les entendants, vous allez être plus réservé dans vos remarques. Ils n’ont pas toujours conscience de l’importance de ce qu’ils signent.» En tant que supérieur hiérarchique, le contremaître a tenté le mode autoritaire. Peine perdue. «Au début, je m’énervais, je venais du privé. Puis j’ai compris que cela ne servait à rien.»
Comme tous les employés présents sur le site, ce nouveau venu a suivi des cours de langue des signes. Deux fois une paire d’heures par mois pendant le boulot. Aujourd’hui, et après trois ans d’apprentissage, s’il ne se prétend pas parfait bilingue («Je ne pourrais pas mener une conversation de tous les jours»), il se fait comprendre sans problème.
Le langage du menuisier, même en langue des signes, reste une langue de bois. Pour signer les différentes essences ou les matériaux, ils en signent la couleur. Le gris pour les panneaux en fibres de ciment par exemple. Deux doigts horizontaux joints qui s’élèvent signifient l’élévateur. OSB (panneau en plusieurs couches constituées de lamelles de bois et liées ensemble avec un liant) se signe «bois» puis «écrasé». Et pour nommer l’isolant ou la laine de verre, il suffit de se gratter le revers de l’avant-bras.
Le langage corporel est aussi très important dans cette communication. «Toujours veiller au contact, être bien en face, regarder dans les yeux, veiller à l’expression du visage qui est très importante. Cela en dit tout autant que vos signes.» Michel Fontaine doit aussi parfois freiner les discussions pendant le boulot. Pour des raisons de productivité évidente: quand les personnes sourdes parlent, les mains sont occupées, impossible de travailler en même temps. De plus, dans ce grand hangar ouvert, «un sourd qui s’arrête et parle peut être écouté à 20, 30 mètres. Tout le monde s’arrête pour regarder la conversation!»
Depuis septembre 2018, Michel Fontaine, qui travaillait également pour les Ateliers du Monceau (voir paragraphe suivant), a rejoint à temps plein l’Atelier de l’Avenir en tant que contremaître. Il est complètement dans son élément, le bois, et connaît à présent très bien les gars qui y travaillent. Leur surdité qui l’effrayait au départ? «Ce n’est pas un frein. Je suis bien ici. C’est un beau défi. Tout est parfait. Contrairement à d’autres endroits que j’ai connus, il y a du chauffage, un vestiaire. Je n’ai aucune envie de retourner dans le privé. Je me vois finir ma carrière ici.»
Bienvenue à l’Atelier de l’Avenir.