Une dernière volée d’escaliers et nous y sommes. L’appartement est au sommet de l’immeuble, vaste, lumineux. Avec vue sur la Meuse qui serpente non loin de là. Il devrait être occupé bientôt par un ex-détenu que Philippe et Jean-François vont rencontrer demain à la prison de Marche. Lui ou un autre. Les candidatures ne manquent pas auprès de l’association «Le Passage pour sortants de prison». Cette toute jeune association, née en janvier 2018, ne fonctionne qu’avec l’énergie de quelques-uns de ses fondateurs et un don de 5.000 euros.
Pas encore de subsides, pas de local. On se retrouve donc au domicile privé de Philippe Defeyt, autour d’un café et de quelques membres actifs au sein de l’asbl. L’ex-président du CPAS de Namur et actuel président de l’Institut pour un développement durable est une des chevilles ouvrières du «Passage», avec Jean-François Kesteman, visiteur de prison, président de l’Aide aux justiciables de Namur, ainsi que la juriste Pascaline de Meeus. Les fondateurs? Une vaste plateforme de juges, de visiteurs de prison, de responsables de maisons de justice, de députés, de conseillers communaux à Namur. «On a ratissé large», reconnaît Philippe Defeyt. Tous sont partis d’une conviction: le logement est une clé essentielle de la réinsertion des sortants de prison. Mais ces derniers font partie des personnes qui ont le plus de difficultés à en trouver un: au-delà des problèmes que vivent tous les publics précarisés s’ajoute celui de dénicher un logement quand on est encore en prison.
Rien d’étonnant donc si les ex-détenus forment une part non négligeable des sans-abri dans les villes, une situation qui torpille toute possibilité de retrouver du travail et est le chemin le plus court vers la récidive. Les pouvoirs publics s’en sont rendu compte. Le ministre bruxellois de l’Action sociale, Alain Maron (Écolo), va développer un projet spécifique d’aide aux ex-détenus sans abri. Au niveau fédéral, le ministre de la Justice Koen Geens vient de créer, à Malines et à Enghien, des «maisons de transition» pour les sortants de prison qui fonctionnent selon un régime communautaire «ouvert» mais avec une équipe de travailleurs sociaux présente sur place.
À Namur, le Passage zappe l’étape de la transition. Il s’est façonné sur le principe du Housing First et de sa logique de mise au logement inconditionnelle du sans-abri, complétée par un accompagnement social du locataire. Housing First Namur aurait pu se charger des sortants de prison mais, «avec leur enveloppe fermée et leur manque de moyens, ce n’était pas possible», explique Anne Ogier, conseillère communale à Namur. Le Passage va donc faire ce travail de mise au logement prioritaire en tablant sur les services sociaux existants pour l’accompagnement à plus long terme. À sa sortie, c’est sur Philippe, Jean-François et Pascaline que le détenu pourra compter dès les premiers jours. «Il ne suffit pas de mettre la personne dans son logement et de lui dire: ‘Débrouille-toi’», résume Philippe. Autre priorité que s’est fixée l’association: cibler les détenus qui se retrouvent seuls à la sortie, sans famille, sans proches pour les accueillir. Pour eux, comme pour les autres, le fait de disposer d’un logement est, avec une activité professionnelle ou une formation, une condition sine qua non imposée par le Tribunal d’application des peines (TAP) pour bénéficier d’une libération conditionnelle.