«Nous avons fondé le Petit Vélo jaune dans une optique de prévention: pour ne pas en arriver à des placements d’enfant qui auraient pu être évités», poursuit Vinciane Gautier. Mise sur pied en 2013, l’association s’est d’abord définie comme un «service de prévention et de soutien à la parentalité». Elle a aujourd’hui redéfini son action en tant qu’«accompagnement solidaire des familles». «Cette dénomination est moins stigmatisante. ‘Service’ est associé à quelque chose de très institutionnel. Or ce dont les parents ont souvent besoin, c’est un accompagnement plus souple, plus informel.» Cet accompagnement se fait sous forme de binômes «parent-coéquipier», sur une période d’environ un an. En 2019, le Petit Vélo jaune a accompagné 80 familles à Bruxelles et dans le Brabant wallon. Cinquante binômes tournent actuellement.
Les mamans solos représentent environ 70% des personnes aidées. Les papas solos sont l’exception. L’association intervient aussi auprès de parents en couple, mais dans lesquels le père est souvent peu présent. De nombreuses mamans sont issues de l’immigration récente, avec un passage dans des centres pour demandeurs d’asile. Elles ont parfois quatre ou cinq enfants. «Après le centre, ces femmes s’installent dans un quartier qu’elles ne connaissent pas et ont souvent peur de sortir, explique Pascale Staquet, psychologue et coordinatrice au Petit Vélo jaune. Les enfants s’ennuient à la maison, il y a peu de jouets, peu de stimulation, peu de contacts avec l’extérieur. En revanche, ce sont des femmes qui impressionnent souvent par la qualité des soins qu’elles donnent. Même quand elles n’arrivent pas à prendre soin d’elles-mêmes, ces mères parviennent à s’occuper de leurs enfants de manière totalement adéquate.» Pour Pascale Staquet, ces cas créent un contraste saisissant avec les situations de parents belges ou européens, parfois très qualifiés, souvent plus âgés, mais qui se retrouvent totalement démunis face à un jeune enfant, avec le sentiment qu’ils ne possèdent pas les ressources nécessaires, et que cette fois la réponse n’est pas dans les livres. Bien plus rares au Petit Vélo jaune, qui n’intervient en principe que dans les familles qui ne peuvent se payer une aide extérieure, ces profils d’«intellos paumés» n’en rappellent pas moins que les situations de détresse parentale et de négligence sont loin d’être réservées aux pauvres et aux étrangers. «Enfin, il y a les parents issus de la classe moyenne à qui il est arrivé une tuile, poursuit Pascale Staquet. Une séparation pendant ou juste après la grossesse, un déni de grossesse, un handicap chez le bébé.» Quel que soit leur profil sociologique, tous ces parents expérimentent en tout cas une situation d’isolement importante. On est loin du village qu’on dit nécessaire pour élever un enfant… «Le constat de base, c’est que le système solidaire naturel n’est plus là, commente Vinciane Gautier. Certes, il existe de nombreux services d’aide sociale, mais tout est très segmenté, saucissonné. Il manque l’huile pour faire fonctionner les rouages: cette huile, c’est ce que le bénévole peut apporter.»
Même quand elles n’arrivent pas à prendre soin d’elles-mêmes, ces mères parviennent à s’occuper de leurs enfants de manière totalement adéquate.
Les bénévoles sont elles aussi des femmes, dans leur grande majorité. Des assistantes sociales tout juste diplômées, des psys qui débutent et veulent se faire une petite expérience. Et puis des retraitées, des femmes au foyer, des femmes qui travaillent. «Il n’y a pas vraiment de critères pour devenir bénévole. On fonctionne au feeling. Ce sont des personnes qui viennent avec leur histoire et qu’on ne veut surtout pas formater, car la richesse est là», souligne Vinciane Gautier. En revanche, ces bénévoles sont encadrés, façon «poupées russes». Chaque binôme se voit attribuer un «référent-duo», un bénévole qui a une expérience spécifique dans le social et qui l’accompagne lors de la première rencontre. Chaque référent-duo est lui-même chapeauté par l’un des sept coordinateurs du Petit Vélo jaune. Des réunions de «partage de vécu» sont organisées chaque mois: les coéquipiers peuvent y partager leurs réflexions, leurs interrogations. Des séances d’information leur sont également proposées: sur le devoir de confidentialité, les besoins physiologiques primaires de l’enfant, etc. «C’est important pour nous de pouvoir rassurer les autres services, les professionnels – CPAS, ONE, maisons médicales… – qui nous envoient ces parents. Il y a souvent la crainte que le bénévole fasse pire que mieux… C’est pourquoi nous prenons le temps d’expliquer ce que nous faisons, que nos bénévoles sont encadrés, formés et suivis», précise Vinciane Gautier.