«Aujourd’hui, je fais ce dont je rêvais quand j’étais plus jeune. Mes projets sont des outils pédagogiques, une manière d’enseigner sans s’ennuyer. Pour moi, la classe, le tableau, les évaluations, etc., ce sont des obligations; je vois l’enseignement d’une manière totalement différente. Je crois qu’il faut mettre les élèves en action et construire avec eux. Ça me prend réellement plus de temps que si je faisais seulement mes heures de travail, je suis souvent fatiguée, je dois me battre pour imposer des projets… Mais quand je vois les résultats, quand je vois la satisfaction de mes élèves, c’est une victoire. Je crée une relation particulière avec eux. Honnêtement, je les considère presque comme mes gosses. Quand je les vois en classe, je sais qui ils sont, je connais leurs personnalités, je sais comment agir avec eux. Tout repose sur notre relation de confiance et de respect mutuel.»
Enseignement
L’école en luttes
Photo-reportage réalisé par Bertrand Vandeloise sur les inégalités scolaires en Fédération Wallonie-Bruxelles
«J’ai presque vingt ans de travail dans cette école. Je fais partie de ceux qui disent que ce n’était pas mieux avant, contrairement à ce qu’on entend souvent. Pour moi, les élèves ne sont pas plus difficiles qu’hier, il n’y a pas davantage de problèmes qu’avant. Ce sont juste des situations différentes qui demandent aux gens d’évoluer et de s’adapter. Mais malheureusement, l’école est un lieu extrêmement conservateur. Il y a un immobilisme terrible et on nous demande presque de donner cours comme il y a 30 ou 40 ans, si pas 100 ans. Il m’est arrivé maintes et maintes fois de changer ma façon de faire, car je voyais que ça ne fonctionnait pas. Une remise en question quotidienne, même d’un cours à l’autre. D’ailleurs, je n’ai pas de cours élaboré à l’avance, car j’estime que je dois constamment m’adapter. On peut avoir une classe dynamique, une classe taiseuse, une classe avec plusieurs primo-arrivants… C’est toujours différent et c’est à nous d’aller chercher les élèves là où ils sont.»
«Le travail en classe est tellement lourd que, si tu veux accompagner chaque élève comme tu devrais le faire, c’est clairement impossible. Il y a toujours un moment où tu dois en laisser certains de côté; j’essaye que ce ne soit pas toujours les mêmes. Ça ressemble parfois à la crise Covid: on voyait arriver les gens dans les hôpitaux, et on soignait celui qu’on croyait réussir à soigner, celui qui était encore jeune, pas trop gros… C’est caricatural, mais j’ai l’impression qu’on vit parfois un peu ce genre de crise dans la classe. Le plus compliqué dans le métier d’instituteur, c’est la charge mentale et la charge de travail. Être seul en classe avec 25 élèves, c’est, d’une certaine manière, un sabotage étatique envers la profession, qui ne peut plus répondre aux exigences de son gouvernement et aux attentes citoyennes.»
«J’ai plusieurs élèves de 5e secondaire, très motivés, qui viennent dans mes autres classes pendant leurs heures de fourche pour ‘coacher’ les élèves. Au départ, c’était un peu surprenant, car je devais voir jusqu’où je pouvais leur laisser de la place, mais, finalement, ils ont trouvé d’eux-mêmes une sorte d’équilibre. Je crois vraiment que ça tire les élèves vers le haut. Voir que des plus grands d’une autre classe, qui ont compris la matière, prennent de leur temps pour les aider, ça les a beaucoup inspirés et je trouve ça génial!»
«Tout le monde a des forces et des faiblesses. J’essaye vraiment de faire prendre conscience à mes élèves de leur force, sur laquelle ils peuvent s’appuyer pour progresser. Mais ils se sentent incompétents et en dehors du système pour la majorité. On a une diversité incroyable d’élèves. On pourrait écrire: ‘Ici, venez comme vous êtes, avec votre bagage, votre différence, et on vous accueille’.»
«Le mot bienveillance, on l’emploie trop. Ça en devient presque bateau maintenant… Et pourtant, ici, il y a énormément de bienveillance. Il n’y a pas un professeur qui ne soit pas éducateur dans cette école. C’est impossible d’être prof et d’uniquement enseigner: il faut absolument avoir un sens de l’humain et un sens de la communication extrêmement développés, l’empathie est vraiment au cœur de notre travail. C’est parfois notre premier ennemi aussi. Je connais des collègues qui sont en souffrance, car ils vivent trop intensément la souffrance des jeunes. Pour être sincère, j’ai déjà failli ramener plusieurs élèves chez moi. Parfois, le problème est tellement grand, on cherche des solutions, mais la première solution immédiate, c’est de le prendre avec soi et de le mettre en sécurité… Avec la distance et, quand on apprend à ne pas travailler dans l’urgence, on trouve d’autres solutions pour passer le relais.»