Never Mind the Handicap

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Culture

Never Mind the Handicap

Planquée sur un zoning du côté de Vielsalm, la « S » Grand Atelier promeut l’art brut depuis un quart de siècle. Pour remplir son objectif, elle peut compter sur un bataillon d’artistes libres et – accessoirement – déficients mentaux. Tendances en ville et à l’étranger mais peu connus sur leurs propres terres, voici une photo de ces « punks du handicap ».

Julien Winkel Images : Amandine Nandrin et Olivier Donnet (pour les photos des «Choolers») 13-12-2017
Never Mind the Handicap

Loin des «freak shows» ou de la charité mal placée, la «S» Grand Atelier tente de prouver que les handicapés peuvent aussi être des artistes à part entière. Le tout en prônant une certaine punk attitude. Reportage à Vielsalm en compagnie de Hulk Hogan et Renaud.

Comme d’habitude, il pleut. À croire que cela ne s’arrêtera jamais, que ce joli coin de l’Ardenne belge est sans cesse arrosé par une drache bien fine. De celle qui vous ramollit sans vous tremper, vous mange la chair jusqu’aux os en version «slow food». Sur le parking des anciennes casernes Ratz, situées à la périphérie de Vielsam, quelques voitures collées les unes aux autres encaissent le coup tant bien que mal. Elles ne sont d’ailleurs pas les seules. Dans un rayon de quelques centaines de mètres, des hangars s’alignent en rangs serrés sous la grisaille.

A priori, ils se ressemblent tous. Seuls les panneaux accrochés aux façades permettent de deviner ce qui se trame derrière leurs portes closes. «Club de tir Les Chasseurs», «Dojo de la Salm», «Les lavandières du Bonalfa», tout cela fait très couleur locale. Même le resto du coin s’est mis au diapason. «La Table des Hautes Ardennes», c’est son nom. Difficile de faire plus clair.

Pour pénétrer dans le restaurant, il faut passer une petite porte vitrée qui s’ouvre toute seule dans un bruit de roulements en caoutchouc. Une fois à l’intérieur, tout semble anodin au premier regard. Des rangées de tables grises en contreplaqué, bien droites, quadrillent l’ensemble du local. À droite, on peut apercevoir des cuisines au travers de vitrines remplies de nourriture en tout genre. Le long de celles-ci, des clients font la file, un plateau à la main. À l’odeur qui flotte dans l’air, on peut d’ailleurs deviner ce qu’ils se mettront bientôt sous la dent: un boulet frites ou alors un spaghetti bolognaise. L’ambiance typique d’une petite cantine.

Pourtant, en y regardant de plus près, il y a comme quelque chose de décalé. Un truc pas comme d’habitude. Mais quoi? Il y a bien ce type au tee-shirt estampillé «Choolers» qui vient de passer en arborant un air hilare, mais non. C’est autre chose, en provenance des murs. Ou plutôt des dessins qui les recouvrent. En y jetant un œil, on comprend mieux. Une cantine décorée d’énormes fresques représentant Hulk Hogan ou Renaud, ça ne se voit pas tous les jours. Surtout que celles-ci ne sont pas du genre académique. Traits grossis, silhouettes étirées, Hulk Hogan et Renaud semblent tout droit sortis d’un monde parallèle où ils auraient évolué sous l’égide d’autres règles,d’autres logiques, celles de Dominique Théâte. Âgé de 49 ans, Dominique est un artiste. Ses ateliers – qu’il partage avec une petite cinquantaine d’autres créateurs – sont situés à quelques mètres de là.

Pour atteindre les lieux, il faut suivre un dédale de couloirs et de portes, croiser quelques passants visiblement un peu perdus pour finir par débouler aux portes d’un local d’où s’échappent les voix revêches du Wu-Tang Clan. «Cash fools everything around me, C.R.E.A.M., get the money, dollar dollar bill y’all», lâche Method Man en guise d’invitation à entrer. Au fond de la pièce, Dominique est assis devant une photo de Renaud et de François Mitterrand. Sur une feuille posée juste à côté, sous ses doigts armés de crayons, l’ancien président français semble tout d’abord se parer de lunettes et d’une immense moustache. Mais en écoutant Dominique parler, on devine que cet homme à binocles et à la moustache fournie, c’est lui et pas l’ancien premier secrétaire du Parti socialiste français. C’est une des caractéristiques du travail de Dominique Théâte: se mettre en scène dans des autofictions en compagnie de ses idoles comme Michael Jackson, Mister-T, Barracuda, Renaud ou Hulk Hogan. «Mais ce n’est pas toujours moi, hein!? L’autre fois, j’ai dessiné Hulk Hogan en compagnie d’une femme à barbe», souligne l’artiste, qui fréquente l’atelier depuis un petit temps. Dominique est volubile, le voilà lâché. «Je parle beaucoup, je sais. Ma mère m’appelle ‘bla-bla’, il paraît que, même lors des cinq mois où j’étais dans la coma, j’arrêtais pas de causer.»

Dominique Théâte

Dominique Théâte a été victime d’un accident de moto à l’âge de 18 ans. Un accident qui l’a laissé handicapé mentalement. La suite de son parcours de vie l’a finalement amené au «Foyer la Fesse», comme il l’explique en se marrant. En fait de Foyer la Fesse, il s’agit plutôt du Foyer «La Hesse». Ce centre d’hébergement pour personnes handicapées fait partie d’un ensemble plus grand appelé «Les Hautes Ardennes». Composé d’une entreprise de travail adapté, d’un restaurant, de deux centres d’hébergement et d’un centre de jour pour personnes handicapées, l’asbl les Hautes Ardennes est surtout connue pour abriter en son sein la «S» Grand Atelier. Créée il y a 25 ans, cette structure est aujourd’hui connue comme une référence en matière d’art brut ou d’art «outsider» (voir le mini-lexique plus loin). Un art outsider qui, dans le cas de la «S» Grand Atelier, est produit par des personnes déficientes mentales, bien souvent issues des deux centres d’hébergement. Peinture, créations textiles, musique, gravure, les domaines artistiques couverts sont nombreux. Visiblement avec succès: aujourd’hui, bon nombre d’artistes issus de la structure sont exposés un peu partout en Europe. Rayon musique, voilà quelques années qu’un groupe comme les «Choolers», tout droit sortis de l’atelier musique de la structure, écume les salles en Belgique et aux alentours. Composé de deux MC trisomiques et de musiciens dépourvus de handicaps, le groupe de rap s’est taillé depuis peu une solide réputation scénique.

 

Des «punks du handicap»

«Je ne supporte pas la charité. Ce n’est pas respecter les handicapés que de les considérer uniquement comme des personnes plus faibles.» Assise dans son bureau, Anne-Françoise Rouche détaille la philosophie qui est la sienne depuis qu’elle a créé la «S» Grand Atelier il y a un quart de siècle. «Dès le début, je me suis dit que j’allais essayer de tirer le meilleur de ces artistes et de les exposer dans les meilleurs endroits», continue la directrice de la structure. Pour atteindre cet objectif, il a tout de même fallu parcourir un bon bout de chemin. Sortie de Saint-Luc à Liège, Anne-Françoise Rouche n’y connaît pas grand-chose en handicap quand elle déboule à Vielsalm. Pas psy, pas éducatrice, ne comptant aucune personne handicapée dans son entourage, elle est en quelque sorte «vierge» de toute idée préconçue. Une situation qui l’amène à construire le projet «petit à petit, sans vraiment l’intellectualiser».

Au début, il s’agit pourtant de faire de l’«occupationnel». Le directeur du centre de jour souhaite que l’on crée une activité artistique. Mais, après sept ou huit mois, une nouvelle direction s’installe. Anne-Françoise Rouche sent qu’il y a une ouverture, une possibilité de faire quelque chose d’autre. «J’avais une envie: me confronter à la fragilité de ces personnes, à leurs compétences. Je me suis lancée; heureusement que je ne savais pas ce que je faisais», rigole-t-elle. Car, dès le début, le projet explose beaucoup de cadres. Au point qu’aujourd’hui la structure, ses dix travailleurs et ses artistes sont parfois considérés comme des «punks du handicap». «Mon premier objectif est de changer les mentalités par rapport au handicap, souligne la directrice. Il y a une phrase que je déteste, c’est quand on dit ‘C’est bien pour eux’. Pour moi c’est insupportable. Les personnes handicapées ont des compétences propres, mais il y a souvent des barrières à leur expression. Notre rôle est de faire tomber ces barrières.»

Pour cela, il a fallu dépasser quelques petits écueils. Inutile de dire que l’optique «punk» de la «S» Grand Atelier est parfois venue bousculer une certaine culture institutionnelle dans le monde du handicap. Quant au milieu de l’art brut, il a lui aussi ses codes et ses règles, que le projet est également venu «challenger». «On peut dire qu’on a un peu foutu le bordel du côté des puristes de l’art brut, explique à ce propos Samuel Lambert, chargé de communication pour la structure depuis sept ans. Il y a parfois chez eux une sorte de mythe du ‘bon sauvage’, l’idée qu’il ne faut pas ‘contaminer’ l’artiste en l’encadrant. Or nous fonctionnons avec des ateliers, les artistes porteurs de handicaps sont entourés par des animateurs, eux aussi artistes. Il a fallu se battre pour faire accepter ça.»

Plus globalement, développer un projet de ce type en milieu rural n’a pas été une sinécure. La situation reste d’ailleurs compliquée aujourd’hui. «On nous prend pour des perchés ici, sourit Samuel Lambert. C’est beau d’exposer à Paris, mais, dans le coin, on est peu connus.» Pour Anne-Françoise Rouche, la région de Vielsalm n’est déjà pas forcément portée sur l’art. «Alors de l’art produit par des personnes handicapées, vous pensez… lâche-t-elle. D’autant plus que d’ordinaire on envoie plutôt les handicapés à la campagne pour les planquer, pas pour leur donner une visibilité.» On l’a compris, l’objectif de la «S» Grand Atelier est effectivement de donner une visibilité au travail effectué, de le diffuser. «Pour moi il est important que nos artistes soient reconnus, parce que le regard des gens change si l’on dit ‘C’est un artiste’», souligne Anne-Françoise Rouche. Celui des familles aussi. Pour Samuel Lambert, il s’agit d’un des objectifs principaux du projet. Famille, amis, gens du coin, c’est le regard que les proches leur portent qui compte d’abord pour les artistes de la «S» Grand Atelier. «Les familles ont parfois l’impression que leur gosse est un fardeau. Et puis, là, il est valorisé, il est reçu dans des lieux prestigieux où personne n’a jamais mis les pieds. Ça change un regard…»

«Notre seule limite, c’est le respect de la personne»

«Je ne vois pas l’intérêt de lui faire jouer de la batterie sur scène. Ce n’est pas un mauvais batteur, ‘Phiphi’, mais n’importe qui peut le bouffer. Par contre, en tant que MC, lui et Kostia peuvent bouffer n’importe qui.» Voilà quelques années qu’Antoine Boulangé a lancé le groupe «The Choolers Division» en compagnie de Jean-Camille Charles, de Philippe Marien et de Kostia Botkine, les deux MC trisomiques. Antoine est en charge de l’atelier musique de la «S» Grand Atelier. Et la philosophie qu’il vient d’exposer correspond à celle de l’entièreté de la structure. «Je cherche des talents, pas à faire de l’alimentaire», continue-t-il.

Dans toutes les disciplines artistiques, la «S» Grand Atelier a en effet développé une exigence de qualité qui explique en partie le succès du projet. Bien sûr, tout le monde est bienvenu au sein des ateliers. «Nous n’opérons pas de sélection, insiste Anne-Françoise Rouche. D’autant que nous avons souvent de bonnes surprises après un temps assez long. Parfois il leur faut du temps pour intégrer certaines choses.» Mais, d’après la directrice, «tout ce qui sort des ateliers pour des expositions ou des concerts est hyper-sélectionné». Autrement dit, toutes les personnes handicapées peuvent participer aux ateliers. Mais ce qui sera diffusé, montré, sera quant à lui passé au crible de la pertinence artistique. «Il nous est parfois arrivé de faire des concerts dans des milieux spécialisés dans le handicap, explique Antoine Boulangé. On pouvait sentir qu’il y avait un côté démonstratif. Il s’agissait presque de dire ‘Regardez ce que les handicapés peuvent faire’. Or, en pensant comme ça, on n’arrive pas à sortir du fait que ce sont effectivement des handicapés. Il y a un côté ghetto.» Autre danger: que certains événements organisés dans des endroits «traditionnels» ne finissent par attirer des amateurs de «freak shows». «C’est un risque, admet Antoine Boulangé. Les deux gars en sont d’ailleurs très conscients, ils commencent à en jouer.»

D’après tous nos interlocuteurs, l’objectif de la «S» Grand Atelier est donc d’éviter ces deux situations extrêmes. Pour ce faire, il s’agit de diffuser certaines oeuvres parce qu’elles le méritent. Et pas parce qu’elles ont été produites par des personnes porteuses de handicaps. «Tous les handicapés ne sont pas des artistes», souligne d’ailleurs Samuel Lambert. Un point facile à faire accepter aux intéressés? «Au début ils ne comprenaient pas. Mais, pour moi, c’est la meilleure façon de les considérer comme des adultes, souligne Anne-Françoise Rouche. Maintenant c’est bien intégré. Je pense que, quel que soit le degré de handicap, ils comprennent la notion de respect. Notre seule limite, c’est le respect de la personne.»

Lorsqu’on déambule dans les différents ateliers, cette notion de respect est bien palpable. Mais pas un respect façon «oeuvre de charité», fait de condescendance et de douceur mielleuse. Ici on se balance des vannes, on se taquine, on peut se faire aussi parfois plus dur ou bienveillant selon la situation. Assis à son bureau, Dominique continue d’ailleurs à travailler tranquillement. Tout en lâchant quelques punchlines dont il semble avoir le secret. «Jacky, mon beau-père, il a perdu ses cheveux et ses dents, mais pas son ventre», glisse-t-il un sourire en coin alors que François Mitterrand prend des allures de plus en plus interpellantes.

Un peu plus loin, c’est au tour de Régis Guyaux de se manifester. «Vous avez une voiture? Oui? C’est quelle marque? On vous l’a volée? Oh, eh bien ça…» Régis a 44 ans et, sa passion, c’est les voitures. Les cravates et l’argent, aussi. Tout à côté de lui se trouve Bertrand Léonard, un animateur présent à la «S» depuis deux ans et demi. «Tiens, je te donne ton dessin de l’autre fois. Tu peux le continuer si tu veux», dit-il à Régis. Régis est occupé sur une voiture. Colorée, étirée, elle semble se tordre sur elle-même. «On essaie de les aider selon leurs envies, leurs besoins personnels, explique Bertrand Léonard. On leur propose aussi parfois des techniques tout en étant attentifs à ne pas dénaturer leur travail.» Il n’empêche, l’influence réciproque semble inévitable. Bertrand est aussi un artiste, il a lui-même ses projets personnels. Parfois, quand il soutient Régis dans son travail, le risque est grand de ne plus savoir qui a réalisé quoi. «C’est clair, j’ai un boulot d’animateur, d’artiste et les deux fonctions se chevauchent parfois, il faut pouvoir distinguer sa production de la leur, admet-il. Mais attention: avec eux, tu peux partir de quelque chose, mais ils vont toujours t’emmener autre part… Y a des gars ici qui dessinent huit heures par jour, ce sont des soldats de l’art.»

 

En pyjama avec une tartine au fromage

À parler de rythme, la production semble s’être peu à peu transformée en véritable enjeu pour la structure. Sollicitée de toutes parts, la «S» Grand Atelier doit veiller à ne pas se perdre et à ne pas entrer dans «une logique de production», d’après Samuel Lambert. Un enjeu dont Anne-Françoise Rouche semble d’ailleurs très consciente. La directrice a fait un burn-out il y a peu… «Nous avons atteint une limite, explique-t-elle d’ailleurs. Pendant tout un temps, nous allions chercher les gens et maintenant on vient nous chercher. Nous avons énormément de projets, nous devons apprendre à dire non. Pour 2018, nous allons faire moins de choses, être plus sur la création et l’expérimentation. Mais c’est compliqué, parce que la reconnaissance est arrivée d’un coup…»

Entre la musique, les arts plastiques, la BD et les résidences organisées avec d’autres artistes, le calendrier artistique est chargé. Tout comme celui des mondanités, parfois. À ce propos, comment certains artistes gèrent-ils leur succès? À l’évocation de ce sujet, Samuel Lambert sourit. «Ça dépend d’un artiste à un autre. Joseph Lambert, par exemple, il n’en a rien à cirer d’exposer à Paris. Il a bon de venir en atelier, c’est tout. D’autres par contre sont fiers comme des paons.» Il en va parfois ainsi des Choolers qui, au rythme des tournées, sont exposés à une vie bien rock’n’roll. «Après certaines tournées, ils ont parfois tendance à se prendre un peu la tête», admet Antoine Boulangé. Il faut dire que la «descente» est parfois violente. «Imagine-toi. Un soir, ils sont sur scène devant une première rangée remplie de filles, ils mangent au McDo. Et le lendemain ils sont au centre d’hébergement en pyjama à 18 h 30, avec une tartine au fromage…»

Des situations comme celles-là, les travailleuses et travailleurs de la «S» Grand Atelier semblent en avoir des tonnes. Certaines sont franchement drôles. D’autres sont interpellantes, tant elles renvoient à la manière dont on traite parfois les personnes porteuses de handicaps. «Quand des artistes commencent à exposer, à sortir, ils sont parfois très apeurés parce qu’ils ont tout le temps été protégés auparavant, explique Anne-Françoise Rouche. Je me souviens d’une fois où nous étions au restaurant avec un des artistes. Dans le menu, il pouvait choisir entre des pâtes et des pizzas. Eh bien, c’était impossible pour lui, il était incapable de choisir. Tout simplement parce qu’on ne lui avait jamais demandé son avis. Alors que, après un certain temps, les artistes y prennent goût, il y a une forme d’émancipation.»

Gérer ces situations fait partie du travail de l’équipe de la «S» Grand Atelier. Même si parfois ce n’est pas évident. «Certains vivent mal la transition entre leur succès et le retour en centre, admet Anne-Françoise Rouche. On réfléchit parfois à acheter un punching-ball, histoire qu’ils puissent déverser ce qu’il ont en eux.» La directrice dit aussi se souvenir d’un accès de violence d’un des plasticiens au retour de sa première exposition. «Il avait toujours été maltraité et, là, on le valorisait. Il n’a pas supporté le choc émotionnel. J’ai culpabilisé. On se pose parfois des questions, on se demande si ce qu’on fait est juste.»

Malgré ces doutes, toutes et tous soulignent la richesse de cette aventure. Et la liberté qu’elle renferme. «Les artistes que nous avons ici n’ont pas de peur de mal faire, pas de projection de résultats, pas de plan de carrière, pas de peur de la page blanche. Ils ne se disent pas ‘Je vais rater’. Ils sont libres», illustre Anne-Françoise Rouche. Avant d’ajouter que les artistes contemporains qui viennent régulièrement pour une résidence à la «S» Grand Atelier «se prennent parfois une méchante claque»… Antoine Boulangé souligne quant à lui «l’échange» qu’il peut avoir avec ses deux MC, même s’il «faut du temps pour ça prenne et que tu aies une qualité artistique». «Parfois je me demande comment ils font, ajoute-t-il. Il a fallu leur apprendre à écouter, mais ils ont cette spontanéité que les autres musiciens perdent souvent. Ils ont quelque chose en plus, ce chromosome, que nous n’avons pas.»

De manière générale, c’est aussi la relation à ce travail si particulier qui est évoquée. Ainsi que la suite des opérations. «Ce boulot, c’est un choix qui te bouffe des pans entiers de ta vie, conclut Anne-Françoise Rouche. Les artistes, on voyage avec eux, on développe une relation spéciale qui implique notre famille. Il y a trois ans, un des artistes est décédé. Mes gosses, c’est comme s’ils avaient perdu un tonton.» Pour que tout cela ne s’arrête pas du jour au lendemain, la directrice prépare d’ailleurs sa «succession». Lorsqu’elle prendra sa retraite, elle veut que le projet continue. «J’ai vu trop de projets où les porteurs faisaient en sorte qu’ils périclitent dès leur départ. Ici, je veux le solidifier. On permet à tous ces artistes de vivre des choses. Nous avons une responsabilité par rapport à ça. La pire des choses serait que ça s’arrête du jour au lendemain…»

Mini lexique

L’art brut est le terme par lequel le peintre Jean Dubuffet désignait les productions de personnes exemptes de culture artistique. Il a regroupé certaines de ces productions au sein d’une collection, la Collection de l’art brut, à Lausanne.

L’art outsider l’expression (en anglais Outsider Art) désigne l’ensemble des créateurs marginaux, autodidactes, qui ont élaboré leurs oeuvres dans la solitude et en dehors de l’influence du milieu artistique.

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste