«Nos Oignons»: se nourrir la tête. Se nourrir par la terre

«Nos Oignons»: se nourrir la tête. Se nourrir par la terre

Santé

«Nos Oignons»: se nourrir la tête. Se nourrir par la terre

Et si le travail de la terre était le lieu privilégié pour ancrer des alternatives aux institutions de soins psychiatriques et à l’isolement des personnes qui souffrent de problèmes psychologiques? L’agriculture n’est-elle pas aussi devenue le lieu où se lancent les initiatives innovantes en matière de production des aliments qui nous nourrissent? L’association «Nos Oignons» répond à ce double défi et essaime dans les centres de santé mentale comme dans les potagers du Brabant wallon et de la Région bruxelloise.

 

Martine Vandemeulebroucke Images : Mathieu Guinot 14-06-2016
«Nos Oignons»: se nourrir la tête. Se nourrir par la terre
«Le potager est bénéfique pour ceux qui cherchent à retrouver leur rythme.»

«La rose n’a point de pétales aussi serrés que l’oignon. Serait-ce pour garder un secret ou cacher un cœur trop sensible? La rose enchante, il est vrai, mais l’oignon nourrit. Et c’est là son espoir d’être estimé…» Ce poème de Norge, trouvé sur le site de «Nos Oignons», dit l’essentiel sur l’association. Ses objectifs? Permettre aux personnes qui fréquentent les institutions de soins en santé mentale de sortir de leur isolement pour travailler la terre, produire des aliments qui vont les nourrir. Mais aussi participer au développement d’initiatives porteuses d’une agriculture durable. Des initiatives encore un peu marginales à l’image de ceux qui les mettent en œuvre, maraîchers et «patients».

Au départ, il y a cette question. Où trouver, dans le secteur de la santé mentale, des lieux adaptés à la reprise d’une activité régulière, hors institution? Et cette intuition: si le travail de la terre et la production d’aliments étaient ce lieu? C’est en tout cas l’hypothèse qu’a faite Samuel Hubaux, coordinateur de l’asbl «Nos Oignons» mais au départ répondant psychosocial au Club Antonin Artaud (voir ci-dessous). C’est dans ce centre de jour un peu particulier dans ses approches thérapeutiques qu’est né un atelier qui va devenir une asbl reconnue pour son caractère innovant dans le domaine de la santé mentale.

«Au Club Antonin Artaud, nous avons affaire à des personnes qui souffrent de problèmes relationnels importants. Le ‘Club’ est connu pour son travail sur la psychose mais il y a aussi, parmi les patients, des personnes qui souffrent de dépression importante. Cela demande un accompagnement intensif. Je voulais trouver un cadre adapté entre le centre de jour et une entreprise normale», explique Samuel Hubaux qui était, par ailleurs, déjà intéressé par les défis de l’agriculture durable. «J’avais fait mon mémoire sur les groupements d’achats communs et solidaires (GACS). J’avais travaillé à celui de Louvain-la-Neuve. Au Club Artaud, j’ai eu envie de retrouver ces projets.»

Une première expérience est menée dans une ferme à Nivelles. «Je suis allé deux, trois fois donner un coup de main avec des patients.» Elle est concluante. «J’ai passé l’hiver à réfléchir avec un ami, Gwenaël Dubus, qui lançait son entreprise de maraîchage bio à Gottechain», un village de Grez-Doiceau. Puis la décision est tombée. En 2012, l’asbl «Nos Oignons» naissait. Aujourd’hui, l’association a pris ses quartiers au potager collectif «Graines de Vie» à Nethen, toujours à Grez-Doiceau. «Nous avons délocalisé la deuxième année et cherché un autre terrain, un autre cadre où les exigences de productivité seraient moins importantes que dans l’entreprise maraîchère de Gottechain, raconte Samuel Hubaux. Ici, c’est une coopérative à finalité sociale. Le potager s’inscrit dans une dynamique locale.» Le lieu est ouvert aux habitants, aux membres du GACS. Les personnes envoyées par le Club Antonin Artaud travaillent aussi avec d’autres volontaires.

Le lieu : « Graines de vie » à Nethen Le potager «Graines de vie» ne passe pas inaperçu. Par sa configuration d’abord, des parcelles qui forment des grands cercles concentriques, par ses techniques de culture, la permaculture, ensuite. D’une superficie d’un hectare, il a été installé par un agriculteur de Nethen, Herman Pirmez, au cœur du village, en 2007. Il a été mis à la disposition des habitants qui l’ont entretenu pendant des années jusqu’à ce qu’un maraîcher principal, Alexandre, soit engagé. Depuis 2011, celui-ci fournit environ 150 familles en légumes et fruits bio.

Mais «Graines de vie», c’est aussi une coopérative à finalité sociale avec plein de réalisations et de projets qui, tous, s’inscrivent dans un souci de développement local. Une boulangerie a été créée, un projet de poulailler prend forme et tout récemment, depuis le dimanche 22 mai, «la petite épicerie de Nethen» a ouvert ses portes pour vendre les productions des agriculteurs bio locaux.

Le Club Antonin Artaud n’est plus le seul partenaire de «Nos Oignons». Depuis 2015, l’asbl a reçu le soutien du service de santé mentale Entre-Mots à la clinique Saint-Pierre d’Ottignies et a pu proposer ses services à des centres de santé mentale de l’Est du Brabant wallon. «Les personnes qui fréquentent ces centres sont informées par les dépliants et les affiches que nous mettons dans la salle d’attente. Avant toute arrivée au potager, nous rencontrons les personnes intéressées», précise Samuel. Chaque jour est dédié à un groupe différent. Le lundi, ce sont des personnes qui viennent des centres de santé mentale de Wavre et de Jodoigne, du centre de guidance de Louvain-la-Neuve, le mercredi, c’est un groupe qui vient d’un Centre de jour «Les Tropiques» à Uccle. Et le jeudi est réservé au Club Antonin Artaud, qui reste le groupe le plus important de participants.

La rencontre entre deux marginalités

«Les institutions nous demandent souvent quel est le profil des personnes que nous accueillons. Nous répondons qu’il n’y en a pas, affirme le coordinateur de «Nos Oignons». Nous savons que participer à notre potager est bénéfique pour les gens qui cherchent à retrouver un rythme. Il est scandé par l’environnement, le rythme des saisons, la météo. Soigner des plantes nécessite d’acquérir un savoir-faire. Il est acquis dans cet atelier et est valorisant pour les participants. Nous recevons souvent des personnes qui sont en décrochage social et qui ont des postures très critiques à l’égard de la société. Elles se sentent traitées injustement. Ici, elles peuvent transformer leur colère en énergie positive. Nous rencontrons en fait deux types de marginalité. Une marginalité de victimes, celles de personnes en décrochage social, et la marginalité d’agriculteurs bio, une marginalité qui est de plus valorisée.» 

[do action= »citation »]Nous savons que participer à notre potager est bénéfique pour les gens qui cherchent à retrouver un rythme. Il est scandé par l’environnement, le rythme des saisons, la météo.[/do]

Les participants aident Alexandre, le maraîcher responsable du potager «Graines de Vie» mais «Nos Oignons» dispose aussi de ses propres parcelles et donc de ses propres récoltes. Tous les vendredis, au Club Antonin Artaud, on fait «cuisine communautaire» avec les produits du potager. Et en hiver? «La première saison, nous avons suspendu nos activités, explique Samuel Hubaux. Cet hiver, nous avons gardé un contact. Tous les quinze jours, les gens sont venus. On prépare le terrain, on se promène dans les environs. Ce qui compte, c’est de maintenir le lien.» 

Nethen n’est plus le seul endroit où travaillent et se rencontrent les participants. «Nous avons commencé à passer dans d’autres potagers des environs. Un couple s’est lancé dans le maraîchage bio à Archennes (Grez-Doiceau). Nous allons ponctuellement chez eux. Notre présence chez les maraîchers est importante. Le coup de main que nous leur donnons, c’est aussi un soutien moral à ces agriculteurs qui se lancent dans une activité au départ peu rentable et même un peu ‘casse-gueule’.» «Nos Oignons» s’inscrit clairement comme partenaire dans le développement de l’agriculture sociale et fait partie du Réseau wallon de développement rural.

«Nos Oignons» essaime et s’implante. Après l’est, c’est l’ouest de la province qui est dans ligne de mire. L’asbl ouvre cette année un nouveau site à Nivelles chez un couple qui a pour projet de coupler maraîchage bio et accueil, à la ferme, d’un centre spécialisé pour enfants handicapés. Ils testent la formule avec «Nos Oignons», et l’association, de son côté, fait ainsi une incursion à l’autre extrémité du Brabant wallon avec quatre centres de santé mentale, à Nivelles, Tubize et Braine-l’ Alleud. «Notre objectif est de couvrir tout le Brabant wallon», reconnaît le coordinateur.

Depuis la fin de l’année dernière, Nos Oignons est devenu une association à part entière subsidiée notamment par la Région wallonne qui facture désormais ses prestations aux institutions partenaires. «Nous cherchons à voir comment valoriser financièrement le travail des participants. Pour certains, le maraîchage est devenu un objectif professionnel. On réfléchit à mettre en place un groupe à part, des équipes mobiles d’ouvriers agricoles chez des maraîchers qui paieraient ce service.» «Nos Oignons» n’a pas terminé son enracinement.

Le silence, le plaisir d’être ensemble, la fierté d’une belle récolte

Le rendez-vous a été fixé à la roulotte, posée à l’entrée du potager collectif «Graines de vie». Une roulotte à l’ancienne décorée – fatalement – d’une guirlande d’oignons. C’est là qu’on prend le café, qu’on cuisine en été les légumes ou les fruits récoltés, qu’on «fait une sieste» si on ne va pas bien ou si tout simplement on a envie de souffler un peu entre deux coups de bêche.

Alexandre, le «boss» du potager, est déjà à l’œuvre. Aujourd’hui, il n’est pas prévu que les participants jardinent dans le potager collectif mais bien dans les parcelles mises à la disposition de «Nos Oignons». Alexandre a l’habitude de travailler avec des volontaires du coin, des personnes envoyées par le Club Antonin Artaud ou des centres de santé mentale de la région. «J’ai appris à donner des consignes très claires, très précises, dit-il. Cela permet d’éviter les mauvais gestes qui peuvent compromettre un semis ou la récolte.»

[do action= »citation »]«Je vis seul. J’aime être ici avec les autres. J’aime aussi voir pousser les légumes, voir arriver le moment de la récolte.»[/do]

Vers dix heures, la camionnette du Club Antonin Artaud arrive, avec à son bord, l’animatrice Delphine Milis, des membres du Club Artaud (le mot «patient» n’est jamais utilisé) mais aussi des volontaires comme Laura qui a découvert l’expérience «Nos Oignons» au hasard d’une journée consacrée à la santé mentale. De grands bacs de plants attendent les participants. Il va falloir repiquer les carottes, la coriandre, préparer la terre pour planter les pommes de terre et surtout désherber. Jean, Delphine, Laura, Pablo sont assis sur le sol, les doigts fouillent la terre pour ôter racines et mauvaises herbes. «Cela fait une saison que je viens, explique Jean, membre du Club Antonin Artaud. Ce que j’aime, c’est le calme et le silence qui règnent ici. Pas de sirène de police ou d’ambulance. J’habite Schaerbeek et, quand je reviens en ville, le contraste est étonnant. J’aime aussi l’atmosphère détendue qui règne entre les gens. J’apprends plein de choses ici parce qu’en fait, on ne sait pas comment les légumes poussent. Les choux de Bruxelles, vous saviez-vous que l’on cueillait ça sur ces grandes plantes? Moi, je les avais toujours vus en vrac au supermarché. Pour moi, cela a été une découverte l’année dernière. J’ai photographié la plante, je la trouvais merveilleuse et on l’a publiée dans la revue du Club Antonin Artaud.»

Jan est un ancien du Club Artaud. Être «ancien» signifie que l’on peut garder une activité par semaine au Club. Pour Jan, c’est évidemment le jardinage. Il vient à «Nos Oignons» pratiquement depuis le début. Il est arrivé seul à Nethen par le train depuis Malines. Jan parle peu. Pourtant, ce qui le motive surtout, dit-il, ce sont les relations sociales. «Je vis seul. J’aime être ici avec les autres. J’aime aussi voir pousser les légumes, voir arriver le moment de la récolte.»

Ici, on se fait la bise

Delphine donne les consignes. Cette psychologue est animatrice pour «Nos Oignons» et pour l’atelier «potager» au Club Antonin Artaud. Elle a aussi un diplôme en gestion de l’environnement mais reconnaît que, au départ, elle n’y connaissait rien en maraîchage. «Je suis de la ville, j’ai appris sur le tas.» Delphine participe aux réunions d’équipe au Club Antonin Artaud. Elle connaît donc le parcours personnel de ceux qui viennent travailler à «Nos Oignons». Mais ici, on n’en parle pas même si des membres se confient parfois aux autres au hasard d’une activité réalisée ensemble. «Les gens qui passent acheter des légumes ici ne savent pas qui vient d’où, souligne Delphine. Ils sont là parfois simplement pour dire bonjour, parler jardinage… Ce sont ces relations sociales qui font du bien aux membres du Club Antonin Artaud. Même entre eux et avec moi, les relations sont différentes de celles qu’ils vivent au Club. Ici, on se fait la bise Les contacts sont plus étroits que dans l’institution et cela fait du bien. Je le vois: ils vont mieux. Et puis venir ici, c’est une bouffée d’air. C’est être dehors, au soleil ou sous la pluie, mais dehors.»

Le stage Forem de Philippe*

Le jour de notre passage, il faisait beau, pas trop chaud, le temps idéal pour travailler dans le potager mais aussi rêvasser, regarder autour de soi. Le paysage est splendide. Le silence n’est rompu que par les cloches de l’église de Nethen toute proche. Même les deux ânesses de «Graines de vie», Clémence et Fanny, ne se font pas entendre. Philippe insiste sur ce silence et sur le plaisir d’être à l’extérieur. La détente, le calme, c’est sans doute déjà ce qu’il cherchait dans d’autres ateliers du Club Antonin Artaud: le taï-chi, le yoga, la peinture… Mais c’est finalement l’expérience de «Nos Oignons» qui a changé sa vie. Pour lui, le maraîchage n’est plus vraiment de l’ordre du loisir. Il a déménagé pour s’installer dans le Brabant wallon et avoir un grand potager. Il aime le travail de précision, repiquer les plants, qui demande de l’attention et du soin. Cet après-midi, il ira chez Léa, l’agricultrice bio voisine avec un contrat à lui faire signer. Il travaillera chez elle deux jours par semaine. Il s’agit d’un stage Forem pour demandeurs d’emploi libre. Une démarche qui n’a pas été simple à arranger. Philippe reçoit une allocation de la mutuelle. Il fallait un accord du médecin pour ce stage qui présente l’avantage d’être une formule légère, courte qui lui permettra de tenir bon. Autres effets bénéfiques: offrir un cadre sécurisant pour l’employeur et gratifiant pour Philippe. Car un stage Forem, c’est un pas vers l’insertion professionnelle. Auparavant, Philippe avait déjà obtenu un stage «d’adaptation professionnelle» assuré par l’Awhip. «Mais c’est l’Awhip et psychologiquement ce n’est pas facile à assumer», commente Samuel Hubaux, coordinateur de Nos Oignons.

Savoir planter les choux

Il est déjà 13 heures. Depuis une bonne heure, Jean s’efforce de chauffer l’eau pour les pâtes sur le petit bec à gaz de la roulotte. Souvent les participants cuisinent à partir des légumes qu’ils ont récoltés. Consommer les produits de son travail, c’est un des grands plaisirs du maraîchage, soulignent Jean et Jan. Les parcelles de «Nos Oignons» sont aussi cultivées par d’autres, notamment les participants invités par les centres de santé mentale qui viennent le lundi. C’est un travail collectif qui ne se limite pas à celui presté par les «vétérans» du Club Antonin Artaud. Et la récolte promise sera distribuée à tous.

[do action= »citation »]Au moment de partir le matin, il faut ‘se pousser’ à y aller, prendre sur soi, car ce qui compte, c’est le potager, c’est le projet.[/do]

Jean a préparé des spaghettis à l’ail et interroge Delphine sur les possibilités de cultiver désormais de l’ail au potager. Il fait des essais. «J’ai ramené des graines de fleurs vivaces d’ici. Je les ai mises en pot dans la cour du Club Antonin Artaud. Je vais semer aussi dans un bac sur mon balcon à Schaerbeek. Peut-être que ça marchera.» Après le repas, il faut repiquer les derniers plants avant le week-end. On scrute les nuages qui débarquent en même temps que le café. Il faut parfois travailler par mauvais temps. «Le froid, la pluie, ce sont les contraintes de cette activité, reconnaît Jean. Au moment de partir le matin, il faut ‘se pousser’ à y aller, prendre sur soi, car ce qui compte, c’est le potager, c’est le projet.»

Une partie de l’équipe part chez Léa. On traverse les prairies pour aboutir à un immense terrain, un hectare et demi, loué par Léa qui s’est lancé depuis peu dans le maraîchage biologique. Une dizaine de cageots de choux de toutes les variétés attendent Samuel et son équipe. Léa donne des conseils: bien recouvrir le collet du chou pour éviter qu’il ne soit attaqué par les limaces. Léa est seule à assurer l’exploitation. Elle a suivi «un peu par hasard» une formation en maraîchage en 2011 puis, toujours au hasard d’un prospectus trouvé en quittant cette formation, elle s’est insérée dans le dispositif des couveuses d’entreprises. «Quelqu’un se débarrassait de son âne, je l’ai pris comme moyen de traction agricole et je me suis lancée.» Léa reconnaît que cela n’a pas été simple. Il fallait trouver la terre d’abord. «J’ai déménagé quatre fois de terrain. C’est la galère pour se lancer dans l’agriculture bio. Personne ne veut faire de contrat.» Aujourd’hui, Léa produit 180 paniers de produits bio tous les quinze jours, tout au long de l’année. Elle fonctionne avec un système d’abonnement via les Gasap (groupements d’achats solidaires dans l’agriculture paysanne), une initiative avant tout bruxelloise. Depuis peu, les volontaires de «Nos Oignons» viennent lui donner un coup de main. Une collaboration «entre voisins», le potager «Graines de vie» est tout proche. C’est une aide précieuse, reconnaît Léa. «La saison a pris du retard. Je suis seule à arroser, planter, désherber. Il y a tellement de choses à faire à cette époque de l’année.» Les volontaires seront payés par des légumes, les surplus de Léa. Ici chaque légume est compté. On est dans la production et il s’agit donc de faire les bons gestes. «Je leur fais une confiance totale, assure Léa. Ils travaillent bien.» Philippe sourit en l’écoutant, son contrat en main.

Demain, une belle récolte. Ou pas

Une nouvelle recrue rejoint le groupe. C’est Laurence. Elle a rejoint le Club Antonin Artaud en 2013. Laurence est la seule à parler de ses problèmes psychiatriques. «Je suis bipolaire, dit-elle. Je suis en voie de rétablissement, je gère ma maladie comme on gère le diabète. Ce qui me fait le plus de bien ici, c’est ce retour à la terre. Cela permet de se recentrer tout en voyant d’autres personnes.» Laurence commence à biner la terre lourde du terrain de Léa. «C’est parfois dur, admet-elle. Il faut connaître les limites de son corps et les accepter. Je viens une fois par mois, même si je sais que je ne suis pas efficace. Personne ne me demande de l’être d’ailleurs, ajoute-t-elle en riant. On est concentré sur son travail et sur soi, mais sans ruminations mentales.»

Laurence sait aussi qu’elle n’est pas seule à parfois «ne pas aller bien». Quand cela se produit, le participant s’isole un moment dans la roulotte. «Chacun travaille à son rythme. Je sais que le but de ‘Nos Oignons’, ce n’est pas la quantité de travail à fournir mais la qualité des échanges.» Contrairement aux autres membres du Club Antonin Artaud, Bruxellois pour la plupart, Laurence a vécu à la campagne. «Ici, c’est un peu ma madeleine de Proust. Mes grands-parents étaient ardennais et cultivaient leurs légumes. Mes parents avaient aussi un petit potager.» Mais cela ne l’a pas empêchée de découvrir, comme les autres, la fameuse plante sur laquelle se trouvent les choux de Bruxelles.

La récolte, c’est pour Laurence la «cerise sur le gâteau. «Je suis contente de ramener des légumes, je suis fière de montrer à mon petit-fils ce que j’ai produit. J’aime le côté ‘ici et maintenant’ du maraîchage. Aujourd’hui je plante, demain j’aurai une récolte mais peut-être pas.» À cause du temps, des insectes, des maladies… Les aléas du jardinage, elle les tolère bien. «Bien sûr, le savoir-faire des encadrants, la connaissance de la nature aident à réussir mais rien n’est jamais garanti. Et je l’accepte parce que c’est une œuvre collective. Ce que je plante, je ne vais pas nécessairement le récolter. Ou alors je plante quelque chose que je n’aime pas mais c’est pour les autres. Il faut alors échanger, accepter des légumes qui n’ont peut-être pas la belle allure de ceux qu’on trouve en magasin. Savoir qu’on va manger parfois des courgettes jusqu’à l’overdose.»

Il est quatre heures. Les nuages gris sont passés. Le soleil tape. Les choux verts, rouges et chinois forment une longue ligne plus ou moins droite. Encore une bonne demi-heure avant de rejoindre la camionnette pour rentrer à Bruxelles. «Quand on rentre chez soi, on se sent bien, dit Jean. Fatigué mais bien.»

* prénom d’emprunt

Un projet couvé, né et développé par le Club Antonin Artaud

Le projet ne pouvait que naître au Club Antonin Artaud, dans ce centre de jour qui innove depuis toujours dans l’accueil d’adultes souffrant de problèmes psychologiques importants. Les activités artistiques, qui ont fait la spécificité thérapeutique du Club Antonin Artaud, sont désormais aussi accompagnées d’autres, axées surtout sur le bien-être. Le potager collectif est un des ateliers proposés mais il a tout de même un statut un peu à part.

Avant «Nos Oignons», le Club Antonin Artaud avait déjà organisé un atelier «potager» dans les serres de Hoeilaert. C’était exigeant, dans l’organisation des trajets, et cela s’est révélé peu satisfaisant. Jardiner une fois par semaine seulement ne permettait pas d’obtenir de bons résultats. L’atelier qui a donné naissance à «Nos Oignons» est donc parti sur d’autres bases. Travailler dans un potager déjà existant, cultivé par une personne extérieure, le tout dans une perspective d’insertion préprofessionnelle.

«C’est un projet exigeant, relève Martine Verhulst, psychologue au Club Antonin Artaud. Il demande de la régularité et il s’agit de s’inscrire dans un projet à long terme. C’est physiquement exigeant aussi pour des patients souvent ‘amortis’ par les médicaments et leur maladie mais il permet un retour à la nature, un retour aux ‘essentiels’ chez des personnes parfois fort déconnectées de la réalité.» Pour Martine Verhulst, la dimension collective de l’atelier est très importante. «Ils travaillent ensemble, ils se viennent en aide les uns les autres, ils respectent les limites de chacun.» Les bénéfices sont multiples. Les récoltes rapportées par les participants profitent à tous mais plus encore à ceux qui en sont à l’origine. «Il y a la perception d’avoir acquis un savoir-faire, note Martine Verhulst. C’est un savoir qui demande un investissement dans le temps.» Le Club organise les trajets vers Nethen. «Cela fait partie de nos objectifs de ‘sortir’ de l’institution. Les participants sortent mais cette activité externe rentre aussi. Nous essayons en effet de l’intégrer dans d’autres ateliers du Club. On travaille alors en synergie. Celui qui s’est fait mal au dos en bêchant va participer aux ateliers axés sur le corps. On peut intégrer le fait de chanter en travaillant la terre dans notre atelier ‘chant’. On peut organiser des balades pour visiter ensemble le potager. Les légumes cuisinés ensemble, tout cela éveille la curiosité, des autres patients, y compris ceux qui sont un peu déprimés, un peu ‘ralentis’.»

L’effet bénéfique? «C’est très personnel, convient la psychologue. Mais je vois certaines personnes découvrir leur capacité à s’activer sur du long terme.» Et ce qui fait surtout la spécificité de «Nos Oignons», c’est qu’elle ouvre la porte à une activité de formation et d’insertion. «Il y a parmi les participants, deux ou trois qui en ont fait clairement leur projet de vie.»

 

En savoir plus : 

Nos oignons

Siège social : rue du Grand Hospice 6 à 1000 Bruxelles

Bureau : rue des Fusillés 18 à 1340 Ottignies

Contact : contact@nosoignons.org – 0471/21 28 01

 

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Martine Vandemeulebroucke

Martine Vandemeulebroucke