«La rose n’a point de pétales aussi serrés que l’oignon. Serait-ce pour garder un secret ou cacher un cœur trop sensible? La rose enchante, il est vrai, mais l’oignon nourrit. Et c’est là son espoir d’être estimé…» Ce poème de Norge, trouvé sur le site de «Nos Oignons», dit l’essentiel sur l’association. Ses objectifs? Permettre aux personnes qui fréquentent les institutions de soins en santé mentale de sortir de leur isolement pour travailler la terre, produire des aliments qui vont les nourrir. Mais aussi participer au développement d’initiatives porteuses d’une agriculture durable. Des initiatives encore un peu marginales à l’image de ceux qui les mettent en œuvre, maraîchers et «patients».
Au départ, il y a cette question. Où trouver, dans le secteur de la santé mentale, des lieux adaptés à la reprise d’une activité régulière, hors institution? Et cette intuition: si le travail de la terre et la production d’aliments étaient ce lieu? C’est en tout cas l’hypothèse qu’a faite Samuel Hubaux, coordinateur de l’asbl «Nos Oignons» mais au départ répondant psychosocial au Club Antonin Artaud (voir ci-dessous). C’est dans ce centre de jour un peu particulier dans ses approches thérapeutiques qu’est né un atelier qui va devenir une asbl reconnue pour son caractère innovant dans le domaine de la santé mentale.
«Au Club Antonin Artaud, nous avons affaire à des personnes qui souffrent de problèmes relationnels importants. Le ‘Club’ est connu pour son travail sur la psychose mais il y a aussi, parmi les patients, des personnes qui souffrent de dépression importante. Cela demande un accompagnement intensif. Je voulais trouver un cadre adapté entre le centre de jour et une entreprise normale», explique Samuel Hubaux qui était, par ailleurs, déjà intéressé par les défis de l’agriculture durable. «J’avais fait mon mémoire sur les groupements d’achats communs et solidaires (GACS). J’avais travaillé à celui de Louvain-la-Neuve. Au Club Artaud, j’ai eu envie de retrouver ces projets.»
Une première expérience est menée dans une ferme à Nivelles. «Je suis allé deux, trois fois donner un coup de main avec des patients.» Elle est concluante. «J’ai passé l’hiver à réfléchir avec un ami, Gwenaël Dubus, qui lançait son entreprise de maraîchage bio à Gottechain», un village de Grez-Doiceau. Puis la décision est tombée. En 2012, l’asbl «Nos Oignons» naissait. Aujourd’hui, l’association a pris ses quartiers au potager collectif «Graines de Vie» à Nethen, toujours à Grez-Doiceau. «Nous avons délocalisé la deuxième année et cherché un autre terrain, un autre cadre où les exigences de productivité seraient moins importantes que dans l’entreprise maraîchère de Gottechain, raconte Samuel Hubaux. Ici, c’est une coopérative à finalité sociale. Le potager s’inscrit dans une dynamique locale.» Le lieu est ouvert aux habitants, aux membres du GACS. Les personnes envoyées par le Club Antonin Artaud travaillent aussi avec d’autres volontaires.
Le lieu : « Graines de vie » à Nethen Le potager «Graines de vie» ne passe pas inaperçu. Par sa configuration d’abord, des parcelles qui forment des grands cercles concentriques, par ses techniques de culture, la permaculture, ensuite. D’une superficie d’un hectare, il a été installé par un agriculteur de Nethen, Herman Pirmez, au cœur du village, en 2007. Il a été mis à la disposition des habitants qui l’ont entretenu pendant des années jusqu’à ce qu’un maraîcher principal, Alexandre, soit engagé. Depuis 2011, celui-ci fournit environ 150 familles en légumes et fruits bio.
Mais «Graines de vie», c’est aussi une coopérative à finalité sociale avec plein de réalisations et de projets qui, tous, s’inscrivent dans un souci de développement local. Une boulangerie a été créée, un projet de poulailler prend forme et tout récemment, depuis le dimanche 22 mai, «la petite épicerie de Nethen» a ouvert ses portes pour vendre les productions des agriculteurs bio locaux.
Le Club Antonin Artaud n’est plus le seul partenaire de «Nos Oignons». Depuis 2015, l’asbl a reçu le soutien du service de santé mentale Entre-Mots à la clinique Saint-Pierre d’Ottignies et a pu proposer ses services à des centres de santé mentale de l’Est du Brabant wallon. «Les personnes qui fréquentent ces centres sont informées par les dépliants et les affiches que nous mettons dans la salle d’attente. Avant toute arrivée au potager, nous rencontrons les personnes intéressées», précise Samuel. Chaque jour est dédié à un groupe différent. Le lundi, ce sont des personnes qui viennent des centres de santé mentale de Wavre et de Jodoigne, du centre de guidance de Louvain-la-Neuve, le mercredi, c’est un groupe qui vient d’un Centre de jour «Les Tropiques» à Uccle. Et le jeudi est réservé au Club Antonin Artaud, qui reste le groupe le plus important de participants.
La rencontre entre deux marginalités
«Les institutions nous demandent souvent quel est le profil des personnes que nous accueillons. Nous répondons qu’il n’y en a pas, affirme le coordinateur de «Nos Oignons». Nous savons que participer à notre potager est bénéfique pour les gens qui cherchent à retrouver un rythme. Il est scandé par l’environnement, le rythme des saisons, la météo. Soigner des plantes nécessite d’acquérir un savoir-faire. Il est acquis dans cet atelier et est valorisant pour les participants. Nous recevons souvent des personnes qui sont en décrochage social et qui ont des postures très critiques à l’égard de la société. Elles se sentent traitées injustement. Ici, elles peuvent transformer leur colère en énergie positive. Nous rencontrons en fait deux types de marginalité. Une marginalité de victimes, celles de personnes en décrochage social, et la marginalité d’agriculteurs bio, une marginalité qui est de plus valorisée.»
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Les participants aident Alexandre, le maraîcher responsable du potager «Graines de Vie» mais «Nos Oignons» dispose aussi de ses propres parcelles et donc de ses propres récoltes. Tous les vendredis, au Club Antonin Artaud, on fait «cuisine communautaire» avec les produits du potager. Et en hiver? «La première saison, nous avons suspendu nos activités, explique Samuel Hubaux. Cet hiver, nous avons gardé un contact. Tous les quinze jours, les gens sont venus. On prépare le terrain, on se promène dans les environs. Ce qui compte, c’est de maintenir le lien.»
Nethen n’est plus le seul endroit où travaillent et se rencontrent les participants. «Nous avons commencé à passer dans d’autres potagers des environs. Un couple s’est lancé dans le maraîchage bio à Archennes (Grez-Doiceau). Nous allons ponctuellement chez eux. Notre présence chez les maraîchers est importante. Le coup de main que nous leur donnons, c’est aussi un soutien moral à ces agriculteurs qui se lancent dans une activité au départ peu rentable et même un peu ‘casse-gueule’.» «Nos Oignons» s’inscrit clairement comme partenaire dans le développement de l’agriculture sociale et fait partie du Réseau wallon de développement rural.
«Nos Oignons» essaime et s’implante. Après l’est, c’est l’ouest de la province qui est dans ligne de mire. L’asbl ouvre cette année un nouveau site à Nivelles chez un couple qui a pour projet de coupler maraîchage bio et accueil, à la ferme, d’un centre spécialisé pour enfants handicapés. Ils testent la formule avec «Nos Oignons», et l’association, de son côté, fait ainsi une incursion à l’autre extrémité du Brabant wallon avec quatre centres de santé mentale, à Nivelles, Tubize et Braine-l’ Alleud. «Notre objectif est de couvrir tout le Brabant wallon», reconnaît le coordinateur.
Depuis la fin de l’année dernière, Nos Oignons est devenu une association à part entière subsidiée notamment par la Région wallonne qui facture désormais ses prestations aux institutions partenaires. «Nous cherchons à voir comment valoriser financièrement le travail des participants. Pour certains, le maraîchage est devenu un objectif professionnel. On réfléchit à mettre en place un groupe à part, des équipes mobiles d’ouvriers agricoles chez des maraîchers qui paieraient ce service.» «Nos Oignons» n’a pas terminé son enracinement.