C’est dans une petite rue calme, pas loin de la Meuse. Bruce Renson, le capteur de logements, niche dans une de ces vieilles maisons namuroises que doivent aimer les guides touristiques.
Namur a une réputation de ville bourgeoise mais c’est une réputation en trompe-l’œil. La ville mène, depuis des années, une politique très offensive en matière d’accès au logement notamment par la réquisition «douce» d’immeubles inoccupés. Cela fait trois ans que Namur a créé la fonction de capteur de logements avec un profil bien précis: un «pro» de l’immobilier, pas un assistant social.
Bruce Renson a un diplôme de marketing avec une expérience de l’immobilier. Rien, dit-il, ne le prédisposait à travailler dans le secteur social. «Je suis là par hasard.» Mais si le «social» n’était a priori pas sa vocation, il y a pris goût. «Quelques mois, après avoir commencé ce job, j’ai repris des études en cours du soir en sciences sociales à l’UCL. Je termine mon master.»
Le contrat est clair: le capteur namurois est là pour prospecter le marché immobilier dans une ville où l’offre de logements bon marché est particulièrement rare même si le loyer d’un studio (430 euros hors charges) n’est pas excessif par comparaison avec Bruxelles ou avec Liège. Autre particularité namuroise: la rude concurrence avec les étudiants. «Il y a dix ans, on disait qu’il manquait des kots mais maintenant je vois des annonces partout, à tous les coins de rue et à tous les moments de l’année. On voit même des promoteurs qui se spécialisent dans les kots de luxe.» Les propriétaires sont plus enclins à louer à des étudiants. «En été, quand je visite des appartements, il y a des dizaines d’étudiants avec leurs parents qui se présentent. Alors moi, avec mon projet social… Si des kots restent libres, je pourrais convaincre le propriétaire de louer aussi à des allocataires sociaux mais alors se pose la question de la domiciliation et donc de la perte de revenus que cela entraînerait pour une personne isolée.» Le capteur de logements est d’ailleurs inquiet face à l’évolution du marché locatif namurois. «Les loyers augmentent sans cesse. Il y a de gros chantiers immobiliers en bord de Meuse où un triplex se loue à plus de 1.100 euros. Qui peut se payer ça?»
Vaincre la méfiance
Bruce Renson doit trouver les arguments qui rassurent le propriétaire. «Il y a une très forte réticence à l’égard des allocataires du CPAS. Même la garantie locative assurée par le CPAS est mal perçue. Alors, je parle de l’accompagnement systématique assuré par les associations qui font appel à moi. Je leur explique que le locataire fera l’objet d’un accompagnement à domicile important. La deuxième garantie, c’est le loyer. Beaucoup de locataires ont un administrateur de biens qui va gérer complètement leurs revenus. Pour ceux qui ont un revenu d’intégration sociale (RIS), le CPAS de Namur a mis en place le système du mandat irrévocable par lequel l’allocataire autorise le CPAS à prélever le loyer sur son revenu d’intégration avant même que celui-ci ne soit versé. Ce système est contesté mais il m’a permis de reloger beaucoup de personnes.» À Namur, la méfiance à l’égard des locataires précarisés est telle qu’il arrive au capteur de ne pas dire immédiatement au propriétaire pour qui et pour quoi il demande à visiter l’appartement. «Au téléphone, vous sentez très vite si la personne est réticente. Au début, mon premier objectif était d’avoir prioritairement un contact et une visite. Si le locataire ‘présentait bien’, je venais visiter le studio avec lui. Sinon, je ‘préparais’ un peu le propriétaire.»
Bruce Renson le reconnaît: il ne s’attendait pas, au début, à de telles difficultés: «Les premiers jours, je me suis dit que si j’arrivais à tenir quelques mois, ce serait bien. Les premiers coups de téléphone aboutissaient à des échecs. Puis, cela s’est amélioré, et les deux premières années ont finalement été euphoriques. J’ai pu loger un grand nombre de personnes. Mais plus il y a de personnes en logement, plus il y a parfois des problèmes pratiques à régler, avec moins de temps pour la prospection immobilière.» Le capteur a un profil d’agent immobilier mais sa fonction d’intermédiaire entre le propriétaire et le locataire ou l’association l’oblige tout de même à devoir jouer les médiateurs, surtout en cas de conflit. «C’est souvent le comportement du locataire et ses fréquentations qui posent problème et engendrent parfois la rupture du bail. Quand les gens ont vécu dans la rue, il n’est pas rare qu’ils ramènent leurs anciens compagnons dans le logement. Cela peut entraîner des plaintes des voisins. Il n’est pas rare que j’intervienne personnellement pour éviter le clash.»
Difficile le métier de capteur? Pour Bruce Renson, ce n’est pas un job où l’on peut faire carrière. «Quand les gens ont un logement, ils sont heureux et moi aussi par ricochet. Mais on est en première ligne et il y a une certaine fatigue qui peut s’installer. Je constate qu’il n’y a que des jeunes qui sont capteurs et qu’avec trois ans d’expérience, je suis le plus ‘vieux’ dans la fonction.»