Également à Bruxelles, l’asbl Communa s’est fait, depuis plusieurs années, une spécialité de l’occupation «aux interstices». C’est-à-dire l’occupation de bâtiments en transition (en attente de travaux, d’un permis, d’une vente, etc.). Créée par cinq jeunes étudiants, l’asbl s’est dotée d’une solide réputation dans son domaine. Finies les occupations au pied-de-biche des premières années, aujourd’hui, les négociations avec les propriétaires se font avant l’entrée dans les lieux. «L’asbl a été créée en 2013 par nous cinq. On était en recherche d’un nouvel endroit où on pouvait vivre et réaliser des activités, raconte Sâm Rosenzweig, responsable des finances à l’asbl. Et on a été confronté à toutes les pro- blématiques que les étudiants rencontrent pour se loger: pas beaucoup de moyens pour se loger, et pas beaucoup de garanties à offrir au propriétaire.» Petit à petit, le groupe s’intéresse à la problématique des bâtiments vides à Bruxelles. La situation est alarmante, selon Communa, qui estime de 15.000 à 30.000 le nombre d’unités de logement inoccupées. Dix pour cent du parc de logements sociaux serait inutilisé. «C’est alors que l’on a appris qu’il y avait moyen d’avoir des conventions d’occupation précaire avec les propriétaires couvrant la durée où leurs biens sont vides. Des périodes qui vont en moyenne de six mois à cinq ans.» L’asbl va frapper à la porte des communes, des institutions. Elle envoie ses membres pour reconnaître de potentiels lieux vides pour joindre, par la suite, les propriétaires. «Petit à petit, on a fini par signer notre première occupation, boulevard du Triomphe, les anciens bureaux de la Western Union, un énorme bâtiment, 8.000 m2.» L’occupation aura servi à loger la petite bande et à rayonner dans le quartier au travers des activités culturelles et festives organisées. Aujourd’hui, six lieux sont gérés par les membres de l’asbl. La Serre, les Deux-Ponts, rue Gray 200, la Lisière ou encore la Buissonnière.
La Buissonnière est une ancienne école de la Communauté flamande. Située au numéro 21 de la rue du Monténégro, à Saint-Gilles, cette petite bâtisse de 645 m2 est occupée par Communa depuis octobre dernier. Le propriétaire est privé et assez ancien: l’Église catholique de Belgique. Installé dans son bureau au Centre pastoral de Malines-Bruxelles, Thierry Claessens explique pourquoi il a été convaincu par Communa. «L’école partait vers de nouveaux locaux, plus adaptés. C’était en octobre 2017. La commune de Saint-Gilles entame alors une série de travaux à l’arrière du bâtiment qui empêche tout accueil d’un public jeune. La durée des travaux est estimée à une bonne année. Soit autant de temps d’attente pour espérer reprendre possession des lieux. Attendre aussi longtemps, c’est le risque de voir l’école se dégrader. Et puis, ce n’est pas notre éthique vu la pénurie de logements à Bruxelles.» L’adjoint à l’évêque, chargé d’administrer les biens de l’Église, songe alors à faire occuper les lieux. Il envoie quelques mails, décroche son téléphone pour joindre l’asbl Habitat et Participation, qui lui suggère alors de se rapprocher de l’asbl Communa. Ils se rencontrent, visitent l’école et tombent d’accord. L’occupation commence le 19 octobre 2017.
«Il y a un contrat d’occupation précaire d’une durée d’un an. On s’interdit de réclamer le bien durant cette période. L’assurance, les taxes et impôts sont à notre charge. Le reste est à l’asbl, soit l’entretien, les consommations de gaz et d’électricité», précise Thierry Claessens, qui se dit positivement impressionné par les compétences de la jeune équipe. En cas de retard dans les travaux de la Ville, la convention prévoit une prolongation d’occupation mois par mois. Et la garan- tie que Communa restitue bien les lieux? «On se fait confiance, outre l’écrit qui encadre l’occupation, c’est suffisant.» Il y a aussi les recommandations. L’asbl Communa a débarqué avec une lettre de la directrice du Fonds du logement de la Région de Bruxelles-Capitale, Anne Musimu. La missive fait référence à une occupation temporaire d’un bien à Saint-Josse, une occupation qualifiée de «parfaite». «Le Fonds du logement recommande vivement l’asbl Communa aux pro- priétaires souhaitant se libérer des désagréments liés à l’inoccupation de leurs biens via une formule professionnelle et citoyenne», conclut le courrier.
Communa ou l’antiskwat bobo?
Il faut dire que l’argument du portefeuille fait mouche auprès des propriétaires. Un bâtiment inoccupé continue de coûter: assurance, impôt mais aussi amendes pour inoccupation. Le montant de cette pénalité s’élève à 500 euros par mètre courant de façade, multiplié par le nombre de niveaux inoccupés et le nombre d’années d’inoccupation. Et, bien que les sous-sols et combles non aménagés ne soient pas retenus dans le calcul, l’amende peut taper fort. Par exemple, à Bruxelles, un immeuble comprenant un rez-de-chaussée, plus trois étages, dont la façade mesure cinq mètres et dont deux étages sont vides, encourt une amende de 5.000 euros. Ce qui explique pourquoi de plus en plus de propriétaires n’hésitent plus à chercher activement des asbl comme Communa ou Woningen pour occuper leurs biens. Une situation qui laisse perplexes les squatteurs «old-school» qui ne supportent pas de voir Communa renier le pied-de-biche pour préférer une convention d’occupation avec les propriétaires. Pour s’en rendre compte, il suffit de naviguer sur les réseaux sociaux. Comme la critique d’un certain Oli Skwat, postée en octobre 2017, en pleine période de loi anti-squat: «Communa ou l’antiskwat bobo. Ils signent avec les propriétaires et les communes pour protéger les immeubles des mauvais skwatteurs. Qui les a vus dans la rue se battre contre ce projet de loi? Qui les a vus ouvrir des bâtiments pour ceux et celles qui en avaient vraiment besoin et qui ne jouent pas, eux, à la vie de bohème? Qui les a vus se battre pour autre chose que leur plaisir immédiat, leur confort personnel? Vous n’êtes que mensonges et paraître», conclut l’internaute.
«Des initiatives comme Communa ou Woningen, je pense personnellement que c’est très bien, observe Ludwig, de Namur. Mais c’est géré par des gens qui ont déjà un projet derrière, par des gens qui n’ont pas de problèmes d’assuétudes. Ce ne sont pas des gens du tout-venant, de la rue. Ici, dans notre squat, on a des gars qui ont un an, deux ans, voire sept années de rue», conclut-il. L’urgence n’est pas effectivement pas la même dans la rue d’Arquet à Namur que dans les structures occupées par Communa à Bruxelles.
Certes, quand on se rend dans les lieux de Communa, on s’aperçoit de la jeunesse des personnes participantes. À la Serre, par exemple, un ancien hangar d’Ixelles transformé en restaurant et espace de travail partagé, on croise facilement des visages jeunes, quelques MacBook, mais aussi beaucoup d’enthousiasme. Perchée dans les étages où l’on trouve l’espace du cotravail, Camille est la nouvelle graphiste de Communa. À l’âge de 28 ans, elle s’est engagée depuis quelques mois dans l’asbl. «Notre but est d’avoir un public le plus large possible», dit-elle. Au travers d’événements spécifiques aux lieux occupés, par exemple, «l’effet de Serre». Une sorte de grosse réunion qui permet de mettre tout le monde ensemble. Avec des gens comme Rami. Ce jeune Syrien de 26 ans est depuis deux années en Belgique. Il vivait dans la banlieue de Damas, «à 10 minutes de voiture de la Ghouta», là où pleuvent les bombes depuis le mois de février. Aujourd’hui, il travaille dans l’un des projets hébergés à la Serre, Our House Project, une cuisine qui embauche des réfugiés et qui nourrit tout le monde. On peut aussi parler de Fruitopia, qui collecte les fruits des marchés pour les transformer en confitures, ou de Café Babel, le magazine européen et citoyen, traduit en six langues. Communa a toujours associé les logements avec des activités culturelles. «Huit personnes sont hébergées dans nos murs», précise Joséphine, qui coordonne tout ce petit monde.
Un avenir pour l’occupation temporaire?
Avec une bonne vingtaine d’occupations partout dans Bruxelles depuis sa création, Communa justifie d’un bon bilan. Toutefois, et à l’instar de Woningen, l’asbl a encore du mal à transposer son modèle en dehors de la cité bruxelloise. «Le système de l’occupation temporaire est réplicable un peu partout car le problème de la vacance immobilière est très présent, affirme Sâm. On a déjà été contacté pour une occupation en dehors de Bruxelles. On a facilité un projet qui était vraiment à la campagne du côté de Hastière. Mais ce projet, finalement, n’a pas pris.» En cause, les acteurs sur le terrain ne sont pas parvenus à s’entendre…