Nicolas, 11 ans et demi, a exprimé son identité de genre dès qu’il a commencé à parler. «Il accordait tout au masculin: ‘je suis joli’; ‘je suis beau’, raconte sa maman, Caroline. À 4 ans, il a demandé quand son zizi allait pousser. Aujourd’hui encore, il se souvient du choc que cela a été quand il a compris que ça n’allait pas arriver…» Vers 8 ou 9 ans, celui qui s’appelait encore Léa continue de répéter tous les jours qu’il est un garçon. Enfant sociable et joyeux, il sombre à son entrée en cinquième primaire dans un état dépressif inquiétant. «Il pleurait tous les soirs! Il m’a dit: ‘Moi, je n’en peux plus d’être une fille’.» Sa demande principale est limpide: changer de prénom. «À l’école, ça n’a pas été très compliqué parce qu’au fond, ses copains le considéraient déjà davantage comme un garçon.» À la maison, Caroline a juste réclamé un peu de temps: «Au début, il m’arrivait encore de l’appeler Léa. Dans ces cas-là, il ne me répondait plus. On lui a dit: ‘On respecte ton parcours, mais tu dois nous laisser un peu de temps.’»
La lucidité et l’authenticité de ces enfants, capables de regarder au fond d’eux-mêmes très tôt, ne peuvent d’ailleurs qu’inspirer.
Caroline prend ensuite rendez-vous avec une psychologue spécialisée dans le genre. «À l’issue de la consultation, elle m’a dit: ‘Votre enfant n’a pas de problème. Il va super bien.’» C’est elle qui orientera Caroline vers Transkids. «Je dois dire qu’au début, j’avais des réticences par rapport au milieu militant: je ne voudrais surtout pas que la vie de Nicolas devienne un combat. Mais c’est justement ce que j’ai tout de suite aimé chez Transkids: c’est pétillant, léger.» Un positionnement revendiqué par les fondateurs de l’association qui, par exemple, ont fait le choix de ne pas relayer les informations relatives aux agressions subies par des personnes transgenres sur leur page Facebook. «On préfère partager des good vibes, même si en dessous il y a des luttes. C’est de la militance en sous-main», résume Daphné Coquelle.
La lucidité et l’authenticité de ces enfants, capables de regarder au fond d’eux-mêmes très tôt, ne peuvent d’ailleurs qu’inspirer. «Nicolas m’a demandé un jour: ‘Toi, maman, tu t’es déjà posé des questions sur ton genre?’ Je lui ai répondu que non, jamais. Et là il m’a dit: ‘C’est exactement comme moi. J’ai toujours été sûr à 100 % que j’étais un garçon’», raconte Caroline. «Beaucoup d’enfants s’identifient à l’autre sexe dès l’âge de 2 ans et demi ou de 3 ans. Mais tout dépend de l’exprimabilité de la chose», rappelle la fondatrice de Transkids. Une exprimabilité qui dépend à la fois des capacités propres de l’enfant, mais aussi de son entourage: pour être vraiment dite, une vérité doit en effet pouvoir être entendue. Le rôle des parents est alors primordial. «Dès qu’on a permis à Nicolas de s’appeler Nicolas, il s’est métamorphosé. Il a commencé à aller très bien, alors qu’il était très très mal», se souvient Caroline.
Liant et communicatif, Nicolas a aussi de la suite dans les idées. Plus tard, il voudrait des enfants, même s’il a toujours dit qu’il désirait que ses enfants «aillent dans le ventre de sa femme». Il s’imagine en père moderne, qui fera à manger et ira rechercher les petits à l’école. Si son don pour la guitare pouvait l’orienter vers une carrière de musicien, il penche aujourd’hui pour un métier plus rémunérateur «car mes traitements coûteront cher et mes parents ne seraient pas toujours là». Cet été – le rendez-vous a été pris depuis de très longs mois –, Nicolas a d’ailleurs rendez-vous à l’hôpital universitaire de Gand, spécialisé dans la prise en charge des enfants transgenres et notamment dans les traitements hormonaux qui permettent de retarder la puberté. En mettant la puberté en «pause», ces traitements permettent aux enfants transgenres de ne pas développer de caractères sexuels secondaires (pilosité, mue de la voix, poitrine…), ce qui rendra leur apparence plus conforme à leur genre si leur demande se confirme. Du reste, comme le rappelle Daphné Coquelle, nulle obligation d’avoir le corps «conforme» à son identité de genre: certains ne feront pas ce choix. Pour Cybèle, maman d’un garçon transgenre de 10 ans, il est important de distinguer le corps et le genre. «Moi, j’aimerais qu’il puisse se définir comme un garçon tout en ne se sentant pas gêné d’avoir de la poitrine. Dans certaines tribus d’Amérique latine, on décide du genre de l’enfant selon sa place dans la fratrie.»
Caroline, elle, attend d’en savoir plus pour décider avec son fils Nicolas de la direction à prendre. «Ces traitements bloquent aussi la croissance. Or, pour un garçon, ce n’est pas toujours évident d’être petit. Mais je dois dire qu’aujourd’hui, je redoute le moment où ses règles vont arriver. Aujourd’hui déjà, ça devient difficile pour lui car il voit son corps changer. Il a des hanches, et c’est compliqué de lui trouver des pantalons de garçon. On a aussi acheté des binders sur Internet, des brassières qui permettent de camoufler la poitrine.» À l’aube de l’adolescence, Nicolas aimerait surtout se trouver une amoureuse. Une amie de sa maman lui a appris que, pour draguer les filles, il fallait les écouter et montrer que ce qu’elles disent est passionnant… La technique s’est pour l’heure révélée relativement inefficace avec la fille de ses rêves. «Je croyais que c’était chouette d’être amoureux, mais, en fait, c’est horrible. Je souffre!», a-t-il dit à sa maman, la main sur le coeur.