Si Jerry a pris la décision de venir de son plein gré à Trempoline, il reconnaît aujourd’hui que cette première phase a été extrêmement compliquée à vivre à ses débuts. «J’avais l’impression de me retrouver parmi les extraterrestres. Je me demandais où j’étais tombé, plaisante-t-il désormais. Les exigences étaient telles! J’avais le sentiment que cette ‘routine’ imposée entre 6 h et 21 h chaque jour était assez exagérée… Je n’en comprenais pas le sens, mais au fur et à mesure, en prenant mes marques, j’en ai saisi tout l’intérêt. Il fallait s’accrocher, car le changement fait peur.»
Un sentiment partagé par Younès, lui aussi arrivé en février 2020. Le premier objectif de l’homme était simple: sortir de prison. À Trempoline, 45 % des entrées se font sur la base d’une injonction judiciaire.
«J’avais l’impression de me retrouver parmi les extraterrestres. Je me demandais où j’étais tombé Les exigences étaient telles! J’avais le sentiment que cette ‘routine’ imposée entre 6 h et 21 h chaque jour était assez exagérée…» Jerry
Pour lui aussi, les débuts ont été très durs. «La thérapie est très difficile par rapport au cadre à respecter à l’intérieur, par rapport au travail émotionnel qu’on doit mener. Tout cela était nouveau pour moi. J’ai passé deux mois à l’accueil où j’ai été confronté à ce cadre, et je n’avais pas d’autre choix, sans quoi c’était retour à la case prison. J’avais beaucoup à perdre, sans être encore conscient de ce que j’allais gagner ici. Mais au fur et à mesure, une fois que tu acceptes les outils qu’on te propose, que tu acceptes le changement, tu ne vois pas le temps défiler.»
Ensuite arrive la phase de la communauté thérapeutique. Cette étape constitue «une école de vie», comme l’explique la directrice de l’institution dans laquelle chaque résident apprend à se connaître, à prendre conscience de ses besoins, à communiquer, à vivre en groupe, à s’occuper de soi, à reprendre du plaisir à vivre sans drogues. «On revisite vraiment les croyances des personnes. Plus longtemps vous êtes en communauté thérapeutique, plus vous avez de chances de moduler votre personnalité toxicomane», ajoute Natacha Delmotte.
«En communauté, il faut gérer le groupe, arriver à revoir ses rapports avec les autres, tout en se recentrant sur soi-même. Plus on avance en nous, plus on voit le changement. Parfois, il n’apparaît pas comme cela, ce sont souvent les pairs qui vous ramènent à l’essentiel, au changement qu’on porte en soi», relève, de son côté, Jerry.
«Le fait d’être ensemble permet une observation des individus dans leur globalité: comment ils créent des relations entre pairs mais également avec l’équipe éducative, comment ils travaillent, comment ils entretiennent leur habitat, comment ils participent aux activités, aux réunions, aux groupes, etc.», renchérit la directrice Natacha Delmotte. La communauté offre de surcroît au bénéficiaire la possibilité d’appartenir à un groupe, d’être chez soi, de façon similaire à une vie de famille, structurante, offrant une sécurité indispensable à tout changement personnel. L’affiliation à un groupe de pairs est le premier pas indispensable pour aider le bénéficiaire à retourner dans la société. «La prise de responsabilité à travers des activités quotidiennes, l’entraide et le respect de soi et d’autrui, la confrontation progressive à la vie extérieure sont les moteurs de la thérapie», poursuit-elle.
Quant à la dernière étape, celle de la réinsertion, elle accompagne le résident dans son évolution vers l’autonomie en tenant compte de sa situation personnelle. «En réinsertion, c’est nous qui posons le cadre, et le staff est là pour remettre les balises, si besoin. On planifie tout, heure par heure, car il est important pour un toxicomane de savoir de quoi seront faites ses journées», résume Jerry.
«À l’accueil, les résidents ne sortent pas ou alors accompagnés d’un professionnel de l’institution. En communauté, ils peuvent commencer à sortir ou passer le week-end en famille. En réinsertion, le cadre s’ouvre encore davantage. Forcément, il y a plus de risques, mais on prépare au maximum la personne pour qu’elle puisse poser ses propres limites», indique Domenico Senese, responsable de ce secteur.
Après trois semaines en réinsertion, chaque résident devient en outre résident-animateur: «Tu retournes à l’accueil où tu fais partir du staff d’éducateurs, histoire de partager ton expérience avec les nouveaux résidents. En fin de compte, en tant que toxicomanes, nos vies se rejoignent, se ressemblent, malgré des parcours personnels parfois différents. J’ai pu mesurer le changement. Quand je vois les gens qui arrivent à l’accueil, j’ai du mal à réaliser que j’étais comme cela au début. Je me retrouve avec mon ancien référent dont je rejetais au début l’autorité. Je me retrouve aujourd’hui à rappeler les règles, remettre le cadre auprès des nouveaux résidents», raconte Younès.