Voisin-âges. Vieillir parmi ses voisins

Voisin-âges. Vieillir parmi ses voisins

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Voisin-âges. Vieillir parmi ses voisins

À Meix-devant-Virton, en Gaume, un groupe de seniors pas comme les autres a décidé de vieillir hors des sentiers battus. Ils vivent au sein d’habitats solidaires indépendants, mais regroupés dans la même rue. Les maîtres mots sont solidarité, autonomie et humour. Car ils en sont sûrs: les maisons de repos, ce n’est pas pour eux.

Sang-Sang Wu Images : Pierre Vanneste 26-04-2022
Côte à côte

Il est pile midi, en ce lundi 14 mars. Françoise et Lutgarde sont assises côte à côte, sur le petit banc placé devant la salle commune où sont pris les repas du midi. La façade de la maison qui l’abrite est irradiée par les rayons du soleil arrivé prématurément cette année. Le facteur termine sa tournée matinale, salue les deux dames et distribue le courrier du 249 de la rue Savelan, à Gérouville, dans la commune de Meix-devant-Virton. Parmi les prospectus et les lettres s’est glissé le journal de la Mutualité chrétienne, En marche, où il est notamment question d’âgisme et de stéréotypes liés à l’âge. «Décidément, c’est un sujet dans l’air du temps!», s’exclame Françoise, 74 ans.

Avec trois autres habitants du même âge, Françoise Urbain a fondé l’asbl Voisin-âges et un collectif d’habitats éponyme. Elle connaît Lutgarde Dumont, Anne Renoird (dit «Nanou») et Bruno Carton depuis des dizaines d’années, mais c’est en 2019 qu’ils décident, tous ensemble, de sauter le pas. Leur intention est de créer un îlot villageois où il fait bon vieillir. Très concrètement, le projet intergénérationnel regroupe sept habitants qui peuvent compter les uns sur les autres. «Le groupe compte actuellement quatre personnes âgées, deux plus jeunes adultes et un enfant. Les implications de chacun sont fort diverses, elles vont du tout à presque rien…», précise Françoise.

Pour comprendre la genèse du projet, il faut remonter en 2015. C’est alors qu’un petit groupe informel d’une douzaine de personnes appelé «Les Artisans de notre vieillir» amorce une réflexion autour de la vieillesse et de ses nombreux enjeux (traitements médicaux, devenir du patrimoine, risques de chute, désorientation, etc.). Il se voit régulièrement chez l’un ou l’autre pour en discuter à cœur ouvert, sans tabou ni peur, avec humour ou émotion. «Ces réunions sont devenues les temps forts de nos jours. Nous voulons nous épauler les uns les autres et nous interpeller si l’un de nos compagnons de route perd courage. C’est une sorte d’engagement à l’interpellation.» C’est ainsi que, peu à peu, émerge l’idée de vivre tout près les uns des autres et de s’entraider au quotidien pour affronter la vie.

Ces habitats d’environ 50 mètres carrés ont beau être solidaires, ils sont indépendants et chacun comprend une salle d’eau et une cuisine. Leur force? La proximité géographique, puisqu’ils sont tous situés à la rue Savelan du hameau de Gérouville. «Nous démarrons avec ce qui est: des maisons pas très riches et anciennes, dans une rue en pente. Nous essayons, avec des moyens financiers peu importants, d’adapter le mieux possible des logements individuels. Les bâtiments que nous occupons appartiennent à deux propriétaires différentes qui font partie du projet.»

Un maillage de solidarité

«La vieillesse autogérée demande la mise sur pied d’un certain nombre d’outils: le choix d’une structure juridique commune aux différents habitats en vue d’acheter d’autres maisons et de faire les transformations nécessaires, une charte de vie, des référents, un comité d’éthique, un comité des habitants, un mixage des âges et l’équilibre du donné-recevoir.» Car une des particularités du projet Voisin-âges est qu’il est géré par les occupants eux-mêmes, soutenus par un vaste réseau. La solidarité et l’aspect collectif étant au centre du projet, les habitants cherchent naturellement à faire corps avec les initiatives locales.

Un «entourage allié» composé d’acteurs locaux comme la ferme du Hayon à Sommethonne, le collectif Gâche Warache à Chiny, l’asbl La Veillée à Poncelle, le Centre de partage à Avioth (de l’autre côté de la frontière française), le réseau Solidairement ou encore l’Épicentre, l’épicerie citoyenne de Meix-devant-Virton. Et, comme il n’y a pas de hasard, la fondatrice de ce commerce de proximité n’est autre que Françoise. Depuis toujours ou presque, son engagement militant la pousse à créer des projets visant à retisser du lien et à replacer l’humain et le vivant au centre.

C’est donc avec l’aide des habitants du coin qu’elle a donné un nouveau souffle à cette petite épicerie qui ne trouvait pas repreneur. Une absolue nécessité pour les personnes âgées, non motorisées et isolées. Il faut dire que Meix-devant-Virton est une commune rurale de 2.800 âmes, difficilement accessible en transports en commun, bien que située à seulement huit kilomètres de Virton. Implanté au cœur de Meix, l’Épicentre est un lieu de soutien à l’agriculture paysanne. Les producteurs locaux y sont privilégiés ainsi que les produits du commerce équitable, même s’il reste difficile de faire changer les mentalités en matière de consommation. Il faut dire qu’on revient de loin. Pendant longtemps, l’ancêtre de cette épicerie ne vendait que des produits issus de la grande distribution.

Pour Françoise et ses comparses de la «bande des quatre», s’inscrire dans une dynamique d’initiatives porteuses de valeurs de solidarité, d’entraide et de partage, c’est fondamental. «Étant donné nos revenus modestes de retraités, nous devons maintenir un prix bas pour le coût de notre vie au quotidien. Et, comme nous sommes inscrits en bonne place dans les réseaux locaux de solidarité, nous comptons sur celle-ci pour notre vieillesse. Qui aurait cru que l’Épicentre fonctionnerait toujours en s’appuyant sur la présence de bénévoles? Qui aurait prédit plus de 40 ans d’existence au Centre de partage d’Avioth, en ayant uniquement des bénévoles à l’accueil de celui qui passe? La solidarité, ça fonctionne!»

Avec le CPAS de la commune de Meix-devant-Virton, les relations sont cordiales. Sans plus. Même si la présidente du centre public d’action sociale, Patricia Richard, est administratrice de l’asbl Voisin-âges, ses membres ne se font pas d’illusions quant à un soutien qui serait autre que moral. Ils veulent rester maîtres de leur projet et ne prétendent donc pas aux subsides publics qui les obligeraient à respecter certaines normes contraignantes et non utiles.

Dignes, autonomes et libres

Il est 12 h 30. L’heure du dîner a sonné. Lutgarde fait gaiement tinter une petite cloche suspendue au-dessus de la porte d’entrée du local commun. Le lundi, c’est à son tour de préparer le dîner pour le quatuor. Une organisation bien rodée qui sait aussi s’adapter aux éventuelles contraintes temporelles des uns et des autres. Aussitôt le signal donné, Bruno et Nanou font leur entrée dans la salle à manger. La table est dressée sobrement, le four dégage une chaleur réconfortante et exhale une odeur de plat gratiné.

Avant d’honorer le repas soigneusement préparé par Lutgarde, ils se recueillent en eux-mêmes et entre eux. Cette parenthèse enveloppe chaque personne autour de la table dans un silence méditatif de quelques minutes. Ce qui permet d’observer sa météo interne et d’établir une connexion à l’instant présent. Ce jour-là, un gratin d’avoine nue, du chou rouge et des poireaux au beurre sont au menu. Tout le monde se régale et félicite la cuisinière. Ces dîners quotidiens sont comme des moments suspendus auxquels tout le monde semble tenir très fort.

Pour ces seniors qui veulent vivre leur vieillesse autrement, la maison de repos n’est pas une solution envisageable. «En premier lieu parce que nous n’avons pas l’argent pour entrer en maison de retraite», admet Françoise. Mais, surtout, ils veulent conserver leur autonomie le plus longtemps possible. Il a donc fallu imaginer et créer une alternative sur mesure aux structures d’hébergement traditionnelles. «Comme s’il n’y avait que les maisons de repos comme solution… La vie dans ces endroits, on n’en veut pas. C’est pour ça qu’on s’est dit qu’il fallait organiser autre chose», résume Nanou. Les porteurs de ce projet ne sont pas contre le recours à des professionnels du soin à domicile dans l’organisation du quotidien, mais l’idée est de pouvoir rester dignes, autonomes et libres.

Les référents, ces piliers

Il est 13 h 30, le repas s’achève comme il a commencé. Lutgarde s’attaque à la vaisselle, rapidement secondée par Bruno qui vient prendre la relève, car il sait que son amie a un bus à prendre pour aller passer quelques jours chez sa fille. De son côté, Nanou entreprend de nettoyer les taques de cuisson avant de traverser la rue pour rentrer chez elle. La jeune mamy a divisé son logement et a aménagé un studio indépendant au premier étage de sa petite maison. C’est sa fille de 39 ans et sa petite-fille qui y vivent pour l’instant. «Il y a une belle réciprocité entre nous: je fais à manger, je m’occupe de ma petite-fille quand sa maman n’est pas là. En contrepartie, elle m’aide à rentrer mon bois pour le feu et elle me donne un coup de main dans le jardin. Ça me rassure qu’elles soient là, et surtout, la vie est bien plus gaie comme ça.»

Pour entourer Nanou, il y a aussi Benoît, la quarantaine, qui est souvent là pour rendre l’un ou l’autre service. Il fait partie du projet Voisin-âges – «côté jeunes» – et vit dans sa caravane, à deux pas de chez elle. C’est l’un des deux référents de la septuagénaire. Dans la charte fondatrice qui balise les valeurs du projet, il est prévu que des personnes référentes encadrent les quatre seniors. Il s’agit de personnes plus jeunes (habitant sur place ou non) qui peuvent occuper le rôle de personnes de confiance en cas de pépin. Elles peuvent rencontrer les soignants, en accord avec la famille. «Elles accompagnent le groupe des habitants et remplissent des tâches comme une aide hebdomadaire ou mensuelle au nettoyage, la préparation de repas, une aide à la mobilité des habitants ou encore simplement une présence chaleureuse. Tous les groupes comme les nôtres ont intérêt à avoir un bon réseau parce que c’est grâce à lui que le projet résiste. Les référents en sont le noyau dur, car, sans eux, cela ne serait probablement pas jouable.»

«On s’est choisis mutuellement. Ce sont des gens des environs à qui on peut faire un peu plus appel qu’à d’autres. Idéalement, il faut aussi qu’ils soient un peu plus jeunes que nous, pour qu’ils ne meurent pas tout à fait en même temps que nous!», explique très sérieusement Lutgarde, ce qui fait aussitôt rire aux éclats ses compagnons de route.

Sans avoir besoin de verbaliser leurs actes ou de les mettre en avant, les habitants de Voisin-âges cohabitent dans la paix, vaquent librement à leurs occupations respectives, tout en se montrant disponibles, comme s’il n’y avait rien de plus naturel au monde.

Se passer du capitalisme

Vers 14 h, Françoise file à l’extérieur. Direction: la serre fabriquée grâce à des fenêtres récupérées. Le printemps est à nos portes, il faut penser aux semis. «Françoise et Bruno arrivent à être plus ou moins autonomes en légumes», explique Nanou, admirative. Car, en plus des bâtiments de l’ancienne ferme traditionnelle, le projet compte des annexes agricoles (une grange et trois hangars), des morceaux de prairie, des jardins, dont certains ont été transformés en potagers. Françoise n’est pas issue du monde agricole, à la base. Mais, dans sa vie adulte, l’agriculture a pris une place prépondérante. «Ma famille vient du Borinage. J’ai toujours été désireuse de prendre les choses à la racine, de commencer au début. J’étais mariée à quelqu’un qui était psychologue, comme moi. Rapidement, on s’est dit qu’on voulait vivre de la ferme.»

Sans un sou et sans connaissances agricoles, le couple fonce tête baissée et tente une levée de fonds. Françoise a toujours eu une longueur d’avance sur la société. En 1975, elle monte, avec son époux, une coopérative qu’elle nomme Les Racines. L’objectif financier atteint, six hectares sont achetés du côté de Tournai. «On avait deux vaches, des légumes, des patates. On accueillait les coopérateurs à la ferme. Mais on ne savait rien, on n’avait pas d’outils, on était très marginaux, sourit Françoise. Bien des années après, j’ai fait la ferme avec un éleveur qui avait 150 têtes de bétail en bio. Bah… C’était moins bien.» Aujourd’hui, l’ancienne agricultrice met ses connaissances et son expérience agricole au service du projet Voisin-âges puisque ses membres se nourrissent notamment du fruit de son travail de la terre.

«Le week-end dernier, on était au chantier bois de la ferme du Hayon, située juste à côté, raconte Françoise, en tamisant avec précaution la terre destinée aux semis. On a fait la cuisine bénévolement pour tout le monde. En échange, les agriculteurs nous vendent du bois trois fois moins cher que le prix habituel. On essaie qu’il y ait le moins d’argent possible entre nous. L’objectif est de vivre enfin comme on l’entend. Autrement dit, c’est essayer de se passer du capitalisme. J’ai fait la ferme pendant 20 ans dans ce but.» Et quand on lui demande si elle y est parvenue, la soixante-huitarde qui sommeille en elle reste étrangement laconique: «Oui, on y arrive. Enfin… Un peu, quoi.»

Loin de se limiter aux questionnements strictement prosaïques, les membres de Voisin-âges veulent susciter un questionnement autour des chemins de vieillesse. Ils ont une conception sereine de la mort et accordent beaucoup d’importance à la dimension spirituelle. «L’énergie spirituelle a sa part de mystère et tend à nous rendre plus humbles. Elle pourrait devenir notre confiance de base. Elle peut concerner tout ce qui nous habite. Elle n’est pas synonyme de religieux, mais c’est bien quelque chose qui est relié à plus grand que nous.»

La vieillesse est envisagée comme une expérience à part entière, prenant la forme de dents de scie. Elle n’est pas seulement physique, elle est également existentielle, relationnelle et identitaire. On ne reconnaît plus son corps ni sa tête, devenus fragiles et vulnérables. «Il y a des étapes, dans la vie, résume Nanou. Pour le moment, ça va, je me déplace toujours grâce à ma mobylette. Mais je sais que je ne l’aurai sans doute pas jusqu’à mes 80 ans. On verra à ce moment-là, je m’adapterai.» Avec les autres membres du collectif d’habitats Voisin-âges, un gros travail est réalisé pour accepter ce qui est, tout en lâchant prise sur ce qui nous échappe.

Dans une société où vieillir fait peur et où le vieillissement a tendance à être caché, masqué et mis de côté, ce type d’initiatives permet de dédramatiser et de démystifier la fin de vie. La bande des quatre souhaite jeter les bases d’un processus du bien-vieillir. Notamment à travers la non-identification à son corps. «C’est un vœu pieux. Dans nos sociétés, je suis mon corps, il me représente. C’est un long et difficile apprentissage qui s’adoucit probablement en repérant, durant notre temps de vieillesse, la présence des autres composants de notre être.»

Rires et rite funéraire

Ici, il n’y a pas de sujet tabou. On parle ouvertement de fin de vie, d’euthanasie, d’acharnement thérapeutique (dont ils ne veulent pas), de déshumanisation des lieux de soins, de désirs quant aux funérailles, de la toilette du mort, etc. «Cela ne nous fait pas peur. Mais on comprend que cela n’est sans doute pas le cas de tout le monde. Certaines personnes sont parties de notre groupe, car elles trouvaient que parler de la mort, c’était trop dur émotionnellement. On échange des choses intimes et personnelles, c’est plus intéressant d’en parler que d’en faire un sujet tabou», estime Nanou.

Comme ses amis, elle compte sur ses référents et sa famille pour transmettre ses dernières volontés, si un jour elle devait perdre sa clairvoyance. Quand la mort n’est plus crainte, elle est considérée comme le geste ultime de liberté qui met un terme à une vie bonne et juste, indépendamment du chagrin et de la peine. «La (sur)vie à elle seule n’a pas de valeur absolue. Pour nous, ce qui compte, c’est la qualité de la vie et cela, jusqu’au dernier souffle. Laissez-nous mourir quand le moment est venu, écrivait Françoise, en juin 2020, sur le blog du groupe. Dans d’autres cultures, on accepte que la mort fasse partie de la vie. J’essaie de transmettre ça à ma petite-fille de 7 ans. L’autre jour, elle m’a fait rire en disant: ‘Quand toi tu seras morte, et maman aussi, j’aurai la maison pour moi toute seule!’» La grand-mère en rit encore.

Les membres de ce «home de vieux pas comme les autres» prônent un mode de vie frugal et souhaitent avant tout continuer à expérimenter cette sobriété heureuse. Leur objectif n’est pas non plus de créer un entre-soi, mais bien de se tourner vers une solidarité et une complémentarité intergénérationnelles. L’intention est de grandir et de s’ouvrir à toutes les générations. Ces aînés comptent sur les plus jeunes, mais ils donnent aussi volontiers de leur temps, de l’accueil, de l’écoute. Ils sont prêts à assurer certains services, et surtout de transmettre leurs engagements militants, leur sagesse ou tout simplement ce qu’ils ont appris de la vie, après l’avoir côtoyée durant autant de décennies.

«Nous espérons nous agrandir en construisant ou en rachetant des bâtiments existants et en permettant à d’autres personnes de nous rejoindre. Nous avons bien besoin des autres, de rester ouverts sur le monde. C’est d’abord pour les générations qui nous suivent. Parce que, quand on est jeune, on n’est pas conscient de ce qui nous attend. On a l’impression d’avoir tout le temps. On le sait: on s’est nous-mêmes fait ces réflexions, à l’époque…»

L’habitat kangourou: une opération gagnant-gagnant

Réinventer le logement pour personnes âgées semble primordial, au vu du vieillissement de la population et du manque de structures adaptées. Des projets innovants en matière d’habitat groupé et solidaire fleurissent çà et là, comme à Gérouville. D’autres choisissent l’habitat intergénérationnel, parfois appelé «habitat kangourou». La personne âgée partage alors son logement avec quelqu’un de plus jeune. Les uns et les autres se rendent des services, en fonction de leurs possibilités et de leurs envies. L’économiste belge Philippe Defeyt a opté pour cette solution. Selon lui, on ne doit pas encourager le modèle des maisons de repos. «Jamais je n’accepterai de considérer qu’une chambre de 15 mètres carrés est un logement. Personne ne reçoit ses amis dans sa chambre. Une chambre dans une maison de repos n’est donc pas un logement. Aujourd’hui, certaines innovations permettent de rester chez soi tout en étant sécurisé.» Quand son épouse et lui ont fait part de leur projet à leurs proches, certaines craintes ont été formulées. «On m’a demandé si on allait partager la même cage d’escalier, et j’ai répondu que c’était justement ça, l’intérêt! Ce n’est pas pour ça que l’on vit les uns sur les autres. On échange dans le couloir comme deux voisins le feraient sur un trottoir.»

L’économiste ne minimise pas le coût financier lié à la division d’un logement: «Cela nous a pris deux à trois ans, et les travaux ont coûté relativement cher, car on voulait créer un logement énergétiquement performant pour nos locataires. Il y a des obstacles financiers à lever. C’est pourquoi je plaide pour un accompagnement technique par les autorités publiques, si on veut vraiment susciter un engouement pour cette formule. Elles ont la responsabilité de soutenir certains choix via des aides et des conseils. Elles le font déjà, mais ce n’est pas suffisant. Dans certaines communes, la division des logements n’est pas encouragée, elle est même freinée par la politique locale d’urbanisme.» Pourtant, l’opération ne comporterait que des avantages. Elle répond non seulement à un manque de logements accessibles, mais elle permet aussi de les rénover pour arriver à une meilleure performance énergétique. Enfin, la personne âgée peut rester chez elle, grâce à un entourage bienveillant. «Les mentalités évoluent. Les générations se suivent et ne se ressemblent pas: celles qui arrivent aujourd’hui à l’âge de la pension sont forcément plus ouvertes à ce genre de formules et accepteront de moins en moins de se laisser imposer un modèle.»

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste (social, justice)