À l’initiative de la Fapeo, des parents anderlechtois ont épluché le journal de classe de leurs enfants pendant 11 semaines. La moitié des cours de math n’ont pas été dispensés ainsi que plus du tiers des cours d’anglais, de français, de néerlandais et de religion. Les soldes continuent sur le reste du programme: réduction de 10% en bio, géo et physique. De son côté, l’Adibra, qui fédère les directions des écoles secondaires catholiques, a réalisé un coup de sonde auprès de ses membres: 70% ont répondu. Au premier mars, 1.200 heures de cours n’étaient pas prestées à Bruxelles, soit l’équivalent d’environ 156 temps pleins.
Évaluer l’ampleur de la pénurie avec précision, le nombre de cours non dispensés, les écoles et les matières touchées, demeure une gageure. «Il n’est pas possible de fournir des données relatives aux emplois qui seraient non pourvus, nos services ne disposant pas, à l’heure actuelle, d’une application informatique permettant de collecter de manière centralisée ce type de données. Cette application est à l’étude mais ne serait pas opérationnelle avant un délai estimé de trois ans», assène le service presse de la Communauté française! Michel De Herde, échevin de l’Enseignement à Schaerbeek (DéFI), se rappelle une époque lointaine où les écoles faisaient preuve d’une grande pudibonderie concernant la consommation de haschisch dans les établissements scolaires. «C’est le même tabou avec la pénurie. C’est un relent du marché scolaire où chaque réseau se bat pour avoir des élèves, où chacun a peur de perdre de l’attractivité, et donc des moyens. Soyons adultes, on ne peut pas trouver des solutions sans mesurer le problème.»
«Le Pacte aura, à terme, pour effet d’augmenter nos besoins en enseignants.», Marie-Martine Schyns, la ministre de l’Enseignement (cdH)
Aucune pénurie, en revanche, n’est à signaler du côté des élèves! Après des années de déclin démographique, la Région bruxelloise est confrontée à une importante augmentation de sa population. Quelque 20.000 nouveaux élèves auront intégré le système entre l’année scolaire 2013-2014 et 2019-2020, selon une étude commandée par la Région en 2016[1]. Après les maternelles et le primaire, la croissance commence à se faire sentir dans le premier cycle du secondaire. Les chercheurs se sont livrés à des calculs complexes pour estimer le nombre de professeurs qui entreront sur le marché et ceux qui en sortiront à l’horizon 2019-2020 et ont comparé ce résultat à l’augmentation des besoins démographiques. Ils s’attendent à un déficit situé dans une fourchette de minimum 160 à maximum 1.064 profs à temps plein. Dans l’estimation minimale, les chercheurs ont réalisé leurs projections en partant du principe que le cadre de 2013-2014 était suffisant pour assurer les cours. Or on sait qu’à l’époque déjà des classes restaient trop souvent vides. Dans l’estimation maximale, les chercheurs ont évalué le nombre de professeurs supplémentaires nécessaires en 2019-2020 pour que tous les cours soient toujours dispensés sans aucune défection.
La pénurie d’enseignants risque bien de s’aggraver dans les années à venir. Aux besoins liés à la croissance démographique, il convient d’ajouter ceux que les réformes de l’enseignement engendreront. «Le Pacte d’excellence aura, à terme, pour effet d’augmenter nos besoins en enseignants», admet Marie-Martine Schyns, la ministre de l’Enseignement (cdH), interrogée devant le parlement au printemps[2].
Pénurie à tous les étages
«On n’a jamais vu autant de nouvelles têtes à notre séminaire annuel des directeurs!» Patrick Dekelver, président de l’Association des directeurs de l’enseignement secondaire libre de Bruxelles et du Brabant wallon, s’inquiète de la rotation à la tête des écoles. Même son de cloche dans le réseau communal où on signale plusieurs établissements restés sans direction une majeure partie de l’année à Bruxelles et à Namur. «Gérer une école revient à gérer une petite entreprise. C’est une charge de travail énorme pour une différence de salaire peu attractive», pointe Serge de Patoul (Défi), échevin de l’Enseignement à Woluwe-Saint-Pierre, qui cherche toujours un directeur pour le centre scolaire Eddy Merckx. Un avant-projet de décret est en cours de négociation pour assouplir les règles de recrutement. Ce texte inquiète la CGSP qui craint qu’on n’ouvre la porte à des candidats insuffisamment qualifiés.
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