ýchapper à la fatalité du surcoût croissant du logement locatif, spécialement en Brabant wallon, tel semble le pari qu’ont choisi, voilà plusd’une année et demie un trio de Braban*ons à Louvain-la-Neuve, cité universitaire dont les terres sont sous l’autorité de l’«Alma Mater»,l’Université catholique de Louvain (UCL). Le pas fut franchi avec la démarche de squatter au départ une maison sous propriété UCL, vidée peu avant deses étudiants arrivés en fin de bail. Les trois se domicilièrent rapidement, prenant ainsi pied dans les lieux en les baptisant la «Zone okupée»1.D’autres personnes, candidates au «logement alternatif», s’installèrent rapidement dans les maisons voisines. Une communauté se mit à fonctionner quicomptait, avant l’été, pas moins de trente personnes, enfants compris.
Quelques jalons…
L’action ouvrit rapidement sur une série de démarches administratives et une procédure en justice de la part de l’UCL. Celles-ci visaient d’une part àfaire reconnaître insalubres les demeures et, d’autre part, à chasser dans un court délai les habitants, comme il se doit dans la plupart des cas avec ce type de relation depropriétaire à occupants indésirables.
Ainsi, côté propriétaire justement on retiendra pour rappel les quelques étapes suivantes. Accord tacite quant au séjour des premiers occupants, sous la conditionque le phénomène ne s’étende pas; ce qui ne fut pas le cas. D’où: maisons murées, un toit et un plancher défoncés par des ouvriers del’UCL. Début mars, le permis d’abattage est octroyé par la Région wallonne et reconnu par le ministère des Équipements et du Transport. S’ensuitune requête unilatérale au tribunal de Nivelles pour embrayer sur une expulsion, tôt avortée par la réponse juridique des occupants précaires: le jugement estcassé en référé. Le sursis se prolonge.
À présent le groupe a jusqu’au 31 octobre à minuit pour quitter les maisons avant expulsion. Quant aux autres, les non-domiciliés, ils sont expulsables à toutmoment depuis le 10 juillet. Enfin, l’éventualité d’une «trêve d’hiver» laissant en paix les habitants jusqu’au printemps futévoquée en justice. Mais «juridiquement ce n’était pas défendable», explique Simon. Le sursis d’un an demandé par l’avocat fut doncestimé déraisonnable par le juge.
Illégaux, oui… mais l’accès au logement?
Si le caractère illégal d’une démarche de squat est inévitable avec les mesures juridico-policières qui s’ensuivent, il semble toutefois que cetépisode s’inscrit en filigrane dans l’évolution culturelle et socio-économique désormais caractéristique en Brabant wallon. Est-il en ce sens possiblede lire cette situation néolouvaniste comme une conséquence ou un exemple de la problématique aiguë de l’état de l’accès au logement en jeuneProvince?
Íour les squatteurs, les tentatives d’habiter en appartement n’ont pourtant pas manqué. Aurélie relate son parcours récent. «L’appartement que jelouais à Mont-St-Guibert me prenait le tiers de mes revenus! insiste-t-elle. En plus des contraintes du propriétaire, il n’y avait pas de jardin. Et surtout, le problème dela garantie locative de trois mois. J’ai obtenu l’avance du CPAS mais il faut les rembourser chaque mois. Cette méthode fait peur au propriétaire; or pour que le prêtse fasse, il faut son accord et vice versa. C’est un cercle vicieux! En plus, quand tu déménages, tu n’en as plus. Tout est à refaire. Et avec la consommationd’électricité, les charges, je me suis endettée. Si tu veux voyager, tu dois quand même continuer à payer, ici non», achève-t-elle.
Roulottes et caravanes
À côté de ceci, les roulottes et caravanes ne cessent de séduire. Elles semblent offrir, au-delà du mythe de voyage et de nomadisme un peu rose, un ancrage concretdans un mode de vie que ces occupants précaires considèrent plus en phase avec leur idéal de solidarité tant populaire que communautaire. Question de choix apparemment.Simon, qualifié en menuiserie, autodidacte avec plusieurs autres occupants en mécanique automobile, plomberie ou soudure, explique: «je n’ai jamais envisagé de louerquelque chose, il y a trop de spéculation dans la région. C’est d’ailleurs le motif de notre expulsion. La plupart ont fait un choix, appuie-t-il. Vivre àl’extérieur, c’est une autre façon d’envisager la vie. Je ne pense pas que ceux qui ont habité ici voudront rentrer dans un appartement».Corrélativement, à propos de son expérience en caravane, Yannick revendique: «Il faut démythifier cet habitat! car il tient la route… On ne manque de rien. Lesroulottes et caravanes ont en plus permis à pas mal de gens de s’en sortir, quand ils perdaient leur logement, sans se retrouver à la rue».
Culture communautaire et auto-production
L’inactivité n’est apparemment pas de mise à la «Zone okupée». Assez tôt des activités culturelles et politiques ont fleuri (soutien àla cause palestinienne par exemple). Activités pour lesquelles le salon d’une maison a été aménagé en salle de concert, de projection et de rencontres. Oncompte encore un restaurant végétarien hebdomadaire, un potager commun, l’aménagement collectif des lieux, la pratique de la récupération, l’utilisationcommune de matériel (machine à laver, cuisine), d’outils. Ces pratiques s’accompagnant d’échange de savoirs techniques et de travail sous le label solidaire,faisant dès lors du squat un lieu d’autoproduction. Celles-ci s’éloignant, à y regarder de plus près, du simple bricolage ou du hobby.
Deux mots d’histoire et quelques réalités sociales
Pour rappel, La Baraque, le quartier voisin, fut aussi un squat lors de l’implantation de l’institution universitaire sur le site du plateau de Lauzelle. Dès 1975, desnégociations avec les autorités communales et universitaires d’alors aboutirent à fixer urbanistiquement le quartier en affectation de «zone à habitatexpérimental». Roulottes, caravanes, serres aménagées à l’époque surtout par des étudiants en habitat ainsi que maisons autoconstruites enmatériaux dits «modestes» («terre-paille» par exemple) se répartissent dans une zone entièrement verte. Des potagers, des parcelles herbeuses parcouruesde sentiers sinueux ou de bosquets la caractérisent. Néanmoins, depuis plusieurs années, l’autorité en l’occurrence l’Administration des domaines2 ajugulé l’extension du quartier.
Il reste pourtant que cet
habitat et ce mode de vie tentent de plus en plus de candidats. On se retrouve surtout à l’extérieur en été, les enfants, en proportionplus nombreux que dans les autres quartiers de la cité, jouent librement. Par ailleurs, puisque les loyers régionaux sont parmi les plus élevés de Belgique, une vraieliste d’attente fut dressée. Jos Derbaix, pionnier du quartier expérimental et négociateur au cours du processus d’installation et d’agrandissement de ce squataujourd’hui institutionnalisé, déclarait lors d’une rencontre en novembre 2001 entre l’échevine des Affaires sociales et du Logement, Jeanne-Marie Oleffe (CDH),ainsi que des groupes actifs sur le logement: «À La Baraque, on ressent la pression des loyers élevés de LLN sur le nombre de demandes pour notre quartier. Il se fait quele squat récent répond à ce problème». Enfin, squatter recouvre plus qu’une expérience originale ou «sympathique». C’est, toujoursselon cet habitant, «un vrai chemin de réinsertion sociale passant par l’apprentissage collectif de la gestion de son cadre de vie». Et Jos Derbaix conclut par le souhait quedes expériences similaires à la Zone okupée se multiplient.
Parcours communal
Retour sur les autorités communales. Le bourgmestre et le collège communal décidèrent en mars dernier de ne pas trancher. Ils ont ainsi affirmé «soutenir lesquat», sans pour autant leur trouver une solution qui convienne. Fin 2001 en effet, l’échevine du Logement a bien proposé au groupe de migrer sur un terrain de La Baraquevoisine, mais il était trop exigu. Depuis, plus grand-chose. La recherche d’un terrain tant par les squatteurs que les responsables communaux n’a abouti à rien. «Nousterminons de rédiger une lettre adressée à l’échevine, affirme Simon. Nous faisons plusieurs propositions.» À suivre…
Militants et alternatives sociales: pressions sécuritaires?
Sous la menace de l’expulsion (l’avant-dernière date était arrêtée au 10 juillet), une partie de la communauté a vidé les lieux.«Plutôt par choix individuel», corrige l’une d’eux. Or, les langues se délient un peu. Au squat, on vit une insécurité croissante. En cause? Lesvitres de façade d’une des maisons ont été cassées récemment. Ils se remémorent aussi l’incendie criminel au squat de la rue des Chevaliersà Ixelles, en août 2001, qui coûta la vie à un homme. Plus généralement encore, «les milieux alternatifs et militants, ici, à Liège ou lessquats de Bruxelles, subissent la logique des politiques sécuritaires. La présence policière augmente, le contrôle et la surveillance font pression. Ils veulent dissoudreces mouvements. Les amalgames se font de plus en plus entre militantisme et terrorisme!», analyse Malky.
1 Zone okupée, rue de La Baraque, 111 à 1348 Louvain-la-Neuve tél.: 0486 21 93 29.
2 Lire encore une des seules références sur le logement en BW, par Thierry De Bie, Le logement en Brabant wallon. Panorama des aides et initiatives publiques, La Maison del’urbanisme, Centre culturel du Brabant wallon, 1998.
3 Administration des domaines de l’UCL, av. Georges Lemaître, 11 à 1348 Louvain-la-Neuve tél.: 010 47 29 99.
Archives
"Louvain-La-Neuve : le squat comme alternative pour l'accès au logement"
Alter Échos
11-09-2002
Alter Échos n° 127
Alter Échos
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