Dernièrement, le Centre de recherche urbaine de l’ULB1 a rendu publique une étude intitulée « Le Non-Paiement et les retards de loyers. Analysecompréhensive des comportements dans le secteur public du logement à Charleroi ». Réalisée au cours du 2e semestre 2003, cette étude a étécommanditée par l’échevin du Logement de Charleroi, Serge Van Bergen. Elle a été co-financée par le Mécénat de la Banque nationale de Belgiqueet l’asbl Conseil du logement de Charleroi.
Au départ, un constat : la fréquence croissante des retards de paiement de loyers des locataires sociaux et les menaces d’expulsion qui en découlent. Cela met lesacteurs du logement public (sociétés de logement de service public [SLSP], AIS, Fonds du logement) dans une position délicate :
> d’une part, le non-paiement des recettes locatives grèvent leur trésorerie et, de ce fait, les handicapent dans leur mission de bailleur social ;
> d’autre part, les ménages ne payant pas leurs loyers risquent d’être expulsés.
Les bailleurs constatent la persistance de ce phénomène, malgré la mise en place de dispositifs de guidance et d’accompagnement social auprès des locataires.
Deux objectifs étaient poursuivis par l’étude :
> « dépasser le discours de sens commun, tenu par certains acteurs, consistant à considérer les locataires expulsés ou menacés de procédured’expulsion comme étant de ‘mauvais payeurs’ ;
> à partir d’une étude compréhensive de situations d’expulsions (ou de menaces d’expulsion), discerner les diverses situations caractérisant ceprocessus et relever les facteurs pertinents et les conditions qui les favorisent. »
Les causes des impayés
D’une manière générale, on enregistre des retards de payement auprès d’un quart des locataires des cinq SLSP de l’entité de Charleroi. Celaentraîne des pertes de recettes locatives annuelles de l’ordre de 1,6 % à 14 %. La dette moyenne par locataire en défaut se situe entre 179 et 563 euros. Elle est plusimportante dans les AIS. En moyenne, les impayés représentent entre 1 à 3,8 mois de loyer.
Face à cette situation, les bailleurs ont des pratiques communes en matière légale concernant les actions en justice et les phases de conciliation préalable (en vigueurdepuis un an). Les différences apparaissent plutôt au cours de la première phase d’arrangement entre le bailleur et son locataire :
> réaction dès le premier mois de retard de paiement ou après plusieurs mois ;
> envoi de courrier de rappel ou contact personnel ;
> dossier confié au service contentieux plutôt qu’à un assistant social ;
> négociation sur la mise en place d’un plan de remboursement de la dette. Cette négociation varie suivant :
> la culture de l’institution : cela va de l’approche gestionnaire la plus stricte (pas d’exception à la règle locative) à l’approche sociale laplus conciliante, avec des nuances entre les deux ;
> la subjectivité du bailleur : ici, on est dans l’arbitraire ;
> la formation et la capacité à l’écoute ;
> la durée accordée pour les plans d’apurement.
> l’accompagnement des ménages. À propos de celui-ci, les auteurs remarquent que « l’accompagnement des ménages sur la durée n’est pas unepratique des bailleurs, seul le Fonds du Logement le réalise pleinement et l’AIS partiellement. Cela signifie qu’une fois conclue la négociation sur le pland’apurement de la dette, les locataires sont livrés à eux-mêmes et ne peuvent éventuellement faire valoir le surgissement de situations nouvelles. »
Si le plan d’apurement n’est pas respecté, on passe la procédure de conciliation. Selon des statistiques partielles, la conciliation débouche sur un accord dans 50% des cas, mais 30 % des locataires défaillants ne s’y rendent pas. Vient ensuite la procédure d’expulsion, mais les bailleurs n’aiment guère y recourir.Souvent, le bailleur tente une ultime négociation avec le locataire, même après le prononcé de l’expulsion.
Des mondes différents
L’analyse des témoignages des locataires révèle que « le non-paiement du loyer relève rarement d’une volonté délibéréemais qu’il est la conséquence finale d’un enchaînement complexe d’événements singuliers. Dans ces histoires de vie dominent toujoursl’instabilité et la rupture. L’expulsion du logement est le résultat du couplage entre ces histoires singulières et le système social et institutionnel, et dela construction qui en résulte. » Deux conceptions du monde se font face : d’un côté, il y a les acteurs institutionnels avec leurs pratiques de la culture del’écrit, de la négociation ou encore du respect des engagements ; de l’autre, les locataires ont leurs pratiques de « la culture de l’oral, la distance àl’égard des institutions, la culture de l’instant, l’importance du présent… ».
Pour les auteurs, les locataires opposent une résistance à une volonté institutionnelle d’inclusion sociale. « Cette forme de résistance permet lapréservation de l’identité », ajoutent-ils. Du coup, si un locataire se voit contraint à rencontrer l’institution ou son représentant, son attitude variesuivant cette identité : soumission, docilité, révolte ou fuite.
Agir vite et de manière concertée
Les auteurs formulent différentes pistes pour améliorer le traitement des arriérés de loyers. Toutes visent à éviter l’expulsion du locataire.Cependant, précisent les auteurs, ces pistes ne permettront pas de protéger les locataires les plus précarisés socialement et économiquement. Et d’expliquer :« En effet, on ne peut concevoir que les bailleurs sociaux puissent, à eux seuls, assumer individuellement les effets de l’accroissement de la précarité et de lapauvreté même s’ils endossent une partie de ceux-ci. »
Parmi les pistes, les auteurs recommandent :
> la création d’outils d’évaluation qualitative et quantitative ;
> la nécessité d’une réaction rapide et proactive des bailleurs pour éviter des effets boule de neige ;
> le décloisonnement des informations en amont et en aval pour les acteurs qui interviennent aux cours des différentes phases du processus de recouvrement de la dette. Celaempêche toute auto-évaluation et transparence ;
> le développement du travail de médiation par la mise en place d’intervenants sociaux ;
> l’amélioration de l’information du locataire ;
> l
e renforcement de la coordination des acteurs (bailleurs, intervenants sociaux, médiateurs, CPAS…) et l’instauration d’un suivi du dossier.
1. Centre de recherche urbaine, Campus du Solbosch, Institut de Sociologie, 10e niveau, bureau S 10-204, CP124, av. F.D. Roosevelt 50 à 1050 Bruxelles – tél. : 02 650 34 74– fax : 02 650 45 97 – courriel : crusec@ulb.ac.be