Cette déclaration d’Alain Verschoren, recteur sortant de l’Université d’Anvers, rapporté par le quotidien flamand De Standaard ce mercredi, interpelle. Elle fait également écho à un article récent que nous consacrions à la question de la privatisation des universités et hautes écoles.
«Les universités doivent travailler le plus possible avec les entreprises et pouvoir diminuer leur recours aux subsides», considère le recteur qui s’est exprimé à l’occasion d’une enquête à propos du financement privé des universités. Pour justifier sa position, il explique: «Il y a huit ans, date de mon entrée en tant que recteur, cette université avait une énorme dette. En quelques années, nous avons mis en place un plan d’investissement et avons pu construire cinq bâtiments. Nous devons cela à nos bons contacts avec l’industrie, plus présente qu’auparavant». Et d’ajouter que la nouvelle formation en ingénierie mise en place à l’université d’Anvers «a directement engendré de meilleurs contacts avec le monde de l’industrie».
Alain Verschoren, conscient que les universités doivent pouvoir opérer en toute indépendance, considère que la recherche fondamentale ne serait pas menacée par ce financement privé: «Regardez aux États-Unis, explique-t-il, financées en grande partie par les entreprises, elles effectuent encore des recherches fondamentales qui n’engendrent pas directement de résultat (contrairement à la recherche appliquée, ndlr) et elles continuent à tenir une bonne réputation.»
Les propos du recteur interpellent et font écho à un article récent que nous consacrions à la privatisation des universités, voie que semblent prendre toutes les universités et hautes écoles à des échelles différentes. Cela passe notamment par la privatisation des services, l’instauration de partenariats public-privé pour rénover ou construire des logements ou encore la présence (assez récente) de personnalités du milieu économique dans les conseils d’administration. Les établissements d’enseignement supérieur opèrent ce recours au privé parce qu’elles sont confrontées à des difficultés financières mais aussi parce qu’elles adoptent des comportements managériaux en vue de se placer en bonne place sur le «marché» de l’enseignement.
Brieuc Wathelet, le président de la FEF qui vient de terminer son mandat, s’inquiétait notamment dans nos pages de l’existence dans les universités du pays de chaires universitaires financées par des entreprises comme la Chaire Danone ou la Chaire BNP.
Si les universités assurent que la liberté et l’indépendance académiques sont garanties, la FEF redoute «que ces chaires ne remplacent peu à peu les cours classiques». Aussi, nous confiait Brieuc Wathelet, «comment ne pas craindre que les mécènes de ces chaires ne visent en fait qu’à créer le futur personnel de leurs entreprises plutôt que des étudiants critiques et émancipés?» Pour rappel, la Fédération des Étudiants francophones exige un financement public à 100% de l’enseignement.
Quant à la question de la recherche fondamentale, qui ne serait pas menacée par une plus grande intervention des entreprises privées selon Alain Verschoren, des membres du corps académique en sont moins sûrs. Chloé Deligne et Olivier Gosselain, chercheurs en sciences humaines et membres des Désexcellents, groupe de soutien, de réflexion et de résistance créé en réaction aux critères d’Excellence et d’objectifs de rentabilité et de compétitivité poursuivis par les universités pour obtenir une bonne place dans les rankings.
Avec pour conséquence, constate Chloé Deligne, «la mise en concurrence des chercheurs, la production effrénée au détriment de la qualité, la disparition progressive de la recherche fondamentale au profit de la recherche appliquée, la mise en place de cours qui visent à l’employabilité des étudiants…» Des signes qui témoignent selon Olivier Gosselain que «l’université devient une machine de reproduction de l’ordre social plutôt que de transformation».
Certains réacteurs ont réagi à la proposition du recteur anversois dans De Standaard. Tant Rik Torfs de la KULeuven que Paul De Knop de la VUB, sans rejeter le recours à des financements privés, insistent sur la menace que cela ferait peser sur la démocratisation de l’enseignement.