L’actuel Plan d’accompagnement et de suivi des chômeurs constitue l’énième item de la liste d’instruments de lutte contre le chômage entamée dans lafoulée de l’apparition en Belgique d’un chômage de masse, voici trente ans, et de sa persistance depuis lors. Le présent article cherche à mettre en lumière lesétapes marquantes de ces trente ans de politiques, sans viser à l’exhaustivité.
Quelques critères de classifications des politiques
On peut distinguer les mesures qui visent à agir sur l’offre (les chômeurs) et les mesures qui visent à agir sur la demande (les entreprises). Les politiquesdéveloppant des mesures pour augmenter l’offre de travail s’attachent surtout à la mise en place de formations, à destination des jeunes en particulier, àl’amélioration de la capacité d’insertion professionnelle, au développement de l’esprit d’entreprise. Elles cherchent donc à jouer sur ce nouveauconcept qu’est l’employabilité. Les politiques visant la demande de travail, quant à elles, consistent principalement en la mise en place de mesures incitant les entreprises àengager des chômeurs. Ces mesures sont par exemple la réduction des charges sociales, des incitants à engager certaines catégories de personnes (jeunes, travailleursâgés, chômeurs de longue durée)…
On verra que ces deux catégories de mesures alternent en fonction des priorités des différents gouvernements, mais se complètent également au sein de Plansglobaux.
La crise économique et ses conséquences
Les politiques visant explicitement à retrouver le plein emploi émergent de façon contemporaine à la crise économique consécutive au choc pétrolierde 1973. Cette crise entraînera des suppressions d’emplois, une augmentation du chômage, des mises à la (pré)retraite… Une des premières mesures prisesà cet égard est d’ailleurs le lancement, en 1975, des prépensions, dans le but de diminuer le volume de la population active et de réduire ainsi le chômage demanière mécanique, par le simple remplacement des actifs prépensionnés. Dès cette première période, les différents gouvernements n’aurontde cesse de mettre l’accent sur l’intégration des jeunes, par le biais de la formation et de la « reconversion professionnelle ».
Ainsi, en 1976, les pouvoirs publics lancent les « stages jeunes » qui imposent aux entreprises et aux administrations publiques et privées d’engager, à hauteurd’au moins 3 % de l’effectif total du personnel, des jeunes de moins de 30 ans n’ayant encore exercé aucunes activités professionnelles. Cette mesure vise à faciliterla transition entre l’école et le marché de l’emploi, et à remettre les chômeurs au travail en les engageant temporairement (6 à 12 mois pour le secteurprivé et 12 mois pour le public). Les entreprises qui décidaient d’engager des jeunes après leurs stages bénéficiaient d’incitants financiers tels quela diminution des cotisations patronales, des charges sociales…
Entre 1976 et 1982, suites aux pertes massives dans l’ensemble du secteur secondaire, l’inactivité augmente fortement. Une des mesures prises à l’époque auradonc pour but d’engager des chômeurs pour réaliser des travaux d’intérêt et d’utilité publics. C’est dans ce cadre qu’en 1977, le CST(cadre spécial temporaire) et plus tard en 1983 le TCT (troisième circuit de travail) voient le jour. Même s’ils se distinguent de par leur mode de recrutement et par leurdurée d’occupation (2 à 12 mois pour le CST et durée indéterminée pour le TCT), ils ont tous deux les mêmes objectifs à savoir mettre au travailles chômeurs de longue durée en leur confiant des tâches d’utilité collective pour des projets non marchands.
Classer les chômeurs ou faire reculer le chômage
En ce qui concerne les allocations de chômage, les années 80 sont marquées par diverses mesures d’austérité et des mesures de sélectivité surla base de critères tels que la situation familiale, qui transformeront le système d’octroi des allocations chômage. La loi Dewulf classe ainsi les chômeurs en troiscatégories, les isolés, les cohabitants et les chefs de famille, qui se voient octroyés des montants d’allocations différents. Quant aux jeunes sortant desétudes, ils verront, dès 1982, leurs allocations changées en un droit aux indemnités d’attente, d’un montant inférieur à l’allocation minimalequ’ils percevaient auparavant.
La période qui va de 1987 à 1990, se caractérise par une baisse du chômage grâce à une reprise de la croissance économique. Mais le point noir duchômage de longue durée persiste. Les politiques vont se redéfinir en conséquence et mettre l’accent sur les groupes sociaux les plus touchés et les plusvulnérables face au chômage. La réduction des cotisations sociales pour l’engagement des chômeurs deviendra un des outils principaux des politiques de l’emploi,de même que des coopérations avec les instances régionales nouvellement créées (Orbem, Forem et VDAB).
Début des années 90, le chômage connaîtra à nouveau une croissance importante. Le gouvernement, dirigé par le premier ministre Jean-Luc Dehaene (CVP), parle« d’abus » et va chercher à lutter contre les pratiques ainsi qualifiées. C’est dans ce contexte qu’apparaît un premier plan d’accompagnementdes chômeurs. Sous le coup des impératifs européens de réduction du déficit public, les mesures d’austérité et de sauvegarde de lacompétitivité se combinent avec la poursuite de la politique de baisse des « charges patronales ». L’exemple le plus emblématique en est le Plan global de 1993« pour la compétitivité, l’emploi et la sécurité sociale ».
Préalablement à l’apparition de l’État social actif dans l’espace public, mais déjà dans cette perspective, différentes politiques vont êtreadoptées en 1999, sous le gouvernement Dehaene II. Citons entre autres les premiers titres-services, le programme SINE (Sociale Inschakelingseconomie), qui a pour but d’activer lesallocations de chômage ou le minimex. Ou encore le PTP (programme de transition professionnelle), programme de résorption du chômage qui se présente comme un tremplin versle marché du travail classique.
Concrètement, il s’agit d’engager des chômeurs de moins de 25 ans, des chômeurs de longue durée et des bénéficiaires du minimex et del’aide sociale, pour une durée réduite (2 à 3 ans), de façon à replacer ces chômeurs sur le marché de l’emploi.
L’État social actif : la boucle est bouclée ?
Fin des années 90, le concept d’État social actif voit le jour. Celui-ci va être le moteur des différentes politiques mises en place par les gouvernements àvenir (arc-en-ciel et violette). Ce concept ambivalent d’État social actif sera vu tantôt comme le prolongement et la sauvegarde de l’État-providence et tantôtcomme un cheval de Troie du néolibéralisme. Frank Vandenbroucke (SP.A), qui donna l’impulsion à l’émergence de ce concept, le définira ainsi, en 1999 :« Un État social actif entreprenant qui vise à une société de personnes actives sans renoncer à l’ancienne ambition de l’État social,c’est-à-dire une protection sociale adéquate (…). Il ne s’agit plus seulement d’assurer les revenus, mais aussi d’augmenter les possibilités departicipation sociale, de façon à accroître le nombre des personnes actives dans la société. Cette ambition suppose une politique proactive, qui insiste davantagesur les investissements dans les personnes, sur le travail sur mesure, sur la responsabilité personnelle des différents acteurs intervenant sur le terrain social.»
En 2000, le gouvernement Verhofstadt, toujours avec l’objectif de concrétiser cet État social actif, va lancer différents chantiers qui se concluent principalement parune nouvelle diminution de charges pour les entreprises et le lancement de deux plans : Activa et Rosetta. Le plan Activa a été élaboré pour faciliter la remise àl’emploi des personnes qui sont au chômage depuis une longue période, en accordant aux employeurs une réduction temporaire des cotisations patronales de base, et auxtravailleurs une activation de l’allocation de chômage. Le plan Rosetta cherche, lui, à procurer une expérience professionnelle aux jeunes (CPE : convention premier emploi) ouà leur offrir des formations professionnelles. Les entreprises privées de plus de 50 travailleurs sont obligées de recruter 3 % de leur personnel parmi les moins de 26 ans. Quantaux employeurs du secteur public ou non marchand, ils doivent compter 1,5 % de jeunes parmi leurs employés : on en revient donc, 25 ans après, à une logique proche de celle qui aprésidé aux stages-jeunes.
D’après Robie Nerguti et Valérie Ortegat