Tout droit sortis des années 60, les immeubles Etrimo, avec leurs silhouettes familières en Lego, font désormais partie du paysage urbanistique belge. Dans «M. Etrimo», les réalisateurs David Deroy et Matthieu Frances mettent en scène la première grande bulle immobilière du pays à travers la figure ambiguë du fondateur de l’entreprise, Jean-Florian Collin. Un documentaire à redécouvrir à partir du 15 octobre au Vendôme.
«Je me suis toujours demandé: c’est quoi ces barres? Un jour, un architecte m’a dressé le portrait invraisemblable de Collin et ça m’a interpellé», commence David Deroy, coréalisateur de M. Etrimo. Le nom de Jean-Florian Collin est associé à une conception décriée de l’architecture (fonctionnaliste) et de l’urbanisme: on détruit et reconstruit avec des techniques imprécises et des formalités administratives presque inexistantes. Dans l’après-guerre, la reconstruction du pays est une opportunité pour son entreprise «Études et réalisations immobilières». Au début des années 60, le géant de l’immobilier introduit un nouveau modèle d’habitat sur tout le territoire: bon marché, standardisé et produit à grande échelle. Le territoire voit fleurir un grand nombre d’immeubles pour classes moyennes. Environ 20.000 logements Etrimo s’empilent en Belgique tels des Lego: c’est «le fast-food de la construction». On en compte 2.000 rien qu’à Anderlecht.
Opportuniste ou bienfaiteur?
Une optique commerciale… se réclamant d’une volonté sociale: «Faire de chacun le propriétaire de son logement.» Monsieur Etrimo permit de satisfaire la brique dans le ventre des Belges et d’éviter une crise du logement. En tout cas, le business marche pour Jean-Florian Collin qui devint le plus gros constructeur d’Europe.
Mais la fin des golden sixties arrive… Le coût de la construction et les taux d’intérêt flambent. Victime de son extravagance, le mégalomane sombrera à l’aube des années 70. Il est associé au plus grand scandale immobilier qu’ait connu la Belgique, engloutissant les économies de 3.500 candidats à la propriété. Ils se mobiliseront en octobre 1970 à Bruxelles, ce qui sera à l’origine de la loi Breyne de 1971, visant à protéger l’acheteur d’une habitation à construire. La société Etrimo est mise sous concordat. Tout le monde finira par être dédommagé et les chantiers seront terminés par d’autres entrepreneurs. Au passage, les seuls qui se sont enrichis sont les curateurs.
La légende de l’immobilier décédera dans l’anonymat, en 1985, ne laissant pas grand-chose derrière lui. Si ce n’est ces logements, malgré tout restés inestimables aux yeux de certains propriétaires: «Certains ne veulent pas vivre ailleurs que dans un Etrimo avec terrasse et vue sur le parc. Mal isolé, mal insonorisé, coup de poing dans l’œil… Aujourd’hui, beaucoup de ces immeubles tombent en ruine. Sont-ils destinés à être rénovés à grands frais ou démolis?
David Deroy et Matthieu Frances ont réalisé ce film pour «ne pas faire sombrer dans l’oubli une partie du patrimoine belge». Non sans une certaine empathie pour le self-made-man et son histoire incroyable. Avec une pointe de nostalgie pour le temps de «tous les possibles»; auteur et réalisateur plongent véritablement le spectateur dans l’ambiance de l’époque.