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Regard critique · Justice sociale

Justice

Maisons d’accueil: la réinsertion sans le pouvoir…

Dans les maisons d’accueil, on retrouve des personnes sortant de prison, des personnes détenues en congés pénitentiaires ou des personnes sous surveillance électronique. Même si elles se font de plus en plus rares…

Par leur accompagnement, les maisons d’accueil visent à lever tous les obstacles qui se dressent devant l’ancien détenu.

Dans les maisons d’accueil, on retrouve des personnes sortant de prison, des personnes détenues en congé pénitentiaire ou des personnes sous surveillance électronique. Même si elles se font de plus en plus rares…

Les maisons d’accueil hébergent temporairement des publics fragilisés et leur offrent une aide sociale, psychologique, juridique. Outre un manque de places pour répondre à l’ensemble des demandes, ces lieux sont confrontés à des difficultés liées à la spécificité de l’accompagnement social des personnes sortant de prison, aux contraintes sécuritaires ou techniques imposées, comme dans le cas de la surveillance électronique. Situation qui amène certaines structures à limiter le nombre de places d’accueil pour ce public. Dans son dernier rapport sur la sortie de prison, la CAAP (concertation des associations actives en prison) rappelle d’ailleurs, vu l’engorgement, que les maisons d’accueil sont contraintes à «faire le tri» des différentes demandes et à privilégier des personnes qui présentent moins de risque de «décrochage».

À Jumet, la maison d’accueil L’Îlot est composée pour un tiers de personnes sortant de prison. Avant de pouvoir être accueilli au sein de l’institution, le détenu est reçu lors de congés pénitentiaires. Il passe la nuit, avant de retourner en prison le lendemain. «C’est un moyen d’être évalué, un moyen de voir évoluer la personne lors de ces journées avant un séjour plus long dans un milieu communautaire, affirme Allan Gozdzicki, assistant social. On n’est pas une prison, mais il y a des règles à respecter, des tâches à exécuter, des horaires à suivre. L’objectif est de mettre en place un projet avec ces personnes pour qu’elles puissent trouver un hébergement après leur passage chez nous, notamment.» Il n’y a pas de refus par rapport aux faits d’incarcération, si ce n’est pour les faits de mœurs, mais, sur les 24 places disponibles, seules quelques-unes sont destinées aux personnes sortant de prison. «Des demandes de prison, j’en reçois toutes les semaines. On ne peut y répondre favorablement. On évite d’accueillir un seul type de public, notamment carcéral, pour ne pas reproduire les mêmes logiques qu’en prison. Si on accueille trois détenus, c’est un maximum pour pouvoir les accompagner au mieux», ajoute l’assistant social.

«Des demandes de prison, j’en reçois toutes les semaines. On ne peut y répondre favorablement.» Allan Gozdzicki, la maison d’accueil L’Îlot

Quant aux hébergements sous surveillance électronique, ils sont limités au coup par coup afin de ne pas tomber dans des régimes d’hébergement différenciés et pervertis: accès aux chambres autorisé à certains et non à d’autres en journée, perception du personnel de la maison d’accueil en tant qu’auxiliaire carcéral…

Mais il n’y a pas que cela: l’allocation du SPF Justice dont bénéficient les personnes sous surveillance électronique est inférieure au montant du revenu d’intégration sociale (RIS). Un problème quand on sait que l’hébergement en maison d’accueil n’est pas gratuit. «Une situation d’autant plus difficile qu’elle ne permet pas aux anciens détenus de constituer une garantie locative», continue Allan Gozdzicki.

Alarme sous douche

À Nivelles, la maison d’accueil Les Quatre Vents a, de son côté, décidé d’arrêter l’accueil des personnes sous bracelet. «On ne veut plus accueillir des personnes sous bracelet, tant que le système n’amène pas un minimum de reconnaissance de droits à la personne, à savoir un revenu décent, mais aussi en lui laissant un minimum de liberté pour faire des démarches administratives. Les dernières expériences ont montré que les personnes étaient dans des situations de non-droit. Puis, en termes d’organisation, ce dispositif manque de souplesse et amène à des situations absurdes avec une alarme qui se déclenche pendant que la personne prend sa douche», dénonce Didier Gruselin, directeur de la maison d’accueil de Nivelles.

Du côté de l’administration, on reconnaît bien volontiers ces problèmes «pratico-pratiques»: «Ils ne sont pas dus à un mauvais rapport institutionnel ou autre. Ce sont deux systèmes différents qui ont du mal à cohabiter», admet Valérie Hendrikx, porte-parole des maisons de justice et du Centre de surveillance électronique. «À partir du moment où la personne est placée sous surveillance, des problèmes techniques peuvent arriver: le bracelet est posé dans un périmètre qui ne correspond pas toujours à l’espace d’une maison d’accueil.»

 

«Nous sommes des maisons de transition…»

Entretien avec Julie Turco, chargée de projets wallons à l’AMA (Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri)

Alter Échos: les maisons d’accueil rencontrent de plus en plus de difficultés dans l’accompagnement des détenus…

Julie Turco: Pour ce public particulier, cela pose un certain nombre de questions: il n’a pas les mêmes droits que le public traditionnel des maisons d’accueil comme le droit d’aller et venir, la possibilité de sortir ou d’avoir des activités à l’extérieur. Il n’a pas les mêmes revenus: tandis que la grosse majorité des personnes que nous accueillons reçoit des allocations de remplacement, le RIS principalement, la personne sous bracelet a une allocation spécifique par semaine, inférieure au RIS. Ainsi, le travail de la maison d’accueil est limité dans les possibilités d’accompagnement, de solution de logement, et même de paiement de l’hébergement.

«Le risque serait de placer uniquement des personnes ayant vécu la même situation et de faire, en quelque sorte, une extension de la prison avec les mêmes codes, les mêmes règles…»

AÉ: malgré ces difficultés, il reste des institutions prêtes à accueillir ce public?

JT: Oui, c’est notamment le cas de la maison d’accueil de Jumet qui s’est construite autour de cette problématique. Historiquement, plusieurs maisons pour hommes accueillaient beaucoup d’anciens détenus. Aujourd’hui, des services continuent à accueillir ces anciens détenus, mais se retrouvent désormais avec tant de difficultés face à ce public qu’ils ont décidé de réduire leur prise en charge. Jusqu’à pour certains services arrêter purement et simplement cet accueil car trop contraignant. C’est le cas de la maison d’accueil Les Quatre Vents à Nivelles qui poursuit l’accueil des congés pénitentiaires mais qui a interrompu l’accueil sous bracelet après plusieurs expériences compliquées. Outre les contraintes techniques, il s’agit pour la maison d’organiser la journée de la personne à la minute près, sans quoi, parfois pour une minute de retard, le bracelet sonne, alertant le service de sécurité. C’est très rigide et le cadre de vie communautaire d’une maison d’accueil est parfois difficilement conciliable avec ces exigences sécuritaires.

AÉ: Vous souhaiteriez un cadre plus clair dans l’accompagnement des anciens détenus au sein de vos services?

JT: Oui, en étant, d’abord, plus soutenu. Quand j’ai entendu parler des maisons de transition, c’était la définition exacte de ce qu’on fait déjà: un hébergement temporaire avec un accompagnement social. En fait, le projet de la Fédération Wallonie-Bruxelles est de créer des maisons d’accueil pour des personnes sortant de prison. L’idée est intéressante parce que c’est un public qui doit être davantage soutenu en fin de détention. Maintenant, faut-il créer une nouvelle structure, sachant que des services existent déjà et qu’ils sont déjà très handicapés par les conditions dans lesquelles ils peuvent accueillir les personnes sous bracelet, les congés pénitentiaires et les anciens détenus? Ne faudrait-il pas au contraire donner davantage de moyens, ouvrir plus de lits, en proposant un accompagnement plus spécialisé, en renforçant le personnel, en le qualifiant davantage sur cette problématique, en soutenant les collaborations avec les maisons de justice, avec les services d’aide aux justiciables, le tribunal d’application des peines… Aujourd’hui, chacun reste dans son pré carré. Ce qu’on porte aussi au sein de nos services, c’est la mixité. Pour les personnes sortant de prison, le risque serait de placer uniquement des personnes ayant vécu la même situation et de faire, en quelque sorte, une extension de la prison avec les mêmes codes, les mêmes règles…

Alter Échos (site), «Prison: vers une transition réussie?», Pierre Jassogne, 3 avril 2017.

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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