Depuis bientôt 6 ans, Maïté Lonne, 25 ans, fait partie des 76.000 personnes touchées en Belgique par l’incarcération d’un proche. Cette «femme de détenu» est aussi mère d’un «enfant parloir» – un petit bébé de six mois – conçu en prison, dans les salles VHS, ces visites hors surveillance autorisées pour les couples et les familles trois fois par mois. Avec son livre-témoignage, elle souhaite mettre en lumière la situation des familles de détenus, qui, même en liberté, purgent aussi leur peine.
Alter Échos: Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre?
Maïté Lonne: J’ai eu un déclic pendant la grève de 70 jours en 2016, je n’avais jamais connu une telle grève. Pendant 70 jours, il n’y avait pas de préau, pas de douche, pas de visite, ou peu, avec des variations selon les différents établissements. Priver les détenus de contact avec l’extérieur, c’est les priver d’espoir. J’étais tellement révoltée devant ce qui était en train de se passer que j’ai commencé à en parler autour de moi, à faire du bruit, à partager ma révolte. Je me suis pour la première fois heurtée au silence de la population, ou aux insultes. J’ai été extrêmement choquée. J’ai donc voulu à travers mon témoignage montrer une autre réalité des prisons.
A.É.: Par exemple…
M.L.: On peut donner l’exemple des GSM. Ils sont interdits dans la prison, par peur d’évasion. Or, de nombreux détenus utilisent leur téléphone pour dire «bonne nuit» à leur enfant. Pendant la grève, c’était le seul contact qui restait avec leur famille.
A.É.: Comment avez-vous vécu cette grève avec les autres familles, et les agents?
M.L.: Je me suis dit qu’il ne fallait pas rentrer dans une violence. J’ai dit à un agent «Je vous soutiens pour la cause, pour le pourquoi, mais pas pour le comment». Ça a instauré une forme de respect entre les agents et moi et trois femmes. On a pu participer à des réunions avec les syndicats. On s’est mis un jour sur le toit d’un arrêt de bus en chantant avec une pancarte «Les femmes soutiennent». Les détenus nous ont vus et ont chanté avec nous. C’était une démarche plus pacifique afin que les agents comprennent la réalité des familles.
A.É.: Votre discours sur les agents a-t-il changé avec les années de visites?
M.L.: Oui. Certains sont extrêmement respectueux avec moi. D’autres me choquent, par leur racisme, leur hypocrisie. J’étais persuadée que les agents étaient maltraités comme nous. Je me rends compte en fait que certains agents sont au bord du burn-out parce que d’autres agents se mettent continuellement en maladie. Quand on arrive avec un sac de linge après deux heures de route, et qu’on nous refuse la visite pour manque d’effectif, on perd son calme. Le fait d’avoir un enfant a aussi changé mon regard. Par exemple, je ne peux pas rentrer avec mon propre siège pour enfant en prison, je dois utiliser celui très sale de la prison. Certains agents peuvent aussi refuser de porter mon bébé pendant que je me rhabille après les fouilles.
A.É.: Vous n’oublierez jamais votre première visite en prison, «expédition émotionnelle», écrivez-vous dans votre livre…
M.L.: J’ai eu la sensation de rentrer en enfer, d’être une personne qui débarque dans un pays totalement étranger, à qui l’on demande d’en comprendre directement tous les codes. J’étais envahie d’un sentiment de honte. Les autres familles peuvent être très méfiantes. Il faut attendre plusieurs fois pour créer des liens, recevoir des conseils et du soutien. La première visite est très violente, il faut se faire aux portes qui claquent, à la longue attente à l’extérieur, pour certains établissements.
A.É.: Comment, en tant que proche de détenu, garder une vie active à l’extérieur tout en étant présent, tant lors des visites que sur le plan économique, pour la personne à l’intérieur?
M.L.: Je suis pour l’instant sur pause. Pendant ma grossesse et depuis la naissance, j’ai arrêté de travailler. À un moment, je devrai retrouver du travail et je crains ce moment-là. Comment pourrai-je assurer les visites et un temps-plein, sachant que ça me prend la journée de faire une visite? Il y a bien sûr les visites le week-end, mais voir son mari une fois par semaine n’est pas suffisant. Pour certaines familles, travailler équivaut à abandonner le détenu. Un détenu coûte cher pour ses proches. Une femme qui travaille ou qui touche des allocations sociales doit gérer les frais de sa famille et les frais du détenu, que ce soit la lessive ou les cantines (les courses, ndlr). Le détenu qui ne se nourrit que de la nourriture en prison est en mauvaise santé. Au plus il a de l’argent sur son compte, au mieux il peut vivre comme une personne de la société civile. Beaucoup de détenus essayent d’avoir 200 euros par mois pour survivre. Pour être en bonne santé, il vaut mieux avoir 400 euros. C’est aux familles de leur fournir, certains d’entre eux ont aussi leur travail en prison.
A.É.: On se rend compte à la lecture de votre livre que ce sont les femmes en majorité qui composent ces «familles de détenus»…
M.L.: Quand on fait la file pour les visites, on le voit, 80 pourcents des visiteurs sont des femmes: des mères, des sœurs, des femmes. Alors que dans les prisons de femmes, on remarque un abandon des hommes. C’est le signe d’une société patriarcale dans laquelle les femmes portent constamment l’homme, et même le monde, parce qu’on considère que c’est toujours à elles qu’il incombe de «prendre soin» des autres. La majeure partie des femmes en prison (sur les 11.040 détenu.e.s que compte la Belgique, 483 sont des femmes soit 4% de la population carcérale moyenne, ndlr), sont abandonnées par leur mari ou le père de leur enfant. La condition des femmes détenues est dramatique. Leur peine est terrible.
A.É.: N’avez-vous jamais eu envie vous d’abandonner?
M.L.: Je suis partie à un moment pendant plusieurs mois pour terminer mes études d’éducatrice. J’ai beaucoup culpabilisé, mais c’était pour mieux revenir.
A.É.: Quelle serait la première mesure que vous prendriez pour améliorer la situation des détenus et des familles des détenus?
M.L.: Il faudrait d’abord que soient appliquées les dispositions de loi de principe de 2005, la loi Dupont, comme l’objectif de réinsertion ou l’hygiène; que la Belgique respecte les droits de l’homme (la Belgique a déjà été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme pour l’état de ses prisons, ndlr). J’aimerais aussi changer le regard que la société, et que des agents, portent sur le détenu, et c’est l’ambition de ce livre. Quand j’ai voulu me marier en prison, j’ai senti à quel point cette stigmatisation était forte. Alors, on invente des excuses, on ment. On parle visage masqué aux médias. Les proches des détenus qui assument doivent parfois déménager, changer leur enfant d’école.
Extraits
«Nous devons attendre à la place qu’est la nôtre, coincés entre deux portes. Image parlante, «entre deux», comme nos existences… Socialement, je ne suis désormais plus une femme, mais une compagne de détenu, dont l’étiquette vous est gracieusement cousue dans les chairs. Dois-je me présenter dorénavant comme telle lorsqu’il m’est demandé de décliner mon identité? Une seule vérité; il est au «mitard» et je suis au «placard».
Maïté Lonne, «Une fenêtre entre deux murs — femme de détenu», Editions du Rapois, janvier 2018.
En savoir plus
En novembre 2017, les Journées Nationales de la prison étaient consacrées aux familles et proches des personnes incarcérées, trop souvent négligées lorsqu’une peine est décidée.
À cette occasion, une émission radio, réalisée principalement avec des femmes et mères de détenus, dont Maïté Lonne, avait été organisée en direct et en public. À réécouter sur ce lien.