Prix élevé, harcèlement, dénigrement, comportements discriminatoires. Les femmes subissent de plein fouet les ravages de la crise de l’habitat, avec plus d’acuité et d’intensité encore que les hommes.
715 euros par mois pour un vieil appartement insalubre, tel est le lot de Yasmina, mère bruxelloise de 32 ans. Comme 11 autres personnes, la jeune femme a décidé de témoigner de cette situation de mal-logement féminin, devenue monnaie courante en Wallonie et à Bruxelles(1).
«Avant, quand je travaillais, j’avais un chouette appartement à Forest, moderne, grand, explique Yasmina. Mais quand mon contrat s’est terminé, j’ai voulu reprendre mes études. Je ne savais pas qu’il fallait une autorisation spéciale du chômage pour continuer à recevoir ses aides, dans ces cas-là. Du coup, du jour au lendemain, je me suis retrouvée sans le moindre revenu, dépendante du CPAS. J’ai dû chercher un nouveau logement dans l’urgence. Tout ce que j’ai trouvé, c’est un appartement cher, mal agencé, de mauvaise qualité.» Le regard de Yamina sur le marché locatif privé est assez négatif: «Très peu de propriétaires acceptent de louer leur bien à des personnes bénéficiaires d’une allocation sociale ou à des familles monoparentales de manière générale.»
Pour s’en sortir malgré tout, toutes les stratégies pour contrer ces discriminations sont bonnes: «Il y a beaucoup de gens qui mentent, qui font des faux. De fausses fiches de paie, par exemple. Ils n’ont pas vraiment le choix. Moi-même, j’ai déjà dû cacher le fait d’être enceinte pour obtenir un appartement. Mais je ne supporte plus de perdre du temps par rapport à tout cela. Maintenant, je pose clairement la question des conditions d’accès avant d’aller visiter les biens. Je n’ai plus envie de mentir, de me sentir humiliée.»
Cumul des fragilités
«Plus de la moitié des femmes rencontrées disent avoir dû mentir ou créer de fausses fiches de paie afin d’avoir accès à un logement», souligne, de son côté, Julie Gillet, responsable aux Femmes prévoyantes socialistes d’une étude sur le mal-logement au féminin. «Les discriminations subies par les femmes dans leur accès au logement sont d’autant plus fortes si celles-ci cumulent les fragilités: famille monoparentale, sans emploi, d’origine étrangère. Des discriminations dont le poids se fait particulièrement sentir en situation de crise. Ainsi, que ce soit à la suite d’une rupture, d’une naissance ou d’une perte soudaine de revenus, de nombreuses femmes se retrouvent à chercher un logement dans l’urgence. Face à la pénurie de l’offre, particulièrement prégnante à Bruxelles, elles sont souvent contraintes d’accepter des logements de mauvaise qualité, à des prix trop élevés.»
«83% des chefs de familles monoparentales sont des femmes.», Julie Gillet, chargée de projet aux Femmes prévoyantes socialistes
Car, à côté de la précarité matérielle, une des grandes constantes dans le mal-logement féminin est un parc immobilier inadapté aux réalités sociales et financières des ménages, à l’instar des familles monoparentales qui, entre 1991 et 2014, ont vu leur nombre augmenter de 51%. «83% des chefs de familles monoparentales sont des femmes, ajoute Julie Gillet. Les femmes monoparentales sont rarement propriétaires de leur logement, poursuit-elle. Louer un bien ne leur est pas facile non plus, surtout à Bruxelles. Les femmes monoparentales occupent plus souvent des logements moins confortables, plus petits, de moins bonne qualité et proportionnellement plus chers que la moyenne. D’une manière générale, les familles monoparentales sont celles qui rencontrent le plus de difficultés de logement, qui se déclarent le plus insatisfaites de leur logement et qui manifestent le plus leur envie de déménager.»
Des stéréotypes à l’œuvre
Mais en matière de mal-logement féminin, les stéréotypes de genre y jouent un rôle important. «Parce que ceux-ci structurent les rapports sociaux, sur le marché immobilier, comme partout ailleurs dans la société. Et les conséquences sont très concrètes: outre les préjugés sexistes qui font douter certains propriétaires de la capacité des femmes à gérer un logement, à bricoler, à l’entretenir, elles peuvent aussi être victimes de harcèlement moral et sexuel de la part de propriétaires», souligne Noémie Emmanuel, pour Vie féminine, qui a consacré une étude au mal-logement féminin en 2016(2). L’autre problème, relevé dans cette analyse, concerne le Code du logement dont certaines mesures empêchent les femmes plus précarisées d’avoir accès à un logement décent. «Cet instrument juridique établit les critères de salubrité destinés à réglementer la qualité des habitations. Pourtant, ces critères ne correspondent pas aux réalités de vie des femmes. Ils sont à la fois trop stricts pour leur permettre de vivre dans des logements alternatifs – qui seraient pourtant bienvenus dans le contexte de crise actuelle – et assez flous pour maintenir bon nombre de femmes dans des logements indécents. Par exemple, le Code du logement ne reconnaît pas la caravane comme un habitat salubre mais n’empêche pas les marchands de sommeil de proliférer.»
«Le Code du logement ne reconnaît pas la caravane comme un habitat salubre mais n’empêche pas les marchands de sommeil de proliférer.», Nicolas Bernard, professeur de droit à l’Université Saint-Louis
Ces constats sont loin d’être neufs. En 2007, Nicolas Bernard publiait une étude sur le mal-logement féminin en Wallonie et à Bruxelles(3). À l’époque, le professeur de droit à l’Université Saint-Louis pointait du doigt les comportements discriminatoires des bailleurs à l’égard des femmes, tout comme le manque criant de grands logements qui écartait du marché locatif les familles et donc les ménages monoparentaux. «Il incombe aux pouvoirs publics d’adapter leur offre de logements en vue de rencontrer les besoins de ce public-là également, qui peine donc à se loger sur le marché privé. Mais les sociétés de logement social ne proposent guère plus d’habitations destinées aux grands ménages. En l’état actuel du bâti, ce genre de logements se fait rare au sein du patrimoine géré par les sociétés immobilières de service public. Et cette proportion a encore tendance à être dégressive à cet égard puisque le nombre de grands logements (trois chambres ou plus) a connu un repli de 22% entre 1990 et 1998 au sein du parc immobilier public de la capitale», écrivait-il alors.
«Dix ans plus tard, je ne dirais pas que rien n’a changé, estime le professeur de droit, qui voit au moins deux raisons à cette évolution. D’abord, au niveau de la sensibilisation, la lutte contre le mal-logement féminin est devenue, si pas une priorité, un objectif des politiques. Les mentalités ont évolué, alors qu’en 2007 ce sujet n’était pas du tout évoqué. Ensuite, sur le plan réglementaire, il y a eu l’une ou l’autre évolution comme, par exemple, la possibilité pour une société de logement social de réserver 3% des attributions à des personnes victimes de violence domestique», analyse Nicolas Bernard.
Mais cela ne suffit pas à endiguer le problème: «Si le mal-logement féminin persiste, c’est parce qu’il n’y a ni mesure radicale prise par les autorités pour encadrer les loyers ni évolution significative du parc de logements sociaux qui n’est pas à la hauteur de la demande, majoritairement féminine», constate encore le professeur de droit.
(1) «Un toit, mon droit! Douze femmes en colère», étude réalisée par Julie Gillet dans le cadre de la campagne 2017 «Un toit, mon droit» des Femmes prévoyantes socialistes.
(2) «Le logement, un droit pour toutes», étude réalisée par Noémie Emmanuel, Vie féminine, 2016.
(3) Nicolas Bernard, «Femmes, précarité et mal-logement: un lien fatal à dénouer», Courrier hebdomadaire n° 1970, CRISP, 36 p., 2007.
En savoir plus
«Les mesures d’austérité précarisent les femmes en particulier», Alter Echos, Marie Jauquet, 8 mars 2016
À noter: quatre soirées théâtre-débat autour des témoignages recueillis dans le cadre de l’étude des FPS: le 10 octobre à Liège, le 27 octobre à Tournai, le 14 novembre à Mons et le 20 novembre à Charleroi.