Deux ans après l’inauguration de sa «chaudière villageoise», pari réussi pour la coopérative citoyenne de Malempré (Manhay) qui propose à ses habitants une facture énergétique moins chère et plus écologique. Pour alimenter la chaudière, une production en circuit court de plaquettes de bois se développe lentement mais sûrement. Un nouveau projet pourrait bien la faire décoller: exploiter la biomasse sur les abords de l’autoroute qui traverse la commune.
Du village, on ne l’entend pas. Pourtant la E25 n’est qu’à quelques centaines de mètres. À bord de sa jeep, Vincent Sepult joue les guides. «Le bois, ce n’est pas ça qui manque par ici», dit-il en esquissant un geste de la main vers l’horizon bouché par les conifères et les feuillus. Au bout du chemin, l’autoroute apparaît derrière les taillis. En contrebas, voitures, semi-remorques et caravanes défilent à toute allure. «Vous voyez cette portion de 30 mètres sur les abords de l’autoroute?, indique l’agriculteur. On a ici un gisement phénoménal d’arbres, de haies, de buissons à croissance rapide qui ne demandent qu’à être exploités.»
Pas moins de 1.600 m³ sont nécessaires pour faire fonctionner cette chaudière villageoise de 540 kWh installée dans l’ancien presbytère.
Un chiffre résume la dernière idée en date qui a germé au sein de la coopérative créée par les habitants de Malempré (commune de Manhay). «Tailler les haies sur un tronçon de 1 km le long de l’autoroute permettrait de chauffer le village pendant un an, estime Vincent Sepult. Un beau potentiel quand on sait que la commune est traversée par la E25 sur un tronçon de 12 km. Ça vous donne une idée. Dans les deux sens, on a potentiellement 24 années de combustible. Et comme ça repousse, c’est renouvelable!»
Sous les pavés, l’eau chaude
Vincent Sepult n’en est pas à son coup d’essai. Pour cet agriculteur, développer la production de plaquettes autour du village est une façon de boucler la boucle. En 2010, avec une poignée d’habitants du village, il a lancé «Malempré, la chaleur de vivre», une coopérative à finalité sociale qui gère aujourd’hui une chaufferie collective qui fournit chauffage et eau chaude à 48 maisons, l’équivalent de 65 ménages. Pour l’alimenter, il faut du combustible. En l’occurrence ici, du bois transformé en plaquettes, sorte de copeaux «grand format». Pas moins de 1.600 m³ sont nécessaires pour faire fonctionner cette chaudière villageoise de 540 kWh installée dans l’ancien presbytère. De là se déploie un réseau de chaleur de 3 km dans les rues du village.
La chaudière étant installée dans l’ancien presbytère, c’est de là que démarre le réseau de chaleur de 3,3 km creusé dans plusieurs rues du village. Le principe est simple. Du bois est transformé en plaquettes, qui sont intégrées dans la chaudière pour créer de la chaleur. Celle-ci est ensuite diffusée dans le réseau. «À l’époque, la commune prévoyait de remplacer une partie de la voirie», explique le président de la coopérative, Charles Havelange. Une grande partie des rues du village devait être ouverte pour installer un nouveau réseau d’eau potable. «On a profité de cette occasion pour installer notre réseau de chaleur dans les rues concernées.» Après plusieurs mois de travaux, la mise à feu du réseau de chaleur a eu lieu en février 2014.
Aujourd’hui, le village s’apprête à affronter son troisième hiver. En toute sérénité, si on en croit ceux qui en bénéficient. Charles Havelange le confirme: «Les habitants raccordés au réseau sont généralement très contents.» Il en veut pour preuve que certains habitants avaient conservé dans un premier temps leur chaudière au mazout pour pouvoir se retourner en cas de problème. «Aujourd’hui, on voit dans le village de plus en plus d’annonces pour des chaudières à vendre. Elles ont presque toutes été revendues», sourit-il. Il faut dire que le système offre un certain confort aux habitants: c’est la coopérative qui prend en charge l’entretien de la chaudière et des installations dans les maisons. L’hiver, par exemple, les membres de la coopérative donnent de leur temps une fois par mois pour nettoyer la chaufferie tandis que d’autres assurent le suivi des dossiers, le relevé des compteurs et la gestion des factures.
Sortir des énergies fossiles
À l’origine de ce projet, il y a la volonté de ne plus être à la merci des fluctuations du prix de l’énergie. À l’époque où le projet est lancé, le prix du mazout est au plus haut. «La chaudière du village nous permet de plafonner le prix de l’énergie et nous offre une sécurité d’approvisionnement tout en réduisant les émissions de CO2», souligne Charles Havelange. Ce qui fait grosso modo une économie de 155.000 litres de mazout, soit 375 tonnes de CO2 en moins rejetées dans l’atmosphère.
«Tailler les haies sur un tronçon de 1 km le long de l’autoroute permettrait de chauffer le village pendant un an.» Vincent Sepult, agriculteur
Des litres de mazout, en moins, c’est aussi une façon de faire des économies à la fin du mois. Sauf qu’entre le lancement du projet et aujourd’hui, le prix du mazout a fortement baissé. Or, à Malempré, le coût de l’énergie est refacturé sur la base du nombre de litres de mazout théoriquement nécessaires pour produire la même quantité d’énergie. Mais pour éviter les fluctuations trop importantes, la coopérative a défini un prix plancher de 60 centimes et un plafond de 80 centimes. «Le plancher garantit l’équilibre financier tandis que le plafond rassure les clients sur le prix maximal à payer si le mazout remontait», résume le président de la coopérative.
Résultat: un prix du mazout faible ne fait pas les affaires de la coopérative. Les rentrées sont moins importantes que prévu. Par exemple, la coopérative a vendu son énergie à bas prix pendant toute l’année 2015. Mais d’après son président, son budget reste à l’équilibre. «Après avoir honoré les factures, la coopérative dégage actuellement peu de marges bénéficiaires, ce qui grève le développement du projet», conclut Charles Havelange. Les nouvelles demandes de raccordement dans le village, pourtant nombreuses, devront attendre.
Circuit (très) court
Deux ans après son lancement, où en est le développement de la filière locale de production de plaquettes de bois? L’ambition affichée par la coopérative était l’autoproduction du combustible. Qu’en est-il aujourd’hui? Petit à petit, la filière locale prend forme même si la majeure partie des plaquettes de bois est encore achetée dans les scieries de la région. «On intègre progressivement la production locale, explique Charles Havelange. Cette année, 20% de plaquettes auront été produites par les agriculteurs du village.»
À Malempré, deux hommes portent cette filière locale à coups de débroussailleuse et de broyeuse: «On a acheté du matériel de coupe. On est en train de construire un hall de séchage pour entreposer le bois coupé avant de le transformer en plaquettes», explique Samuel Collignon, l’autre agriculteur-entrepreneur de Malempré à se lancer dans la «plaquette». Une façon aussi pour eux de diversifier leurs activités de manière intelligente: «Comme on doit couper ‘hors sève’, les tailles ont lieu généralement entre les mois de novembre et de janvier. Pile au moment où le travail agricole nous laisse un peu de répit», note Vincent Sepult. Les deux agriculteurs y croient. D’autant que des chaufferies du type de celle de Malempré se multiplient dans les environs. La commune de Manhay notamment est en train de développer des projets similaires pour chauffer des bâtiments publics dans d’autres villages. «C’est amusant quand on sait qu’au départ la commune ne voyait pas nécessairement notre projet d’un très bon œil», sourit Samuel Collignon.
«On intègre progressivement la production locale. Cette année, 20% de plaquettes auront été produites par les agriculteurs du village.» Charles Havelange, président de la coopérative «Malempré, la chaleur de vivre»
Francis Flahaux connaît bien le projet à Malempré. Facilitateur «Bois et énergie» à la Fondation rurale de Wallonie, il a réalisé une étude de faisabilité et a suivi son développement. «L’initiative est remarquable à plus d’un titre. Véritablement portée par les citoyens, elle a ensuite bénéficié du soutien financier de nombreux acteurs publics.» Région et gouvernement wallons, province, commune et même la Loterie nationale ont permis à la coopérative de boucler un budget de 1.250.000 euros.
En tant que «projet exemplaire», l’initiative a reçu des enveloppes exceptionnelles du ministre de l’Énergie de l’époque, Jean-Marc Nollet (Écolo), et de son collègue à l’Agriculture, René Colin (cdH). «C’est ce qui fait à la fois sa force et sa faiblesse. Des aides qui ont dopé le projet, mais qui ont rendu le montage à ce point spécifique qu’il en devient un projet difficilement reproductible ailleurs», constate Francis Flahaux. D’autant que, à l’époque, les habitants ont encore pu compter sur un soutien substantiel de la Région wallonne par le biais des primes «énergie verte», primes qui entre-temps ont été revues à la baisse par la nouvelle majorité.
L’E25 en ligne de mire
«Exemplaire», «remarquable», Malempré est avant tout un projet pilote. À ce titre, le facilitateur «Bois et énergie» suit de très près le développement de la filière locale de production de plaquettes. Établir une concession entre le gestionnaire d’autoroutes et la coopérative afin que ce qui est fauché le long de l’autoroute aille directement alimenter la chaudière villageoise? L’homme est «pour», mais mesure les obstacles à lever. «À l’heure actuelle, c’est un marché réservé à une dizaine de gros opérateurs du secteur bois-énergie outillés pour travailler le long des autoroutes. Des entreprises qui peuvent se permettre de traiter de grosses quantités de bois.»
Avec un constat: si le bois coupé est généralement utilisé pour produire pellets, plaquettes de bois ou panneaux, la matière première voyage beaucoup. «On parle plus à l’heure actuelle d’une valorisation économique du bois. L’aspect environnemental ou la dimension locale ne font pas véritablement partie de la réflexion», déplore Francis Flahaux. Du moins pas encore parce que les choses pourraient changer dans les années à venir. La Sofico, qui gère le réseau autoroutier en Wallonie, a lancé récemment un «appel à intérêt» pour la valorisation énergétique des abords du réseau autoroutier wallon.
Si l’appel fait surtout la part belle à l’éolien, il concerne aussi le photovoltaïque et les projets «biomasse». Du côté de la Sofico, on l’assure, tous les acteurs, y compris les petits, sont invités à se manifester et à présenter leurs projets pour le 31 octobre 2016. Sur la base de ces différentes marques d’intérêt, un cahier des charges global devrait être rédigé en 2017 pour déboucher cette fois sur un véritable «appel à projets» dont les résultats sont attendus au plus tôt pour fin 2017. Reste à voir si la dimension «locale» sera prise en compte de manière que des petites coopératives citoyennes aient voix au chapitre. Celles-ci, mises en concurrence avec de grands opérateurs déjà bien implantés et bien outillés, on voit mal comment elles pourraient se frayer une place dans un marché aussi concurrentiel.
À Malempré, en attendant, on tente de montrer de quel bois on se chauffe en exploitant les haies et les taillis aux bords des chemins ou des prairies près du village. Un projet pilote de fauchage sur une portion de 1 km à côté de l’autoroute a été réalisé au printemps dernier. «L’expérience est concluante. On doit encore investir dans du matériel spécifique et on sera prêts, explique Vincent Sepult. Optimiste de nature, l’homme n’en demeure pas moins réaliste. Ça prendra le temps qu’il faut, mais on finira bien par y arriver. Les arbres ne montent pas au ciel… Il faut les gérer, les tailler sinon ils finissent par mourir. Ce serait dommage qu’on ne nous laisse pas exploiter tout ce potentiel.»
Sofico: un appel à intérêt taillé pour les petits opérateurs?
E25, E40, E42, E411, E429, le réseau autoroutier wallon est vaste et ses abords offrent un beau potentiel énergétique. La Sofico, la société qui gère le réseau en Wallonie, a lancé récemment un appel à manifestation d’intérêt pour la valorisation énergétique de ces zones à travers des projets «biomasse» mais aussi photovoltaïques et éoliens. Une opération qui doit permettre à la Sofico d’assurer son autonomie financière mais aussi de contribuer aux objectifs que la Région wallonne s’est fixés en matière d’énergies renouvelables.
Valorisée, la biomasse le long de nos autoroutes représente un marché de taille actuellement partagé entre une dizaine d’opérateurs du secteur bois-énergie. «Avant il y a avait plus d’opérateurs mais ça devenait difficile à gérer au niveau administratif, confie Philippe Colette, responsable du service environnement au Service public de Wallonie. On a été obligé de rationaliser et de réduire leur nombre.» Des concessions attribuées par adjudication publique où les gros opérateurs capables de remettre l’offre de prix la plus concurrentielle raflent la mise.
«Une fois coupé, le bois devient la propriété de l’entrepreneur», poursuit le responsable du SPW. Si le bois est utilisé pour fabriquer des pellets, des plaquettes ou des panneaux, l’entreprise est libre de le valoriser où et comme elle l’entend. Et parfois au-delà de nos frontières. Rien n’est précisé actuellement sur les dimensions «écologique» et «locale» de ces marchés publics.
Mais les choses bougent puisque le récent appel à intérêt de la Sofico précise que «la faveur sera donnée à une production et une consommation locales de l’énergie produite». De plus, contrairement au précédent appel lancé en 2012, la Sofico n’exclut plus désormais que «la réalisation du projet d’ensemble soit prise en charge par plusieurs opérateurs distincts qui se partageraient la surface totale en plusieurs projets distincts s’il s’agissait de réaliser le projet global de manière plus pertinente». En clair, là où le précédent appel avantageait de facto les gros opérateurs seuls capables d’assurer une exploitation multidimensionnelle (le fauchage, la taille sur les abords mais aussi en berme centrale…) du réseau, désormais, la voie est ouverte aux petits opérateurs.
L’administrateur délégué de la Sofico, Jacques Dehalu, le confirme. L’appel à intérêt qui se clôture le 31 octobre 2016 «vise tous les acteurs, les grands comme les petits». Sur la base des différentes marques d’intérêt, la société s’est engagée à établir un cahier des charges global pour mars 2017 et a lancé ensuite un véritable «appel à projets» dont les résultats sont attendus au plus tôt pour fin 2017. Les premiers projets pilotes devraient démarrer début 2018. Du côté de Malempré, on prend son mal en patience. Et on touche du bois.