Quand on parle de mobilité et de santé, on pense souvent à l’accès aux services de soins des habitants de zones rurales et isolées. Mais que l’on se situe enterritoire rural ou urbain, qu’en est-il de la santé quand on vit une situation de mobilité dans le logement ?
Gens du voyage, personnes sans-abri ou autres personnes en situation de grande précarité qui déambulent de logement précaire en logement précaire…Ces hommes et ces femmes n’ont pas grand-chose en commun. A une exception près : une certaine mobilité et précarité dans le logement. Qu’elle soit contrainte ouchoisie, cette mobilité a des répercussions sur leur état de santé et sur l’accès aux soins.
« Le fait d’avoir un logement fixe crée des effets inattendus, souligne d’emblée Frank Vanbiervliet, responsable des missions belges chez Médecins du monde(MDM)1. Un bon logement, cela joue sur le fait de se sentir en sécurité, d’être à l’aise, cela a des effets sur l’estime de soi, sur le fait de se prendre enmain. Cela fait bouger énormément de choses au niveau de la santé mentale. » Le constat est sans équivoque : le fait de ne pas avoir un logement dequalité a des effets déstructurants et renforce les vulnérabilités, en termes de santé mentale, mais pas seulement.
Pas de logement de qualité, pas de santé !
« Il y a énormément de problèmes de santé dus à l’instabilité du logement, confirme Bernadette Michel, médecingénéraliste et membre du CA du Collectif logement à Hannut2. Des problèmes de dépression, d’anxiété… Et ce n’est pas un médecinqui peut résoudre ces problèmes. Le médicament n’est qu’un emplâtre dans ces cas-là. » Ces souffrances sont dues aux impacts des coûts du logement.Sans parler des locataires et de leurs enfants expulsés pour ne pas avoir pu débourser le loyer en fin de mois.
Et quand on n’a pas de logement, alors ? Vivre à la rue, c’est sûr, n’est pas bon pour la santé. Sur la base d’une enquête menée en 2010 auprès d’unpublic de personnes sans abri, Médecins du monde dresse leur portrait sous l’angle de la santé. Leur espérance de vie se situe entre 45 et 50 ans, soit environ 30 ans de moinsque celle d’un Belge (79 ans), souligne un communiqué de MDM du 25 novembre. Les pathologies les plus fréquentes sont liées au froid et aux problèmesd’hygiène : infections respiratoires, affections dermatologiques, problèmes aux pieds. Un patient sur deux souffre d’une maladie chronique, les troubles psychiques sont beaucoupplus courants que dans la population générale, une personne sur trois souffre d’une maladie psychiatrique sévère et une sur trois souffre d’une addiction.
« Il faut rappeler qu’un sans-abri fait pas mal de chemin à pied par jour, renchérit Frank Vanbiervliet. Un demandeur d’asile, par exemple, va chez Convivial au bout deForest, va chercher une soupe là-bas puis jusque chez un médecin à Schaerbeek. L’accueil développé dans le cadre du Plan hiver du Samu social se situe tout au boutd’Etterbeek. Il y a les transports publics, mais sans titre de voyage et parfois sans titre de séjour, c’est difficile… Il y a donc énormément de problèmes aux pieds, encombinaison avec le froid. »
Autres types de nomades, autres problématiques. Chez les Gens du voyage, les problèmes de santé mentale se manifestent souvent à la suite des expulsions àrépétition dont ils sont victimes. Les enfants sont particulièrement fragiles face à ces épisodes, douloureusement vécus. « Ce sont desproblématiques qui découlent directement du fait que l’habitat mobile n’est pas pris en compte en Wallonie, explique Pascale Nizet, du Centre de médiation des Gens duvoyage3. Car il n’y a pas ici d’organisation officielle du séjour des Gens du voyage. » A ces risques d’expulsion s’ajoute le fait que ces groupes sont souventrelégués dans des lieux qui posent question du point de vue santé, parce qu’ils sont à proximité d’une voie ferrée, d’une autoroute ou encore d’un zoningindustriel.
La mobilité, un frein à l’accès aux soins
« Les terrains où habitent les Gens du voyage sont souvent très excentrés, continue Pascale Nizet, d’où un problème d’accès physique auxhôpitaux, maisons médicales, médecins. Parfois, il n’y a qu’un bus qui passe deux fois par jour. » L’accès géographique est en jeu, mais aussi celuià l’information. Car souvent, quand on séjourne temporairement dans un lieu, on ne sait pas où s’adresser, on ne connaît pas les services existants. Les expulsions peuventaussi être en cause dans l’arrêt d’un traitement. « Cet été, nous avons eu deux ou trois situations de ce type, alors que nous étions face à desproblèmes de santé parfois très graves (maladies infectieuses, cancer) », déplore Pascale Nizet.
Pour les Gens du voyage, ce sont les situations d’urgence qui posent problème. Car un suivi médical à plus long terme s’organise tant bien que mal à partir du lieuoù ils séjournent à demeure pendant une partie de l’année. Ils y ont un médecin traitant, un hôpital de référence, quitte à avaler leskilomètres pour se rendre à une consultation.
La continuité des soins se révèle par contre un défi de taille pour les personnes sans-abri ou dont les installations sont toujours provisoires. « Il faut del’énergie pour s’orienter vers une nouvelle filière de soins. C’est aussi pour cela qu’il y a une partie de la population qui ne se soigne que dans les services d’urgence »,nous assure Bernadette Michel. Quant aux généralistes, ils peuvent difficilement assurer un véritable suivi des patients en errance qui passent constamment d’un interlocuteurà un autre.
Souvent, l’accès aux soins pour ces personnes se réduit à l’hôpital, résume quant à elle Begoña Cainas, du service social de l’hôpitalSaint-Pierre. « C’est un des seuls endroits où les gens viennent. C’est le dernier recours. Mais il s’agit toujours de traiter des problèmes ponctuels ou qui doiventdéboucher sur une hospitalisation. » En effet, nous confirme Frank Vanbiervliet, personne ne va refuser de soigner des situations d’urgence. « Mais il y a urgence eturgence. Une personne qui a le diabète, par exemple, s’il n’y a pas de risques immédiats, ne recevra pas de soins. Alors que sur le long terme, elle court des risques importants. Il n’ya jamais non plus de suivi post-opératoire. »
Autre constat, partagé par le Centre de médiation des Gens du voyage et par Médecins du monde : la persistance chez certains médecins généralistes dest&eacut
e;réotypes qui jouent sur la relation entre le soignant et le soigné. Parfois, ils empêchent une prise en charge directe, notamment par crainte du médecin de ne pasêtre payé.
Barrières administratives : le parcours du combattant !
Pour chacune des démarches médicales effectuées, le bénéficiaire d’une allocation sociale a besoin d’un réquisitoire. Or les CPAS ont souvent uneconvention avec un hôpital et l’octroi d’un soutien financier pour les frais médicaux empêche le choix des intervenants. Bref, chaque fois qu’on change de commune, onchange de médecin. Difficile, dans ce contexte, de garantir un suivi dans la durée.
Difficile aussi, pour certains, de couvrir les frais existants mêmes si les modalités d’un suivi démocratique existent. L’aide médicale urgente (AMU) estdispensée aux personnes en séjour illégal. Elle impose à ses bénéficiaires de payer la première consultation afin de fournir une attestation de besoind’aide médicale, exigée par le CPAS pour son enquête sociale. Or si les déménagements se succèdent, ces premières consultations payantes semultiplient.
Encore faut-il savoir quel CPAS est compétent quand on dort un jour à gauche, un jour à droite. « Pour les personnes précarisées en Belgique,l’accès aux soins dépend du lieu de résidence. C’est parfois difficile de déterminer le CPAS compétent », explique Sophie Damien, assistante sociale auCaso de MDM à Bruxelles. Et de citer l’exemple des sans-abri qui dorment à la gare du Midi. « Trois CPAS sont compétents selon l’endroit où l’on dort dans lagare. Si les CPAS ne font pas preuve de souplesse, conclut-elle, ils se renvoient constamment la balle. » Des conflits de compétence, il y en a aussi entre le CPAS de 1000 Bruxelleset Fedasil, quand il s’agit de demandeurs d’asile « non désignés » (demandeurs d’asile qui n’ont pas reçu de place d’accueil, en raison du manque de placesdisponibles). On ne peut que souligner l’absurdité de la situation, quand c’est un même secrétaire d’Etat, Philippe Courard (PS), qui est compétent pour les deuxinstances.
La domiciliation reste aussi un obstacle majeur au remboursement des soins. De manière effective, il faut un domicile pour être affilié à une mutuelle. Or lamobilité dans le logement freine considérablement les procédures. Et à défaut d’une domiciliation, les étrangers porteurs d’une maladie grave ou chronique nepeuvent pas avoir recours à la protection médicale de l’article 9ter4, qui prévoit une autorisation de séjour pour des raisons médicales. A Bruxelles, illeur reste l’AMU. Mais à Anvers, peanuts.
Dans la première ville flamande, l’accès aux soins serait même utilisé pour réguler le flux migratoire. Cela, sous prétexte de combattre ce que certainsqualifient de « tourisme médical ». « Or l’accès aux soins n’a pas d’impact sur la migration en tant que telle, tient à préciser FrankVanbiervliet. Ce sont plutôt des facteurs d’insertion dans l’économie locale ou encore liés à la présence importante d’une communauté sur le territoire quijouent. »
Autre de forme de mobilité internationale, avec son lot d’obstacles à franchir. Des Européens de l’Est, Bulgares ou Polonais, se déplacent jusqu’en Belgique pour venirtravailler temporairement sur des chantiers. « Ils ne sont pas en règle au niveau administratif, travaillent sans être assurés, explique encore Frank Vanbiervliet. Ilsdorment sur les chantiers et le week-end, parce qu’ils sont jetés dehors par leurs patrons, ils atterrissent dans les dispositifs du Plan hiver. » Les Européens doivent avoirrecours à l’assurance maladie de leur pays. Mais les temps de remboursement sont énormes et les taux diffèrent d’un pays à l’autre. Ils manquent de moyens pour avancer cetargent. Il existe une bonne pratique à Bruxelles, tempère néanmoins le chef de missions : après un an de séjour d’un Européen en Belgique, s’ildéclare qu’il n’a pas de mutualité dans son pays, il peut automatiquement bénéficier de l’AMU.
Le logement adapté, LA priorité
« Au Collectif logement, depuis 10 ans, l’objectif est que les bénéficiaires puissent rebondir, via le passage temporaire par un logement bon marché. De quoirepartir ensuite sur le marché locatif normal. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, les personnes qui ont trouvé un logement à un prix social ne peuvent plus avoiraccès au marché locatif normal », nous dit Bernadette Michel. Or, à l’unanimité, la priorité, c’est l’accès au logement.« Guérir nécessite un lieu où se poser, en sécurité, adapté », soutient Pierre Verbeeren, directeur général de MDM, dansle communiqué.
Un logement adapté signifie qu’il tient compte des spécificités de ses habitants : logement supervisé ou communautaire pour les uns, logement social coupléà une assistance psychiatrique pour les autres… Un logement adapté, c’est peut-être aussi reconnaître le nomadisme comme un mode de vie, la caravane comme un logement eten organiser les modalités de séjour. Quant à ceux, précaires parmi les précaires, qui vivent la mobilité dans l’exil, MDM plaide pour leur faciliterl’accès aux soins (sans-papiers) et leur organiser un accueil digne (demandeurs d’asile).
1. Médecins du monde :
– adresse : rue de l’Eclipse, 6 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 648 69 99
– courriel : info@medecinsdumonde.be
– site : www.medecinsdumonde.be
2. Collectif Logement :
– adresse : rue Zénobe Gramme, 42 à 4280 Hannut
– tél. : 019 51 09 79
– courriel : info@collectiflogement.be
– site : www.collectiflogement.be
3. Centre de médiation des Gens du voyage et des Roms :
– adresse : rue des Relis Namurwès, 1 à 5000 Namur
– tél. : 081 24 18 14
– courriel : gensduvoyage@skynet.be
– site : www.cmgv.be
4. Article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers.