Le plan triennal pour la prévention de la maltraitance a été adopté en septembre dernier. Il crée de nouvelles instances de concertation entre secteurs et réaffirme le rôle de Yapaka comme lieu de coordination entre des actions jusqu’ici disparates. Ce «premier pas» est souvent salué même si des spécialistes de l’aide à la jeunesse s’inquiètent du manque de lien entre prévention et prises en charge au niveau local.
La maltraitance infantile augmente: 7.759 cas de maltraitance ou de suspicion ont été relevés par l’administration générale de l’Aide à la jeunesse en 2017, contre 6.384 l’année d’avant. Quinze pour cent de hausse. Faut-il en déduire que la maltraitance sur les enfants se banalise?
Pas si simple. Pour Claire-Anne Sevrin, coordinatrice chez Yapaka (organisme qui coordonne la prévention de la maltraitance infantile en Fédération Wallonie-Bruxelles), «cette augmentation est à prendre avec des pincettes; cela peut aussi signifier que les problématiques sont mieux prises en compte et que la prévention est plus efficace, ce qui permet de mieux identifier les cas et augmente aussi le nombre de signalements».
Les 7.759 cas prouvent une chose, s’il en était encore besoin: la prévention est essentielle pour juguler la maltraitance sur les enfants. Une prévention qui n’est pas des plus aisées à organiser par les pouvoirs publics. Car la violence psychologique ou physique à l’égard des enfants concerne tous les pans de la vie sociale. Elle nécessite une vigilance de la part des enseignants, des mouvements de jeunesse, du personnel hospitalier, des encadrants sportifs, et, bien sûr, de l’Aide à la jeunesse et de l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE). Deux «secteurs» en première ligne qui forment leur personnel à la détection de situations inquiétantes et lancent diverses actions de prévention ou de sensibilisation. Ajoutons que Yapaka, depuis 2006, dirige des campagnes de sensibilisation du grand public et développe des outils d’information et de formation des professionnels. Dans ce paysage éclaté, des administrations indépendantes mènent des actions éparses, sans grande cohérence, alors que Yapaka est censé coordonner la prévention.
«L’objectif est de créer une culture commune.» Claire-Anne Sevrin, Yapaka.
Au-delà du catalogue d’initiatives
Face à ce relatif désordre, le gouvernement a adopté un arrêté le 23 novembre 2016 pour mieux organiser cette prévention. Le texte oblige toutes les administrations concernées par la maltraitance infantile à se réunir pour élaborer un plan triennal et se mettre d’accord sur quelques grandes lignes communes. Le premier plan triennal de prévention de la maltraitance a donc été validé en septembre dernier. On y lit quelques grands fondements communs aux différentes administrations de la Fédération Wallonie-Bruxelles quant à la façon d’appréhender la maltraitance (bienveillance, une aide fondée sur la solidarité, renforcer la position des adultes, etc.). «L’objectif est de créer une culture commune», explique Claire-Anne Sevrin.
Pour créer cette «culture», de nouvelles instances sont créées, un comité directeur et un comité de projet qui réunissent des représentants de l’ONE, de l’Aide à la jeunesse, de l’administration générale de la Culture, de la Jeunesse, de l’Enseignement, des Sports. C’est le comité de projet qui a rédigé le plan et qui se réunira régulièrement pour l’évaluer, le faire avancer et imaginer, peut-être, des projets communs. Car, pour l’instant, le plan ressemble surtout à une liste d’actions existantes. «C’est vrai, reconnaît Stephan Durviaux, du cabinet de Rachid Madrane, ministre de l’Aide à la jeunesse, que cela fait un peu catalogue. Mais c’est un premier pas, et, avec le temps, le plan va évoluer vers davantage de coordination.» Jessica Segers, responsable des équipes SOS Enfants (qui dépendent de l’ONE), ne voit pas ces nouvelles instances comme de énièmes grosses structures transversales difficiles à bouger: «On parle de grosses administrations. Là, on peut instaurer une culture commune du partage des actions, on pourra cibler les manques, mieux s’organiser. Cela a beaucoup de sens, car ces instances donnent une légitimité à Yapaka pour mettre en œuvre les grands axes d’action.»
«Nous n’avons même pas été informés de l’élaboration du plan.» Guy De Clercq, qui préside la commission de coordination d’aide aux enfants victimes de maltraitance de Mons.
Un chaînon manquant?
Ce plan triennal laisse toutefois quelques zones d’ombre. Comment les commissions de coordination d’aide aux enfants victimes de maltraitance sont-elles intégrées dans cette architecture de la prévention? Mystère. «Nous n’avons même pas été informés de l’élaboration du plan», affirme Guy De Clercq, qui préside la commission de Mons.
Ces commissions de coordination sont mises en place localement, au niveau de la division judiciaire. Il s’agit de lieux intersectoriels où les représentants du parquet, de l’Aide à la jeunesse, de l’ONE, des écoles, des services PMS réfléchissent aux meilleures façons de prendre en charge les situations de maltraitance. Sauf qu’en pratique, certaines de ces commissions lancent de très bons outils de prévention. C’est ce que vient de faire la commission de Tournai qui sort un webdocumentaire destiné aux professionnels (cf. encadré). «Nous travaillons sur les bonnes pratiques, en cela nous faisons de la prévention», estime Michaël Verhelst, qui préside la commission de Tournai. Selon lui, il est important de créer des rouages entre les situations individuelles et le préventif. Cela sera-t-il le cas avec ce plan triennal? Difficile à dire. Rien n’est prévu par l’arrêté de novembre 2016 pour construire un pont entre ces commissions locales, qui travaillent au plus près des situations de maltraitance, et ces nouvelles instances que sont le comité directeur et le comité de projet.
Pour Claire-Anne Sevrin, le plan triennal ne «laisse pas de vide». «Inutile de crier au loup. Les choses vont s’installer avec le temps. Il n’existe pas de lien structurel, institutionnalisé avec les commissions locales, mais le lien existe par la présence de représentants de chaque administration dans le comité de projet. Après, tout dépend de la façon dont ces représentants se saisissent de leurs tâches.»
Que faire face à des cas de maltraitance? Un webdoc pour s’y retrouver
La commission de coordination de l’aide aux enfants victimes de maltraitance a réalisé un webdocumentaire destiné aux professionnels de tous secteurs. L’idée est de les aider à s’y retrouver lorsqu’ils sont confrontés à des cas de maltraitance infantile. L’outil présente sous forme de villages les grands ensembles qui peuvent intervenir: les secteurs de l’enfance, de l’aide à la jeunesse, de la justice et de l’enseignement y sont représentés. Dans chacun de ces villages, on trouve des maisons qui correspondent à différents types de services (services d’aide à la jeunesse, services d’aide en milieu ouvert, services mandatés pour l’aide à la jeunesse). Des vidéos d’acteurs du secteur expliquent le cadre d’action de chacun de ces services; le webdocumentaire est accessible en ligne en cliquant sur ce lien: http://www.enlignedirecte.be/webdoc/ccaevm/