Un rapport du Centre fédéral d’expertise des soins de santé évalue la politique en matière de détection de la maltraitance infantile en Belgique. Le constat du manque de coordination des différents acteurs concernés est un classique. Le modèle proposé par les auteurs du rapport, inspiré des Pays-Bas et bien plus coercitif que ce qui se fait ici, ne fait pas l’unanimité.
Article publié dans Alter Echos, n°429-430, 3 octobre 2016.
Vingt ans après l’affaire Dutroux, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) a publié, en juin 2016, un rapport intitulé: «Comment améliorer la détection de la maltraitance infantile?»
Les auteurs du rapport rappellent que l’ampleur de la maltraitance en Belgique n’est pas connue, et probablement sous-estimée. Ils suggèrent d’ailleurs d’uniformiser l’enregistrement des faits de maltraitance, car seules les situations détectées et signalées peuvent être comptabilisées. Le point de départ de ce travail concernait le faible nombre de signalements émis par les professionnels de la santé, en particulier des médecins généralistes – seuls 2 à 3% des situations de maltraitance proviennent de médecins généralistes. Un faible chiffre qui s’expliquerait par un manque d’expertise mais aussi, et peut-être surtout, par une trop grande proximité avec la famille. Pour cette catégorie de professionnels, le KCE recommande, assez classiquement, de multiplier les formations afin de faciliter la détection des signes de maltraitance et de savoir vers qui se tourner en cas de suspicion. Ils suggèrent d’engager davantage de «médecins légistes» pour soutenir les prestataires de première ligne.
Une coordination à inventer
La recherche a largement dépassé ce cadre initial et les auteurs se sont penchés sur l’ensemble de la politique de détection et de suivi des situations de maltraitance, n’hésitant pas à s’attaquer à quelques tabous du secteur.
Tout d’abord: la coordination. Le manque de coordination et la complexité institutionnelle sont pointés du doigt. Ce n’est pas une nouvelle. Cette politique dépend de l’Aide à la jeunesse et de l’enfance. Mais aussi du domaine de la santé, de la justice, de la police, de l’action sociale. Du communautaire, du régional, du fédéral.
La maltraitance concernant a priori tout le monde, cette coordination s’avère particulièrement difficile.
Notons qu’il existe côté francophone un décret de mai 2004 qui organise des commissions de coordination de l’aide aux enfants victimes de maltraitance. Une cellule de pilotage conjointe à l’aide à la jeunesse et au secteur de l’enfance a ensuite été créée (en 2009) par circulaire, et dont certains professionnels (préférant rester anonymes) estiment «qu’elle n’est pas très efficace».
Il existe aussi une conférence permanente de concertation maltraitance qui réunit des professionnels du monde judiciaire, psychosocial, de l’enfance, de l’aide à la jeunesse, de la santé mentale.
Enfin, pour mieux «huiler» la communication entre secteurs, des protocoles de collaboration ont été élaborés, dont celui qui régit les relations entre les conseillers et directeurs de l’aide à la jeunesse et les équipes SOS-enfants.
Malgré ces dispositifs, nombreux (peut-être trop nombreux?), le KCE regrette l’absence de «trajet standard» pour la prise en charge de la maltraitance infantile. Les auteurs recommandent que la conférence interministérielle de la santé publique travaille à une meilleure coordination des différents acteurs concernés par la maltraitance.
Tabous en série
Le manque de places dans les services spécialisés de prise en charge des situations de maltraitance est souligné. Cela a dû faire plaisir aux services concernés qui ne cessent de dénoncer leur situation difficile.
Certains autres thèmes du rapport ont dû les faire déchanter.
Le rapport souligne les «limites» des législations des Communautés qui sont essentiellement axées sur la «collaboration volontaire des parents». Il s’inspire largement d’expériences menées aux Pays-Bas et encourage le développement «d’une approche distincte (pour certains parents qui “évitent les offres d’aide”, NDLR) moins axée sur le volontariat et davantage sur l’aide forcée». Cette aide forcée pourrait se traduire en un «éloignement de l’auteur», une «limitation de l’autorité parentale qui impose un soutien» ou un contrôle de l’assiduité avec laquelle les parents suivent une thérapie.
Autre grand «totem» du secteur de l’Aide auquel s’attaque le KCE: le secret professionnel. Partant du constat qu’un meilleur partage des informations doit être un but à poursuivre, notamment entre «la police, le parquet et le secteur de l’Aide», les auteurs recommandent d’adapter le cadre légal actuel (par exemple les dispositions du Code pénal relatives au secret professionnel) pour permettre ce partage. Côté francophone, on n’a pas souhaité aller plus avant dans la discussion. Un point de vue pris en compte dans le rapport: «Côté francophone, il n’entre pas dans les intentions d’implémenter de tels instruments parce qu’on estime que l’échange d’informations constitue une menace pour la relation d’aide.»
Enfin, le KCE constate qu’il n’existe pas d’obligation de signalement de suspicions de maltraitance, sauf dans certains cas où l’omission s’apparenterait à de la non-assistance à personne en danger.
Plutôt que d’instaurer une obligation de signalement, les auteurs du rapport suggèrent plutôt de s’inspirer (à nouveau) des Pays-Bas en imposant aux institutions des «différents secteurs concernés» un protocole d’action obligatoire. Il s’agit d’une sorte de «code» dans lequel se trouvent les différentes étapes à suivre, une «check-list» et un guide d’entretien.
Les équipes SOS-enfants, associées à la démarche du KCE en tant que «validateurs», n’ont justement… pas validé ce document car il s’inspire de trop près du modèle néerlandais, bien plus coercitif que le belge francophone.
Le rapport propose d’instaurer un système qui se rapproche d’une obligation de signalement et remet en cause le secret professionnel. Des sujets qui sont autant de lignes rouges pour le secteur de l’enfance au sud du pays. C’est ce qu’explique Jessica Segers, responsable de service chez SOS-enfants: «Nous tenons au secret professionnel tel qu’il existe aujourd’hui. Il permet de créer une relation de confiance. Nous ne souhaitons pas entrer dans cette tendance au partage généralisé des données.»
Enfin, certains passages du rapport font davantage l’unanimité. Les situations de maltraitance potentielle devraient être identifiées, dès le plus jeune âge et même «pendant la grossesse», car une prévention efficace «commence avant la naissance», disent les auteurs qui recommandent que les professionnels «évaluent systématiquement la présence de facteurs de risque» de maltraitance. Des informations qui devraient être consignées et prises en compte dans un «plan de soins périnatal». De manière générale, le KCE recommande de mettre le paquet dans l’accompagnement des parents, spécifiquement avant l’âge de 3 ans, lorsque le risque de passer à travers les mailles du filet est plus grand.