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Regard critique · Justice sociale

Maltraitance : un dispositif sans pilote ?

Plongée dans un dispositif complexe en passe d’être réformé et où deux enjeux dominent les débats : la coordination et la formation des intervenants.

12-06-2011 Alter Échos n° 317

Le dispositif de lutte contre la maltraitance est l’objet de nombreuses attentions. Tables rondes, avis d’instances, circulaires, notes et autres évaluations sont au programme des prochainsmois. Plongée dans un dispositif complexe dans lequel deux enjeux dominent les débats : la coordination et la formation des intervenants.

La maltraitance est souvent évoquée à l’occasion d’un fait divers sordide. Les questions de responsabilité, de prévention, de cohérence du dispositif delutte contre la maltraitance sont généralement posées. On en parle dans les médias, certes, mais aussi dans les secteurs concernés, avec toujours en têtecette question : « Aurait-on pu faire autrement ? »

Les possibilités de dénoncer un fait de maltraitance ou de tirer la sonnette d’alarme sont multiples. Certains vont voir la police, d’autres appellent le 103 écoute enfants,d’autres encore s’adressent aux équipes SOS enfants ou au conseiller de l’Aide à la jeunesse. La maltraitance fourmille d’acteurs. L’ambition politique des dernièresannées, conséquence de l’affaire Dutroux, était en théorie de mettre en musique un dispositif cohérent, avec en point d’orgue la publication du décret du 12mai 2004 relatif aux enfants victimes de maltraitance. Mais ce dispositif de lutte contre la maltraitance fonctionne-t-il correctement ?

Comme souvent, en Belgique, le néophyte se perd vite entre les niveaux de compétences et les institutions qui se chevauchent. C’est particulièrement le cas avec lamaltraitance, car on touche au domaine transversal par excellence. Le dispositif de lutte contre la maltraitance correspond à une sorte de méta-transversalité un peu vaporeuse.Si l’on part du principe que « la maltraitance c’est l’affaire de tous », et bien toute la société, tous ses individus et toutes ses institutions devraientêtre concernés. Quant aux secteurs qui prennent en charge la maltraitance ou qui la décèlent, ils sont nombreux : le personnel hospitalier, le secteur judiciaire,l’enfance, l’aide à la jeunesse, la santé mentale ou encore l’enseignement.

Comment s’assurer que le personnel de ces secteurs soit bien formé et informé ? Comment organiser des procédures pour que ces secteurs se connaissent, travaillent ensemble,renvoient vers le bon service ? Comment coordonner le dispositif de lutte contre la maltraitance ?

Toutes ces questions sont à l’agenda politique. Les instances d’avis du secteur de l’Aide à la jeunesse comme de l’enfance planchent sur ces questions et préparent des avis.La cellule de coordination de l’aide aux victimes de maltraitance, mieux connue sous le nom de Yapaka, a rédigé une note sur la question. Les administrations préparent unecirculaire. Quant à la ministre de l’Aide à la jeunesse de la Communauté française, Evelyne Huytebroeck1 (Ecolo), elle lance une série de tables-rondesdès la rentrée 2011.

Qui est qui ? Qui fait quoi ?

Récapitulatif des acteurs clé de la maltraitance

Equipes SOS enfants : ces équipes pluridisciplinaires dépendent de l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE). Elles assurent la« prévention individuelle et le traitement des situations de maltraitance ».

CAEM (Comité d’accompagnement de l’enfance maltraitée): référent scientifique institué au sein de l’ONE pour émettre des avis relatifsà la maltraitance.

Commissions de coordination de l’aide aux enfants victimes de maltraitance : au niveau de l’arrondissement, elles veillent à l’amélioration des procédures deprise en charge des situations de maltraitance.

Cellule de coordination de l’aide aux victimes de maltraitance – Yapaka : cette institution a notamment pour mission officielle de coordonner les actions, de centraliserl’information, de mettre à disposition l’information et de prévoir des programmes de formation.

Harmoniser les pratiques au niveau local

Pour que les intervenants susceptibles de déceler des situations de maltraitance travaillent ensemble et améliorent les procédures de prise en charge de cas individuels, descommissions locales de coordination de l’aide aux enfants victimes de maltraitance ont été créées en 2006. On n’y parle pas de cas individuels concrets, secretprofessionnel oblige, mais on tente d’imaginer les meilleurs moyens de prendre en charge des cas de maltraitance.

Autour de la table, il y a des magistrats, des représentants du parquet, des équipes des centres psycho-médico-sociaux des écoles, de la promotion de la santéà l’école, de l’ONE, de l’aide à la jeunesse et des équipes SOS enfants. Le problème c’est que le fonctionnement de ces commissions est tributaire de la bonnevolonté des acteurs locaux. Dans certains arrondissements ces commissions travaillent, dans d’autres pas, tout simplement. C’est en substance ce que nous explique Gérard Hansen quipréside cette commission à Verviers2 : « Notre objectif c’est de mettre de l’huile dans les rouages entre les acteurs, de clarifier le rôle de chacun puis defaire redescendre l’information vers le terrain. Le texte du décret abandonne les acteurs à leur bonne volonté. Dans certains arrondissements, il y a des problèmes detravail en commun.» Pour donner un nouvel élan, il faudrait une initiative visant à harmoniser les pratiques. D’après Déborah De Wulf, responsable des équipesSOS-enfants à l’ONE3, « les deux administrations, la Direction générale de l’aide à la jeunesse et l’ONE, travaillent à un projet decirculaire pour harmoniser la façon de travailler de ces commissions et améliorer le pilotage. » Une circulaire attendue…, mais qui risque de décevoir. Car parmi lesmembres de ces commissions, certains ne dépendent pas du niveau de pouvoir communautaire. Comme le résume bien monsieur Hansen : « Il y a dans ces commissions desreprésentants du volet judiciaire, c’est plutôt difficile d’imaginer une administration leur donner des consignes. »

Sur le terrain, des progrès sont réalisés et soutenus grâce à des protocoles d’accord entre institutions (voir encadré). Mais ces protocoles ne sesuffisent pas à eux-même. Gérard Hansen ne le cache pas : « Ce sont des outils, pas forcément la panacée, il deviennent productifs quand sur le terrain onse les approprie. » Il faudra certainement du temps pour que les intervenants se les approprient, car la plupart de ceux que nous avons contactés soulignent qu’ils sont peudiffusés et peu connus.

Trois protocoles de collaboration relatifs à la maltraitance

Protocole d’intervention entre le secteur médico-psycho-social et le secteur judiciaire.

Protocole entre les conseillers et directeurs de l’Aide à la jeunesse et les équipes SOS enfants.

Protocole de collaboration entre l’Office de la naissance et de l’en
fance et les conseillers et directeurs de l’Aide à la jeunesse.

« Le système actuel rend la coordination impossible »

Ce qui agite ces temps-ci les spécialistes de la maltraitance, c’est la coordination du dispositif. Yapaka, ou plutôt la cellule de coordination de l’aide aux victimes demaltraitance, a rédigé une note constatant… l’absence de coordination. Selon Vincent Magos, responsable de Yapaka4, « le dispositif actuel rend partiellement lacoordination impossible car il n’y a pas de lien fonctionnel entre le terrain et le communautaire. » Des commissions de coordination locales, une cellule de coordination au niveau de laCommunauté française et pas de lien entre les deux. Avouons que c’est étrange.

C’est justement à la création d’un niveau supérieur de coordination que tout le monde travaille aujourd’hui et c’est une priorité affichée de la ministre EvelyneHuytebroeck. « Des acteurs, des outils, des organes de coordination, il y en a. Il ne faut donc pas créer quelque chose de nouveau », nous dit-on au cabinet de la ministre.Les pistes évoquées sont assez évidentes. La cellule de coordination (Yapaka) porterait mieux son nom car elle se verrait officiellement confier cette mission de pilotage. Pourd’autres, le Conseil communautaire de l’aide à la jeunesse (CCAJ) pourrait devenir cette instance de coordination. Enfin, certains pensent que le Comité d’accompagnement enfancemaltraitée, à condition qu’il sorte du giron interne de l’ONE, serait un candidat adéquat.

Françoise Hoornaert, qui coordonne l’équipe SOS-enfants de Mouscron-Tournai5 résume bien les enjeux : « La question qui est posée est celle de lacohérence. Il faut que les différents niveaux du dispositif soient bien articulés. L’idée c’est que le niveau “méta”, donc cette coordination àinventer, reçoive des informations du terrain. Et c’est à ce niveau méta de penser la cohérence du système, de remettre des avis, d’informer le politique, del’aider à penser la politique de maltraitance. »

Si la plupart des intervenants disent partager l’objectif d’améliorer la coordination du dispositif, certains regrettent à demi-mot que la cellule de coordination Yapaka n’ait pasmis beaucoup mis d’ardeur à créer ce lien entre les acteurs. Vincent Magos, quant à lui, préfère relativiser ces enjeux : « Il n’y a pas beaucoup deproblèmes dans le dispositif, mais il n’y a pas non plus de situation idéale. Sur le terrain il y a beaucoup d’intervenants, il y a moyen de simplifier. Quant à la coordination,oui le dispositif peut être amélioré, mais la coordination ce n’est pas du bla-bla. C’est du travail en commun et c’est ce qu’on fait en créant les mêmes outils pourtous les intervenants de tous les secteurs. »

La coordination du dispositif sera l’un des quatre thèmes des tables rondes de la rentrée. Au cabinet de la ministre Huytebroeck, on nous éclaire sur les impacts concretsd’une absence de coordination : « Cela peut aboutir à des situations de maltraitance pas signalées, des situations à risque pas prises en charge ou des informationsqui ne circulent pas entre acteurs. En fait, tout le monde fait bien son travail, mais chacun de son côté. »

La formation des professionnels : « une grosse lacune du système »

Autre priorité de ces prochains mois : améliorer la formation et l’information sur la maltraitance reçues par les intervenants. Là aussi, à force d’interviews etde rencontres, on sent poindre en filigrane quelques critiques que l’on pourrait résumer ainsi : Yapaka a fait d’excellentes campagnes grand public sur la maltraitance. Mais en matièrede formation et d’information des professionnels, il y aurait des manques.

Guy De Clercq préside le Conseil communautaire de l’Aide à la jeunesse (CCAJ)6. A ses yeux, la formation des intervenants devrait être une« priorité ». Il nous donne les raisons de ce cri du cœur : « Tout intervenant, du bénévole scout au professeur, a uneresponsabilité en matière de maltraitance. Il doit être le premier à intervenir et donner une réponse puis passer la main à d’autres. Mais comment savoirà qui passer la main sans formation ? Il était prévu qu’une formation de base soit offerte à ces intervenants et ce n’est pas le cas. C’est une grosse lacune dusystème actuel. Chaque professionnel devrait avoir un kit de formation. Si un enfant lui dit “je reçois des coups”, le professionnel doit savoir ce qu’il fait avecça. Mais une telle formation demande de gros budgets et une politique transversale. » Un point de vue que partage pleinement Déborah Dewulf : «  Il faut unevolonté politique pour harmoniser les socles de compétence dans la formation de base, la formation continuée et la formation en entrée en fonction. C’est aussi uneclé pour travailler ensemble. Idéalement, il faudrait des formations avec des gens de secteurs différents. »

Face à ces affirmations qui, mine de rien, semblent remettre en cause une partie des tâches de Yapaka, Vincent Magos se raccroche au travail colossal déjàeffectué. « Nous avons créé des outils qui aident les intervenants à avoir une culture commune, une logique commune. Quand on dit que nous formons peu lesprofessionnels, c’est une information erronée. Une partie importante de notre programme de formations et informations leur est destinée. Il faut également noter que la plusgrande partie de notre travail “grand public” s’effectue via les professionnel, ce qui est une manière de travailler avec eux, de les sensibiliser, de créer une culturecommune à tous les intervenants ». Pour le cabinet d’Evelyne Huytebroeck, la formation et l’information des professionnels sont une autre priorité : « Il s’agitd’un enjeu primordial, les efforts doivent être permanents. » On apprend qu’une brochure destinée aux intervenants de première ligne est en préparation. Elleindiquera notamment vers quels professionnels compétents orienter un jeune maltraité. « C’est clair qu’il y a un besoin, nous dit-on au cabinet. Ce n’est pas toujours clairau niveau des filières à suivre ni sur les niveaux de pouvoir. » Quant à la brochure, ce n’est pas Yapaka qui la prépare, mais un groupe informel – groupeRobesco – en charge du suivi du protocole d’intervention entre le secteur médico-social et le secteur judiciaire.

Les prochains mois devraient donc aboutir à des évolutions sensibles de l’architecture globale du dispositif – fort complexe – de lutte contre la maltraitance. Desévolutions qu’Alter Echos vous présentera régulièrement.

1. Cabinet d’Evelyne Huytebroeck :
– adresse : place Surlet de Choquier, 15-17 à 1000 Bruxelles
– t&
eacute;l. : 02 227 32 11
– site : http://evelyne.huytebroeck.be/
2. Gérard Hansen, service d’aide à la jeunesse :
– adresse : rue du Palais, 27 à 4800 Verviers
– tél. : 087 29 90 30
– courriel : saj.verviers@cfwb.be
3. ONE :
– adresse : chaussée de Charleroi, 65 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 542 12 11
– courriel :[mail info@one.be]info@one.be[/mail]
– site : www.one.be
4. Yapaka :
– adresse : boulevard Léopold II, 44 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 413 25 69
– site : www.yapaka.be
5. Equipe SOS Enfants de Tournai :
– adresse : rue Saint-Piat, 24 à 7500 Tournai
– tél. : 069 84 84 05
6. CCAJ :
– adresse : boulevard Léopold II, 44 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 413 31 13

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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