«La plupart des femmes que nous accueillons présentent un syndrome d’abandon et recherchent l’amour qu’elles n’ont pas eu au sein de leur famille», constate Bénédicte Herbiet, directrice de la maison d’accueil pour femmes avec ou sans enfants de l’asbl Les Trois Portes (Namur). Même s’il n’y a pas de profil type dans le public qui fréquente ces institutions, «beaucoup de personnes en rue ou dans les centres d’hébergement d’urgence (hommes et femmes) ont des problématiques qui s’imbriquent et se cumulent: santé mentale, toxicomanie, migration», indique Christine Vanhessen, directrice de la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA).
Les structures spécialement dédiées aux femmes avec enfants sont majoritaires. Il faut dire que 98% des familles monoparentales qui s’y présentent sont constitués de mamans solos. D’ailleurs, jusqu’en 2000, il y avait ce qu’on appelait les «maisons maternelles», agréées et subventionnées par l’Office national de l’enfance (ONE). Celles-ci ont été intégrées aux actuelles maisons d’accueil qui sont plus généralistes puisqu’elles s’adressent à tout le monde. Autre différence: elles dépendent aujourd’hui de la Région wallonne et de la Commission communautaire française (COCOF).
«Les anciennes maisons maternelles ont gardé leur spécificité d’hébergement de (futures) mamans», précise Christine Vanhessen. C’est le cas du Home Victor du Pré, une institution historique située dans les Marolles (Bruxelles). «Les femmes que nous recevons ont soit été chassées de chez leurs parents à cause de leur grossesse, ou alors elles sont parties de chez elles suite à des violences conjugales», explique Christine Bruelemans, la directrice. Ce phénomène semble prendre de l’ampleur, sans que des chiffres précis puissent réellement l’attester. L’actrice de terrain pointe la crise du logement et l’absence d’une politique forte en la matière. «S’il y avait des logements à loyer modéré, on aurait beaucoup moins de demandes. Quand on a peu de revenus et que l’on dépend du CPAS, l’accès au logement est compliqué.»
Le dilemme de la mixité
Même au sein des maisons d’accueil pour femmes, de nombreuses différences existent. Certaines sont ainsi spécialisées dans l’accompagnement des (futures) mamans mineures. À la Maison heureuse, à Alleur (Liège), l’hébergement est conditionné et l’exigence de non-mixité directement liée à sa spécificité. «Notre premier objectif est de garantir la sécurité du bébé, car 90% de notre population a un dossier SAJ [services de l’aide à la jeunesse, NDLR] ou SPJ [services de protection de la jeunesse, NDLR], explique Isabelle Laurent, directrice. Il s’agit de jeunes filles qui ont besoin d’un soutien au quotidien. On les accompagne à leurs rendez-vous médicaux, aux réunions de parents. Le travail d’encadrement est beaucoup plus poussé qu’ailleurs, car beaucoup sont encore mineures. Elles ne peuvent pas disparaître toute la journée et si elles passent le week-end ailleurs, on va voir sur place pour vérifier que l’endroit est sain, non violent, sécurisé… Comme un parent le ferait.»
Nombreuses sont les maisons d’accueil qui fixent à 12 ans l’âge maximal pour les garçons accompagnant leur mère. Car la cohabitation avec des jeunes filles (mineures enceintes ou mères mineures), et avec des femmes potentiellement victimes de violences conjugales, peut s’avérer problématique. La non-mixité n’est toutefois pas une règle. Aux Trois Portes, les garçons dépassant cet âge et les pères sont acceptés pour ne pas devoir séparer les membres d’une même famille. «Ce n’est pas facile tous les jours, admet Bénédicte Herbiet. Peuvent-ils participer aux activités de groupe? On décide au cas par cas. On a chez nous des victimes de violences conjugales. Mais il nous semble important de les aider à refaire confiance aux autres, et donc aux hommes.»
Si la santé des enfants est une priorité, les besoins des mamans ne sont pas négligés. Via des mots encourageants et un soutien moral, l’équipe contribue à renforcer leur estime d’elles-mêmes. Car l’objectif ultime est que la famille puisse voler de ses propres ailes.
La directrice assure cependant vouloir garder cette spécificité qu’est l’accueil de femmes. «La toute grosse majorité des appartements se trouve dans une enceinte protégée. Nous garantissons une sécurité physique et psychique puisque chaque famille possède son propre appartement. La vie communautaire n’est ni obligatoire ni nécessaire.» C’est une autre différence entre maisons d’accueil: certaines sont entièrement collectives, d’autres pas. «Quand on n’est pas bien, on a besoin d’avoir sa bulle pour se reconstruire à son rythme. Ne pas toujours être confrontée au collectif, c’est essentiel. Il y a bien sûr un écueil à ce mode de fonctionnement: il est plus difficile de faire vivre le collectif et la solidarité. Or, la force du groupe reste très importante. Le défi est de trouver un entre-deux.»
Au Home Victor du Pré, Christine Bruelemans constate que de plus en plus de femmes accueillies ont une santé mentale fragile et des addictions (alcool, drogue, médicaments). «Vu le manque de places en institutions psychiatriques, on ne sait plus les réorienter là où avant, on avait des pistes de solution.» Concernant les assuétudes aussi, elle se sent démunie. La consommation au sein de la maison est formellement interdite, mais pas en dehors. «Elles peuvent rentrer en étant sous l’effet de substances et ainsi ne pas respecter le règlement. Cela peut mettre à mal l’équilibre de la maison. On veut offrir un accueil pour toutes, mais ce principe montre ses limites.»
Un travail de longue haleine
L’une des vocations des maisons d’accueil est le soutien à la parentalité, l’établissement ou le rétablissement du lien mère-enfant. Et dans un contexte de grande précarité, c’est un vrai défi. Non pas parce que les parents précarisés sont moins compétents, mais bien parce que ne pas disposer d’un logement fixe est une énorme source de stress. Ce qui peut rendre les personnes moins disponibles mentalement pour leur bébé. «Élever un enfant, c’est déjà compliqué quand on est une adulte disposant de ressources financières, familiales et qu’on a un conjoint. Mais quand on n’a pas tout ça, c’est autrement plus difficile», fait remarquer Isabelle Laurent.
L’aide apportée en maison d’accueil peut consister à rappeler les gestes de base pour prendre soin d’un nouveau-né. Mais cela ne s’arrête pas là. «Notre puéricultrice surveille parfois les enfants pour soulager les mamans qui peuvent alors souffler en cas de besoin. Certaines sont demandeuses et il faudrait pratiquement que quelqu’un soit avec elles en permanence. Pour d’autres, ce n’est pas du tout nécessaire», souligne Christine Bruelemans. Et pour les enfants un peu plus grands, il s’agit de les inciter à s’exprimer, de veiller à leur bien-être, de leur donner des repères et une certaine stabilité.
Si la santé des enfants est une priorité, les besoins des mamans ne sont pas négligés. Via des mots encourageants et un soutien moral, l’équipe contribue à renforcer leur estime d’elles-mêmes. Car l’objectif ultime est que la famille puisse voler de ses propres ailes.
«C’est vraiment un travail de longue haleine. Certaines actrices de terrain peuvent ressentir de la frustration, car elles ont besoin de long terme pour pouvoir mettre des choses durables en place», défend Christine Vanhessen. À Bruxelles, aucune durée de séjour n’est fixée par les réglementations, alors qu’en Wallonie, elle est limitée à neuf mois et peut être prolongée jusqu’à 18 mois au maximum. Le travail de suivi post-hébergement est indispensable pour maximiser les chances de se réinsérer dans la société. En parallèle, l’enjeu pour le secteur est de parvenir à agir en amont des problématiques, sur les causes amenant les personnes à devoir se tourner vers les maisons d’accueil.