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Regard critique · Justice sociale

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Marchés publics… marchés durables ? C'est le pari des ETA

Le secteur de l’économie sociale plaide pour renforcer les clauses sociales dans les marchés publics. Sa survie en dépend.

24-04-2009 Alter Échos n° 271

« Les besoins publics d’aujourd’hui seront les marchés de demain des entreprises de travail adapté (ETA). » Parce qu’en temps de crise, le travailadapté aux personnes handicapées est plus menacé que tout autre, le secteur entend sensibiliser et responsabiliser les pouvoirs publics : octroyer des subventions, c’estbien, faciliter l’accès aux marchés publics, c’est encore mieux.

Le secteur du travail adapté aux personnes en situation de handicap subit de plein fouet la crise économique qui sévit actuellement. Travaillant essentiellement dans lesmétiers de la manutention, la survie des entreprises de travail adapté (ETA) dépend non seulement de la bonne santé de ses clients, mais est, en outre mise à malpar une concurrence de plus en plus rude liée aux productions à bon marché des pays de l’Est et asiatiques, du travail pénitentiaire, ou encore du travail nondéclaré. Pour la Fédération bruxelloise des ETA, la Febrap1, qui regroupe les treize ETA de la capitale, et représente 1450 emplois pour les personneshandicapées, il y a urgence de trouver de nouveaux créneaux porteurs afin de pérenniser les postes dans le secteur, et singulièrement celui des travailleurs les plusfaibles. Les plus petites entreprises sont mal armées face à la crise, ce qui conduit à des périodes de chômage économique. Selon la Fédération,certaines ETA n’ont d’autre choix que de sélectionner les employés les plus performants en mécanisant certaines actions pour rester compétitives et sauvegardercoûte que coûte leurs activités. Or l’une des principales raisons d’être de ces entreprises est précisément de permettre l’emploi des personnes les plustouchées par le handicap. Cette schizophrénie est terriblement mal vécue par un secteur qui se voit contraint de choisir entre son âme et sa survie.

« L’avenir de nos entreprises et le maintien de l’accueil des ouvriers les plus exclus de la société ne pourront se faire sans une ouverture à de nouveauxmarchés », martèle Axel Godin, vice-président de la Febrap. Aux grands maux les grands remèdes. Plutôt que d’attendre que la roue tourne, la Febrap aconvoqué les politiques – avec un représentant par parti – et des acteurs de l’économie sociale. L’enjeu est d’encourager les pouvoirs publics àtravailler plus étroitement avec les ETA à travers l’octroi de marchés publics. Le calcul est vite fait : en Belgique, ces contrats représentent 14 % du PIB, soit unebonne trentaine de milliards d’euros… « Au vu des pourcentages et du volume financier de la commande publique, il est évident qu’une consommation responsable des pouvoirs publicsest clairement de nature à soutenir une politique de développement durable », résume Raphaël Dugailliez, consultant expert pour SAW-B2. Mais aussi bienla complexité des appels d’offres que les spécificités des ETA ont, jusqu’à présent, empêché ce mariage de raison. « Nos entreprisespourraient offrir aux marchés publics une série de services en sous-traitance. Nous disposons d’un large panel de métiers et notre force, c’est notre capacitéà nous adapter aux productions les plus diverses », reprend Axel Godin. Le tout est d’amorcer la relation. « Pour construire un partenariat durable entre pouvoirs publics etentreprises d’économie sociale, il est nécessaire de prévoir des simplifications administratives, de renforcer le conseil et l’accompagnement des entreprises dans uncadre législatif précis, d’améliorer le financement du secteur », énumère Marie-Caroline Collard, directrice de SAW-B.

Renforcer la législation ?

Raphaël Dugailliez rappelle aussi que les clauses sociales3 ne sont imposées que dans les marchés publics supérieurs à 818 000 euros HTVA et ce, dans laRégion de Bruxelles-capitale. « Cela représente 5 % des marchés tout au plus. Il faut aller au-delà. Pourquoi ne pas, plus simplement, restreindrel’accès de certains marchés aux quatre types d’entreprises d’économie sociale4 ? À partir du moment où le libre arbitre estlaissé aux mandataires publics, imposer une clause sociale est une démarche politique. Ne pas le faire, également. »

À ce jour, à l’exception d’un volontarisme appuyé de la ministre bruxelloise, Évelyne Huytebroeck, les partenaires de la majorité n’ont pasvoulu renforcer la législation existante en matière de clause sociale dans les marchés publics. « Je ne suis pas encore parvenue à faire passer cette idéemais je n’y renonce certainement pas ! », assure la ministre écolo. Mais bien plus que le plaidoyer politique, rien ne vaut la preuve par l’exemple. Pour convaincrel’auditoire de mandataires et de responsables de travaux public présents, un spécialiste italien des coopératives sociales est venu expliquer comment unemunicipalité met en pratique ces suggestions… depuis un quart de siècle.

L’entrepreneuriat plutôt que les subsides

La ville de Brescia (200 000 habitants), dans le nord de l’Italie, a en effet développé une expérience assez concluante en matière de coopération entreentreprises sociales et autorités publiques. Tout commence au début des années 1980. À l’époque, plusieurs associations développent des activitésd’insertion par le travail de publics fragilisés, aussi bien des personnes porteuses de handicaps, que peu formées ou toxicomanes. « Je me suis d’abord occupé de coordonnerles différentes expériences et puis je suis allé voir le maire. Je lui ai proposé, plutôt que de donner des subsides, de donner du travail à cescoopératives afin d’améliorer leur expérience », raconte Felice Scalvini, vice-président de la Confederazione cooperative italiane. Au bout de quelquessemaines, alors qu’il pensait avoir été oublié du maire, il reçoit une proposition de ce dernier : gérer un important marché public. L’ampleur de latâche et les montants colossaux en jeu ont failli les faire reculer. Finalement, les différents responsables se retroussent les manches, créent une nouvelle structurecoopérative et se lancent dans l’aventure. Il faudra six mois pour établir un plan d’action et coordonner les énergies, mais la coopérative relève ledéfi.

De fil en aiguille, l’expérience a fait des petits : aujourd’hui, il existe plus de 100 coopératives sociales à Brescia qui fournissent des emplois stables pour 2500travailleurs défavorisés et près de 260 conventions conclues avec les pouvoirs publics. Les marchés publics représentent 45 millions d’euros de rentréesannuelles, soit 40 % du chif
fre d’affaires total des coopératives sociales de Brescia. De nombreuses coopératives se sont d’ailleurs créées au départ d’unmarché public. Coup de pouce au démarrage, facteur de stabilité aussi : en temps de crise, travailler avec l’administration permet de mieux résister aux bourrasques de laconjoncture économique. « Mais au départ, nous avons posé un choix qui n’était pas facile : celui de l’entrepreneuriat plutôt que dessubsides », concède Felice Scalvini.

Pour instituer une telle logique en Belgique, « il faudrait prévoir que chaque administration dispose d’une personne-ressource sensible à la problématique etcapable de prendre en charge des appels d’offres et de les assortir de clauses sociales », suggère Raphaël Dugailliez. « Avec 20 % de chômeurs, Bruxelles nepeut pas se permettre de négliger ce public ». Marie-Caroline Collard enfonce le clou : « La crise est aussi une formidable opportunité de nous rappeler que l’on peutfaire de l’économie autrement. L’économie sociale, c’est la primauté du travail et des personnes sur le capital, ce sont des solutions neuves à desproblématiques actuelles variées comme le chômage des moins qualifiés, le réchauffement climatique et la nécessité du recyclage des déchets.»

Une question politique avant tout

Les politiques présents, tous partis confondus, sont venus donner des gages de soutien, titillés par le journaliste Jacques Bredael, modérateur du débat pour lacirconstance. Marie Arena, ministre fédérale PS de l’Intégration sociale, a insisté pour que le secteur de l’économie sociale ne reste pas «qu’une préoccupation régionale ». S’adressant directement aux représentants de la Febrap, elle les a encouragés à répondre à unappel à projets, assorti d’un budget de deux millions d’euros, pour soutenir l’innovation en matière d’économie sociale. Rappelant les difficultéscumulées du secteur et le sous-financement récurrent, la ministre Huytebroeck s’est félicitée de l’obtention d’un cofinancement de l’UE via unprojet introduit auprès du Fonds social européen, qui a permis d’engager vingt personnes supplémentaires dans quatre ETA bruxelloises. Renvoyant la balle à saconsœur Arena, elle lui a demandé de transmettre le message à « ses partenaires gouvernementaux, dont un en particulier » : « Il nous faut un apport budgétaire. Detoute façon, si l’on ne parvient plus à s’occuper correctement des personnes en situation de handicap au niveau régional, le Fédéral devra prendre laquestion en charge. »

Caroline Persoons, députée MR au parlement bruxellois a préféré éviter le terrain glissant du financement pour privilégier une approchepragmatique. « L’intégration des personnes handicapées ne se fera qu’à travers toute une série de politiques. Il faut aider les administrations àdépasser la peur de l’inconnu, les aider à connaître ce qui existe et ce qu’il est possible de faire. Il faut également agir au niveau des ETA et mieux les outillerpour répondre aux marchés publics. » Quant à André du Bus, député CDH au parlement bruxellois, il a insisté sur la nécessité derevoir à la hausse les subsides des ETA qui peinent à équilibrer leur budget. « Après tout, les banques survivent actuellement grâce aux subsides…»

Tout ce petit monde semblait donc peu ou prou sur la même longueur d’onde et prêt à avancer concrètement sur le terrain d’une collaboration renforcéeentre pouvoirs publics et secteur de l’économie sociale. Voilà pour les sourires de la photo de famille. Reste à voir s’ils ne se transformeront pas en grimace unefois passée l’euphorie préélectorale.

« Travailleurs ? Non peut-être ! »

On a tous une image des « ateliers protégés », ancienne appellation des ETA. Une image pas forcément glorieuse de travail à la chaîne, routinier,simplifié au maximum. Une image qui correspond à une certaine réalité d’ailleurs. Adapter les conditions de travail pour permettre à des personnes porteusesd’un handicap d’apporter leur contribution à la vie économique du pays, demande effectivement une organisation particulière des tâches. Pour autant, on est bien loindu « simplisme ». Les métiers, s’ils sont majoritairement de manutention, se sont diversifiés et certains confinent à de l’artisanat d’art. Lestâches se sont complexifiées également, requérant de plus en plus de savoir-faire et de compétences, demandant l’utilisation d’outils et de machinesperfectionnées. Pour rendre compte des réalités actuelles des ETA, la Febrap a fait réaliser un documentaire sur les différents métiers organisés dansles treize entreprises bruxelloises et donné la parole aux travailleurs. Un film qui parle vrai et promeut un secteur qui cherche désespérément à ne pas se laisserengloutir dans les brutalités d’une économie en crise.

1. Febrap asbl, Fédération bruxelloise des entreprises adaptées :
– adresse : Trassersweg, 347 à 1120 Bruxelles
– tél./fax : 02 262 47 02
– site web : www.febrap.be
2. Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloises, SAW-B asbl, Fédération pluraliste d’entreprises d’économie sociale :
– adresse : rue Monceau-Fontaine, 42/6 à 6031 Monceau-sur-Sambre
– tél. : 071 53 28 30
– site : www.saw-b.be
3. La Loi du 24 décembre 1993 sur les marchés publics précise qu’une clause sociale est « une stipulation dans le cahier des charges d’un marché publicpoursuivant un objectif de formation ou d’insertion socioprofessionnelle de demandeurs d’emploi peu qualifiés, d’apprentis, de stagiaires ou d’apprenants ».
4. Les entreprises de travail adapté (ETA), les entreprises de formation par le travail (EFT), les entreprises d’insertions (EI) et les initiatives locales de développement del’emploi (ILDE).

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