Des « marches exploratoires » pour permettre aux femmes de se réapproprier et d’influencer l’aménagement de l’espace urbain ? C’est le pari fait par plusieursstructures en Wallonie et à Bruxelles.
Un panneau publicitaire mal placé, un éclairage défaillant, une circulation automobile trop importante. Autant de facteurs qui peuvent générer de l’angoisseauprès des usagers de l’espace public, à plus forte raison auprès des femmes. Des femmes que la peur peut amener à sortir moins, avec toutes les conséquences quel’on peut imaginer sur leur autonomie, leur mobilité, leur participation à la vie citoyenne. Pour pallier ce genre de phénomène et tenter d’influencer positivementl’aménagement urbain, des « marches exploratoires » (voir encadré) ont été organisées avec plusieurs groupes de femmes ces dernièresannées, que ce soit notamment à Bruxelles, Liège ou Charleroi. Avec des constats parfois différents à la clef, mais aussi des effets palpables dans certainscas.
Liège : des quartiers à haut taux de viol
Dans la cité ardente, c’est la commission « Femmes et ville »1 qui a organisé plusieurs marches dès 2004/2005. Retenues comme expériencespilotes par Christian Dupont (PS), le ministre de l’époque chargé de l’Egalité femme-homme, elles avaient mené, en plus d’autres marches organisées dansplusieurs villes belges, à la rédaction d’une recherche action sur le sujet, toujours disponible sur le site du SPP Intégration sociale.
Aujourd’hui, l’expérience se poursuit. En deux ans, la commission a mis sur pied une série de marches concernant vingt femmes, en plus de quelques hommes. Les quartiers oùelles se sont déroulées ont été choisis en fonction des statistiques de viol tenues par la police. Des quartiers peu sécurisants, donc… « Leséléments les plus anxiogènes que nous avons pu noter consistent en un éclairage défaillant, l’existence de recoins ou bien la présence d’hommes urinant surla voie publique et qui se promènent le sexe à la main…. », détaille Marie-Jo Macors, représentante du CVFE2 (Collectif contre les violencesfamiliales et l’exclusion) au sein de la commission « Femmes et ville » avant de déclarer que ce sentiment d’insécurité… n’est pas qu’un sentiment.« Les femmes ont de plus en plus peur de sortir le soir, elles réduisent leur mobilité. Dans certains quartiers, il y a une montée de la violence, desextrémismes, de l’islamisme. Liège a changé à ce niveau, surtout pour moi qui suis une ancienne et me souvient de l’époque où je traversais la ville de parten part la nuit. »
Pour contrer cette insécurité et forte des constats faits lors des marches, la commission prend alors contact avec les échevinats concernés en proposant certainsaménagements. Avec des résultats. « Nos recommandations sont souvent suivies d’effet, continue Marie-Jo Macors. Elles rejoignent également certains constatseffectués par des projets de réaménagement des espaces publics. »
Si des effets sont constatés sur la ville, d’autres se font également sentir sur les femmes. S’il est utopique de penser qu’une simple marche leur suffira pour réinvestircertains quartiers, « c’est aussi le regard qu’elles portent sur elles-mêmes qui change, continue notre interlocutrice. Elles peuvent se dire qu’elles ont le pouvoir de changercertaines choses. Cela leur permet également de collectiviser leurs craintes et de se rendre compte qu’elles ne sont pas les seules à avoir peur à certains endroits. »
Bruxelles : un parcours varié
Du côté de Bruxelles, l’asbl Garance3 possède également une certaine expérience des marches exploratoires. Le dernier projet en date lui a d’ailleurspermis de publier une brochure (disponible sur le site web de Garance) produisant une analyse « genrée » de l’espace public et de développer des recommandations àdestination de la Région de Bruxelles-Capitale. Pour ce faire, 19 marches ont été réalisées avec 105 femmes aux profils diversifiés. Si, àLiège, les marches s’étaient centrées sur des quartiers « chauds », Garance a jeté son dévolu sur des endroits trèshétérogènes, comme Watermael-Boitsfort, le centre de Bruxelles ou encore Cureghem, à Anderlecht. La typologie des lieux se voulait également variée :grands axes, quartiers résidentiels et de bureaux. « Sur base de plans des quartiers, nous avons défini avec les femmes les endroits qu’elles connaissaient et où ellesvoulaient se rendre, nous explique Irène Zeilinger, directrice de Garance. Et lors de la marche, nous réalisions des exercices de perception leur permettant de prendre une autreposition par rapport à cet espace. »
Si un des grands sujets de préoccupation concerne la visibilité, l’échange entre les femmes, qui est un des autres objectifs des marches, permet de confronter les opinions.« En ce qui concerne la visibilité, on peut trouver que le fait d’être visible est rassurant. Mais ne pas être vue peut aussi avoir des avantages… »,continue Irène Zeilinger qui déclare également que les recommandations faites par l’asbl sont bien reçues. « Nous espérons influencer le processus deplanification urbanistique, continue-t-elle. Et ce serait encore mieux si nous pouvions le faire en amont [NDLR en intégrant les marches dans le processus même]. »
Charleroi : halte à la voiture
A Charleroi, on a également voulu se centrer sur des espaces variés. « Vie Féminine Charleroi-Thuin »4 a ainsi organisé il y a peu unebalade « sensorielle » dans le centre de Charleroi passant par différents lieux (parc, écoles, magasins, parkings), sélectionnés par les femmes.« Il s’agissait de passer par un échantillon de ce qui existe à Charleroi et donc de ne pas choisir que des quartiers difficiles », explique Eve Deltlanque, animatricesocioculturelle à Vie Féminine Charleroi-Thuin.
Ouverte à toutes les femmes de la ville, cette ballade a permis à un groupe de dix d’entre elles de répertorier un panel de nuisances diverses. « Le constat estassez négatif », explique Eve Deltlanque qui note que le point principal de méc
ontentement concernait la trop grande place prise par la voiture. C’est donc principalement sur lamobilité que l’accent a été mis par les participantes. Au point que Vie Féminine a décidé d’organiser un événement centré sur lamobilité douce le deux juin dernier. Basé sur trois parcours en centre-ville (piéton, à vélo ou en chaise roulante), ouvert aux femmes, hommes et enfants, ce« parcours labyrinthe » a permis de collecter d’autres remarques. Un dossier a d’ailleurs été rédigé et envoyé aux politiques, avec un chapitredédié à la mobilité des femmes. « Il est clair que la mobilité concerne tout le monde, conclut notre interlocutrice. Mais ce sont souvent les femmes quise retrouvent à pied avec les poussettes, ou en transport public. Ne serait-ce que parce que quand un couple possède une voiture, c’est souvent l’homme qui en dispose…»
1. Commission Femmes et Ville :
– adresse : place du Marché, 2 à 4000 Liège
– tél.: 04 221 66 20
courriel : commission.femmes-ville@liege.be
2. CVFE :
– adresse : rue Maghin, 11 à 4000 Liège
– tél.: 04.221.60.69
– courriel : cvfe@cvfe.be
– site : www.cvfe.be
3. Garance :
– adresse : bd du Jubilé, 155 à 1080 Bruxelles
– tél.: 02 216 61 16
– courriel : info@garance.be
– site : www.garance.be
4. Vie Féminine Charleroi-Thuin :
– adresse : rue de Montigny, 46 à 6000 Charleroi
– tél.: 071 32 13 17
– site : www.viefeminine.be