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Regard critique · Justice sociale

Marcher pour contrer l’insécurité

Des « marches exploratoires » pour permettre aux femmes de se réapproprier et d’influencer l’aménagement de l’espace urbain ? C’est le pari fait par plusieurs structures en Wallonie et à Bruxelles.

12-10-2012 Alter Échos n° 347

Des « marches exploratoires » pour permettre aux femmes de se réapproprier et d’influencer l’aménagement de l’espace urbain ? C’est le pari fait par plusieurs structures en Wallonie et à Bruxelles.

Un panneau publicitaire mal placé, un éclairage défaillant, une circulation automobile trop importante. Autant de facteurs qui peuvent générer de l’angoisse auprès des usagers de l’espace public, à plus forte raison auprès des femmes. Des femmes que la peur peut amener à sortir moins, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer sur leur autonomie, leur mobilité, leur participation à la vie citoyenne. Pour pallier ce genre de phénomène et tenter d’influencer positivement l’aménagement urbain, des « marches exploratoires » (voir encadré) ont été organisées avec plusieurs groupes de femmes ces dernières années, que ce soit notamment à Bruxelles, Liège ou Charleroi. Avec des constats parfois différents à la clef, mais aussi des effets palpables dans certains cas.

La « marche exploratoire » est une marche dont l’objectif est de dresser une évaluation critique de l’environnement urbain dans ses dimensions de sécurité, de mobilité, de convivialité et de favoriser, à l’aide de nouveaux aménagements, une meilleure appropriation de l’espace public par les femmes. Source : SPP Intégration sociale.

Liège : des quartiers à haut taux de viol

Dans la cité ardente, c’est la commission « Femmes et ville »[x]1[/x] qui a organisé plusieurs marches dès 2004/2005. Retenues comme expériences pilotes par Christian Dupont (PS), le ministre de l’époque chargé de l’Egalité femme-homme, elles avaient mené, en plus d’autres marches organisées dans plusieurs villes belges, à la rédaction d’une recherche action sur le sujet, toujours disponible sur le site du SPP Intégration sociale.

Aujourd’hui, l’expérience se poursuit. En deux ans, la commission a mis sur pied une série de marches concernant vingt femmes, en plus de quelques hommes. Les quartiers où elles se sont déroulées ont été choisis en fonction des statistiques de viol tenues par la police. Des quartiers peu sécurisants, donc… « Les éléments les plus anxiogènes que nous avons pu noter consistent en un éclairage défaillant, l’existence de recoins ou bien la présence d’hommes urinant sur la voie publique et qui se promènent le sexe à la main…. », détaille Marie-Jo Macors, représentante du CVFE2 (Collectif contre les violences familiales et l’exclusion) au sein de la commission « Femmes et ville » avant de déclarer que ce sentiment d’insécurité… n’est pas qu’un sentiment. « Les femmes ont de plus en plus peur de sortir le soir, elles réduisent leur mobilité. Dans certains quartiers, il y a une montée de la violence, des extrémismes, de l’islamisme. Liège a changé à ce niveau, surtout pour moi qui suis une ancienne et me souvient de l’époque où je traversais la ville de part en part la nuit. »

Pour contrer cette insécurité et forte des constats faits lors des marches, la commission prend alors contact avec les échevinats concernés en proposant certains aménagements. Avec des résultats. « Nos recommandations sont souvent suivies d’effet, continue Marie-Jo Macors. Elles rejoignent également certains constats effectués par des projets de réaménagement des espaces publics. »

Si des effets sont constatés sur la ville, d’autres se font également sentir sur les femmes. S’il est utopique de penser qu’une simple marche leur suffira pour réinvestir certains quartiers, « c’est aussi le regard qu’elles portent sur elles-mêmes qui change, continue notre interlocutrice. Elles peuvent se dire qu’elles ont le pouvoir de changer certaines choses. Cela leur permet également de collectiviser leurs craintes et de se rendre compte qu’elles ne sont pas les seules à avoir peur à certains endroits. »

Bruxelles : un parcours varié

Du côté de Bruxelles, l’asbl Garance3 possède également une certaine expérience des marches exploratoires. Le dernier projet en date lui a d’ailleurs permis de publier une brochure (disponible sur le site web de Garance) produisant une analyse « genrée » de l’espace public et de développer des recommandations à destination de la Région de Bruxelles-Capitale. Pour ce faire, 19 marches ont été réalisées avec 105 femmes aux profils diversifiés. Si, à Liège, les marches s’étaient centrées sur des quartiers « chauds », Garance a jeté son dévolu sur des endroits très hétérogènes, comme Watermael-Boitsfort, le centre de Bruxelles ou encore Cureghem, à Anderlecht. La typologie des lieux se voulait également variée : grands axes, quartiers résidentiels et de bureaux. « Sur base de plans des quartiers, nous avons défini avec les femmes les endroits qu’elles connaissaient et où elles voulaient se rendre, nous explique Irène Zeilinger, directrice de Garance. Et lors de la marche, nous réalisions des exercices de perception leur permettant de prendre une autre position par rapport à cet espace. »

Si un des grands sujets de préoccupation concerne la visibilité, l’échange entre les femmes, qui est un des autres objectifs des marches, permet de confronter les opinions. « En ce qui concerne la visibilité, on peut trouver que le fait d’être visible est rassurant. Mais ne pas être vue peut aussi avoir des avantages… », continue Irène Zeilinger qui déclare également que les recommandations faites par l’asbl sont bien reçues. « Nous espérons influencer le processus de planification urbanistique, continue-t-elle. Et ce serait encore mieux si nous pouvions le faire en amont [NDLR en intégrant les marches dans le processus même]. »

Charleroi : halte à la voiture

A Charleroi, on a également voulu se centrer sur des espaces variés. « Vie Féminine Charleroi-Thuin »4 a ainsi organisé il y a peu une balade « sensorielle » dans le centre de Charleroi passant par différents lieux (parc, écoles, magasins, parkings), sélectionnés par les femmes. « Il s’agissait de passer par un échantillon de ce qui existe à Charleroi et donc de ne pas choisir que des quartiers difficiles », explique Eve Deltlanque, animatrice socioculturelle à Vie Féminine Charleroi-Thuin.

Ouverte à toutes les femmes de la ville, cette ballade a permis à un groupe de dix d’entre elles de répertorier un panel de nuisances diverses. « Le constat est assez négatif », explique Eve Deltlanque qui note que le point principal de mécontentement concernait la trop grande place prise par la voiture. C’est donc principalement sur la mobilité que l’accent a été mis par les participantes. Au point que Vie Féminine a décidé d’organiser un événement centré sur la mobilité douce le deux juin dernier. Basé sur trois parcours en centre-ville (piéton, à vélo ou en chaise roulante), ouvert aux femmes, hommes et enfants, ce « parcours labyrinthe » a permis de collecter d’autres remarques. Un dossier a d’ailleurs été rédigé et envoyé aux politiques, avec un chapitre dédié à la mobilité des femmes. « Il est clair que la mobilité concerne tout le monde, conclut notre interlocutrice. Mais ce sont souvent les femmes qui se retrouvent à pied avec les poussettes, ou en transport public. Ne serait-ce que parce que quand un couple possède une voiture, c’est souvent l’homme qui en dispose… »

1. Commission Femmes et Ville :
– adresse : place du Marché, 2 à 4000 Liège
– tél.: 04 221 66 20
 courriel : commission.femmes-ville@liege.be
2. CVFE :
– adresse : rue Maghin, 11 à 4000 Liège
– tél.: 04.221.60.69
– courriel : cvfe@cvfe.be
– site : http://www.cvfe.be
3. Garance :
– adresse : bd du Jubilé, 155 à 1080 Bruxelles
– tél.: 02 216 61 16
– courriel : info@garance.be
– site : http://www.garance.be
4. Vie Féminine Charleroi-Thuin :
– adresse : rue de Montigny, 46 à 6000 Charleroi
– tél.: 071 32 13 17
– site : http://www.viefeminine.be

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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