Le mariage, l’un des principaux canaux d’immigration légaux dans notre pays, est parfois synonyme de malentendu, de fragilité ou de désespoir. La Fondation RoiBaudouin (FRB)1 soutient seize initiatives porteuses d’espoir ou de solutions efficaces, pour éviter aux personnes issues de l’immigration d’aboutir dans uneimpasse familiale, sentimentale ou juridique dans le cadre d’une union non pleinement consentie.
Les réalisations de ces associations de terrain ont été présentées le 3 mai dernier lors d’une matinée d’échanges au cours de laquelleune étude des facteurs limitant la liberté de choix d’un partenaire dans les groupes de population d’origine étrangère en Belgique a égalementété divulguée. Cette étude a été réalisée, à la demande du ministre de l’Égalité des Chances, par le Centre pourl’islam en Europe (Université de Gand), sous la direction du Pr Sami Zemni2. Plus de deux cents jeunes femmes et jeunes filles d’origine immigrée ontété interrogées.
Elle montre que la grande majorité des jeunes musulmans accordent beaucoup d’importance à l’opinion de leurs parents. « Même si de nombreuses fillessouhaitent choisir elles-mêmes leur partenaire, relèvent les chercheurs, elles demanderont le consentement de leurs parents. Pour ceux-ci, le mariage est d’une importance capitale,il constitue le résultat d’une bonne éducation. Ce qui est important pour les parents est important pour elles. Dès lors un bon partenaire pour l’une, un beau-filspour les autres, sera de préférence musulman et aura la même origine. »
Les motifs qu’accordent les jeunes filles et les femmes à ce choix sont divers : même tradition, même religion, même langue… Les raisons principales de cespréférences, c’est la transmission des croyances et de certaines pratiques aux enfants. Une relation avec un musulman paraît plus simple.
Une image négative réciproque
Pourquoi aller chercher l’élu(e) ailleurs ? Beaucoup de filles non mariées qui ont participé à cette étude estiment que les garçonsélevés en Belgique sont irresponsables, trop peu ambitieux et trop peu religieux… En outre, selon elles, ils ne respectent pas assez les filles. Les garçons se font eux aussiune idée négative concernant les filles élevées en Belgique et idéalisent celles qui ont grandi dans leur pays d’origine. « Cette image négativeréciproque qu’ont les jeunes hommes et femmes contribue donc aussi à maintenir le nombre élevé de migrations matrimoniales », constatent les auteurs del’étude.
Ils ont également abordé avec les participantes le sujet des mariages arrangés et des mariages forcés. La plupart d’entre elles décrivent les premierscomme réglés par des intermédiaires mais conditionnés au consentement des futurs époux, contrairement aux mariages forcés qui nient toute libertéindividuelle. Elles font état de pressions émotionnelles, psychologiques, de menaces, de travail de persuasion, de reniement, voire de violences physiques en cas de refus. Mais ellesdisent aussi observer un changement depuis une dizaine d’années, elles sont aujourd’hui plus émancipées, osent dire « non », ont davantage connaissance deleur droits.
Mariage forcé – mariage arrangé
Les intervenants sociaux rencontrés dans le cadre de cette enquête avancent les mêmes raisons au mariage forcé que les intervenantes : la crainte (fondée ou non)des parents que leur fille soit sur une mauvaise voie (fréquentation, sorties, vie dissolue), la crainte qu’elle perde sa virginité, leur souhait de trouver le meilleurépoux (qu’ils estiment être les seuls à même de choisir), la tradition, l’âge des jeunes femmes (au-delà de vingt-cinq ans, la crainte de rester surle carreau), l’offre d’une aide à des tiers (ou le renforcement des liens avec un membre de la famille du pays d’origine).
Divers motifs d’acceptation d’un mariage arrangé ont aussi émergé : la loyauté des enfants à l’égard de leurs parents, le fait de leurfaire plaisir, d’éviter les conflits, ou d’échapper à une situation familiale conflictuelle et… de divorcer au plus vite par après. L’islam estégalement cité car insistant sur l’obéissance et le respect aux parents. Enfin l’âge des promises entre aussi en jeu : les plus jeunes filles sont trop peuassertives pour aller à l’encontre de leur entourage.
Les conséquences de tels mariages ne sont pas négligeables : rupture avec la famille en cas de refus, culpabilité, problèmes dans l’éducation des enfants,divorce. L’étude pose la question de la prévention et de l’aide. « Les jeunes filles recherchent d’abord de l’aide dans leur propre réseau etauprès d’associations de type Télé-Accueil », notent les chercheurs, qui constatent que la médiation est confrontée aux limites de l’intrusiondans les familles, où l’on n’expose pas facilement ses problèmes, et encore moins devant quelqu’un d’une autre culture.
La fuite, le divorce, et le suicide parfois, sont les seules échappatoires. D’où l’importance de la prévention chez les jeunes, la nécessitéd’élargir l’offre éducative par des formations traitant des relations, de la sexualité et du mariage, de les soutenir à faire et à défendre leurspropres choix, de relever le niveau d’instruction. Prévention aussi chez les parents (les sensibiliser aux conséquences de ces mariages) et formation des intervenants sociaux, quieux-mêmes ne disposent pas d’assez d’informations pour interpréter correctement les demandes, conseiller et orienter adéquatement.
C’est en ce sens que vont les projets retenus par la FRB, notamment celui du centre de santé Josaphat à Schaerbeek3, qui présente un DVD réunissant destémoignages de jeunes femmes mariées au pays mais aussi de mères qui expliquent la tradition, et pourquoi elles s’en démarquent ou non. Le film est accompagnéd’un livret pédagogique pour soutenir les animations et les débats.
1. Fondation Roi Baudouin, rue Brederode, 21 à 1000 Bruxelles –
tél. : 02 511 18 40 – fax : 02 511 52 21 – courriel : info@kbs-frb.be .
La liste complète de ces projets, un descriptif et leurs coordonnées sont disponibles sur le site de la Fondation.
2. Middl
e East &North Africa Reasearch Group (Menarg), Universiteitsstraat, 8 à 9000 Gent – tél.: 02 264 69 54 – courriel : menarg@ugent.be
3. Centre de santé Josaphat, rue Royale Sainte-Marie 70 à 1030 Bruxelles –
tél. : 02 241 76 71 – courriel : centre@planningjosaphat.org.