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Regard critique · Justice sociale

Drogues

Marie-Jeanne au cœur de la mêlée

Si certains partis affichent ouvertement leur adhésion à une politique de régulation du cannabis, l’arrêté royal voté en septembre 2017 semble marquer le retour de la répression en matière de détention.

Le PS et Écolo affichent ouvertement leur adhésion à une politique de légalisation encadrée du cannabis. L’arrêté royal voté en septembre 2017 marque le retour de la répression en matière de détention dans l’espace public.

Tandis que les échoppes où se fournir en équipement de jardinage spécialisé (growshops) fleurissent en Belgique, les cannabis social clubs tentent d’essaimer en résistant aux procédures judiciaires à leur encontre. De façon plus clandestine, la culture à grande échelle prolifère, envahissant des bicoques reconverties pour cette activité juteuse mais frauduleuse. Des plantations pouvant compter jusqu’à 800 plants sont mises au jour fortuitement ou à la suite d’enquêtes policières. «La majeure partie de la production intérieure de cannabis est destinée au marché hollandais, où il est vendu dans les ‘coffee shops’», indique le Rapport national sur les drogues (2014)(1).

«Les parquets n’ont tout simplement pas les moyens de poursuivre tout le monde.» Guerric Goubau, avocat

À Bruxelles en 2016, 28.557 plants de cannabis ont été saisis sur 98 sites. Durant la même année, 5.902 procès-verbaux ont été rédigés pour des faits liés au cannabis, dont 5.168 pour de la détention. Soit 87,5%(2)! La «guerre contre la drogue» s’avère pourtant perdue d’avance, proclamaient en mars dernier quinze chercheurs des universités de Louvain et de Gand, s’attaquant à la prohibition du cannabis(3). Pas de diminution de la consommation, pas de contrôle de la qualité des produits réputés comme étant de plus en plus dosés en THC (la molécule psychoactive du cannabis), émergence d’un marché parallèle favorisant la criminalité. Les arguments des pro-«régulation» sont aujourd’hui bien connus.

Un arrêté royal contesté

Au niveau international, les dissensions entre partisans d’une politique en rupture avec les traités internationaux et ceux d’un durcissement de la guerre contre les drogues redoublent d’intensité. «Il y a beaucoup de débats pour changer les traités internationaux, explique Tom Decorte, criminologue à l’Université de Gand et auteur d’un récent ouvrage proposant la mise sur pied d’une régulation contrôlée du marché du cannabis (3). Mais cela semble impossible, car il faudrait un consensus entre 220 pays, dont la Chine, les Philippines, ou la Russie… Cela dit, de plus en plus de pays ayant signé ces traités ont abandonné la ligne de la répression.»

Le fossé se creuse également sur la scène politique belge. Côté francophone, le PS et Écolo déposent chacun en 2017 leur proposition de loi visant à réguler la production, la vente et l’usage du cannabis. Le gouvernement fédéral, lui, ne cesse de réitérer sa rengaine: tolérance zéro. Et en septembre 2017, Maggie De Block fait passer en toute discrétion un nouvel arrêté royal «réglementant les substances stupéfiantes, psychotropes et soporifiques»(4) perçu par le terrain associatif comme un retour au tout-répressif. Explications.

On se le rappelle, en 2003, un consensus sur la nécessité d’une décriminalisation partielle du cannabis émergeait lors de la coalition arc-en-ciel. Pour la première fois, on prévoyait une tolérance pour la détention ou la culture d’une petite quantité de cannabis (trois grammes/un plant), faisant passer, pour cette première catégorie d’infraction, la peine de six mois à cinq ans de prison à une amende comparable à celle prévue pour l’ivresse publique.

«Tout cela est sur papier, tout est de nouveau possible. Si on veut embêter quelqu’un pour sa consommation, on peut le faire.» Christine Guillain, criminologue (FUSL)

Très vite, un arrêt de la Cour constitutionnelle (Cour d’arbitrage jusqu’à 2007) est venu annuler une partie de la loi. C’est la deuxième catégorie d’infraction, une détention de cannabis pour usage personnel «avec des nuisances publiques», passible d’une peine de prison de trois mois à un an, qui a été mise en cause et supprimée. La notion de «nuisances publiques» n’est pas assez claire, statuait alors la Cour d’arbitrage. Le nouvel arrêté royal de 2017 s’attelle donc à «réparer» l’imperfection de la loi de 2003 en réintroduisant cette deuxième catégorie d’infraction. La notion de «nuisances publiques» y est évincée au profit d’une «détention dans un établissement pénitentiaire, dans une IPPJ ou un établissement scolaire, sur la voie publique ou dans tout autre lieu accessible au public». Une modification qui crée la polémique, et ce d’autant plus qu’elle n’a pas été discutée avec les acteurs de terrain.

«C’est sournois parce que le transport, l’importation et la détention ont souvent, voire toujours lieu sur la voie publique», réagit Christophe Marchand, avocat. «La répression est de plus en plus galopante notamment quand on est dans l’espace public où se trouvent usagers les plus précaires et les jeunes. Si vous fumez chez vous, on s’en fout», ajoute Christine Guillain, criminologue à l’Université Saint-Louis (Bruxelles). Même constat d’un renforcement de la répression pour détention en prison, où le cannabis circule en abondance. «Un détenu peut se prendre jusqu’à un an de peine, de quoi empêcher sa libération conditionnelle.»

Vers plus de poursuites?

La question est de savoir si cette disposition est applicable et sera appliquée. «Les parquets n’ont tout simplement pas les moyens de poursuivre tout le monde», présage Guerric Goubau, avocat. «Tout cela est sur papier, tout est de nouveau possible. Une chose est claire, si on veut embêter quelqu’un pour sa consommation, on peut le faire», martèle quant à elle Christine Guillain.

L’associatif s’est saisi du dossier et a introduit un recours en annulation au Conseil d’État(5). Si l’usage du cannabis semble ne plus être toléré depuis la publication de l’arrêté royal, «cet arrêté, censé clarifier et améliorer le cadre légal existant apporte plus d’interrogations que de réponses. Le texte manque de clarté», explique en substance l’asbl Infor-Drogues sur son site. Un flou qui rend délicat le travail d’information vers les professionnels et les consommateurs.

Du côté du parquet de Liège, on joue la carte de l’apaisement. Jean-Baptiste Andries, avocat général, explique: «C’est évidemment plus grave d’avoir du cannabis à l’école que chez soi. Même chose dans la rue, car c’est là que se fait l’apologie ou le prosélytisme. Mais l’idée est aussi de tempérer cet arrêté royal via une circulaire pour essayer de maintenir la politique antérieure en utilisant la notion de ‘lieu public sans ostentation’.» En attendant, pour fumer heureux, mieux vaut fumer caché…

Légalisation: une étude évalue les expériences étrangères

L’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ, France), en partenariat avec l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT), clôturait en octobre 2017 «une analyse comparée des expériences de régulation du cannabis (Colorado, État de Washington, Uruguay)» menées depuis 2012-2013(7).

Une consommation à la hausse?
À la première lecture de l’étude, les conclusions ne semblent pas jouer en faveur de la légalisation. Stabilité de la prévalence de la consommation chez les mineurs dans les deux États nord-américains, hausse de la prévalence chez les adultes. En Uruguay, les indicateurs sont à la hausse dans l’ensemble de la population. À y regarder de plus près, ces constats doivent être nuancés. La hausse de la prévalence de la consommation du cannabis dans la population adulte a été particulièrement forte au Colorado, «le premier État à expérimenter un système de régulation légale du cannabis, élaboré dans l’urgence et sans référence préalable». Elle semble davantage attribuable à la diffusion du cannabis thérapeutique qu’à celle du cannabis récréatif. En Uruguay, où la consommation de cannabis est dépénalisée depuis 1974, les effets de la récente réforme organisant la légalisation encadrée par l’État sont en fait difficiles à appréhender, car les chiffres ne portent que sur une seule année de mise en œuvre. En outre, seules les deux premières des trois voies d’accès légal au cannabis prévues par la loi (autoculture, cannabis clubs) étaient en vigueur à la date de l’enquête (la troisième voie étant la vente en pharmacie). La hausse de consommation du cannabis pourrait aussi révéler un effet de report des consommations d’autres produits comme l’alcool et le tabac sur le cannabis: aux États-Unis, la légalisation du cannabis récréatif aurait contribué à capter une part des usagers du tabac tandis qu’en Uruguay on a constaté une baisse de la consommation régulière d’alcool chez les jeunes.

Des marchés noirs persistants?
Les marchés illicites perdurent de manière inégale dans chacun des trois États, constate le rapport. «À ce stade, les activités des groupes criminels transnationaux n’ont pas fondamentalement été remises en cause par la légalisation du cannabis. Les groupes criminels restent encore largement investis dans le marché noir du cannabis et développent d’autres trafics (héroïne et méthamphétamine aux États-Unis, produits de la coca en Uruguay) afin d’amortir les pertes économiques occasionnées par l’assèchement partiel des débouchés.» En Uruguay, l’option choisie a été de réguler le cannabis de façon encadrée par l’État. Le prix du cannabis a été fixé à un niveau très bas avec pour but d’assécher le trafic illicite. Résultat? Presque quatre ans après le vote de la réforme, près des trois quarts du marché national du cannabis seraient toujours sous le contrôle du marché noir. En cause? Le marché légal peine à répondre à la demande (une partie du problème devrait être résolue avec l’entrée en vigueur de la vente en pharmacie). Au Colorado et dans l’État de Washington, où le cannabis a été légalisé dans un contexte concurrentiel, la part du marché noir serait toujours estimée à plus de 30% du marché. Cette forte résilience du marché illégal s’expliquerait notamment par une taxation élevée du cannabis «récréationnel». La légalisation aurait, par contre, permis de réorienter l’activité des forces de l’ordre et de désengorger les tribunaux.

  1. Institut scientifique de santé publique, European Monitoring Centre for Drugs and Addictions.
  2. Questions et Réponses – parlement de la Région de Bruxelles-Capitale – 15 mars 2018 (n°38), sur http://weblex.brussels/data/crb/bqr/2017-18/00038/images.pdf#page=35
  3. «Une nouvelle politique belge en matière de cannabis? Évaluations, options et recommandations», document de réflexion présenté par un groupe de travail de Metaforum au symposium du 22 mars 2018, Paoli L., Decorte T., coord.
  4. Arrêté royal réglementant les substances stupéfiantes, psychotropes et soporifiques. Le Moniteur belge, publié le 26 septembre 2017.
  5. Le recours a été introduit à l’initiative de la FEDITO, Infor-Drogues, Modus Vivendi et deux médecins.
  6. Decorte T., Regulating Cannabis: a Detailed Scenario for a Nonprofit Cannabis Market, Bloomington: Archway Publishing, avril 2018.
  7. «Une analyse comparée des expériences de régulation du cannabis (Colorado, État de Washington, Uruguay)». Rapport final synthétique. Une étude de l’INHESJ en partenariat avec l’OFDT pour le compte du CSFRS, octobre 2017.
Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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