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Regard critique · Justice sociale

Migrations

Martha : bonne, latino et illégale

Quand on pense aux migrations, on imagine souvent que c’est l’homme qui part en premier, que c’est lui qui déblaye le terrain avant d’amener le reste de sa famille… Mais parfois, c’est la femme.

03-02-2012 Alter Échos n° 331
Photographie de Camille Trinquet, qui documente le combat de la Ligue des travailleuses domestiques depuis plusieurs mois.

Quand on pense aux migrations, on imagine souvent que c’est l’homme qui part en premier, que c’est lui qui déblaye le terrain avant d’amener le reste de sa famille. Pourtant, depuis quelques années, la tendance s’inverse en Amérique latine et c’est souvent la femme qui migre avant les autres, laissant derrière elle un mari et des enfants.

Si les femmes migrent aujourd’hui plus que les hommes, c’est entre autres parce qu’elles trouvent plus facilement un emploi en tant que domestique. A Bruxelles, les Latino-Américaines trouvent du travail à travers des réseaux comme l’Eglise, la famille déjà installée ou des amis. Il ne leur faut en général que quelques jours pour trouver un employeur qui profite également de ces réseaux.

De la migration à la maternité transnationale

Martha a 32 ans. Elle est née au Salvador et vit en Belgique depuis deux ans et demi. Elle travaille dans le secteur de l’emploi informel en tant que domestique ou aide-soignante. « J’ai décidé de migrer car je voulais le meilleur pour mes enfants. Je suis séparée de mon mari depuis quelques années et je ne m’en sortais pas financièrement. Un jour, une amie qui avait déjà migré m’a appelé pour que j’aide ses parents à venir lui rendre visite. Trop âgés pour prendre l’avion seuls, je devais les assister. Cette situation m’a permis d’avoir facilement un visa touristique et je les ai emmenés à Bruxelles rendre visite à leur fille. Trois jours plus tard, j’avais déjà trouvé un emploi. Je travaillais pour une femme de 93 ans atteinte du cancer. Je suis restée six mois à ses côtés, jusqu’à la fin. Ça a été très difficile pour moi, car je me suis attachée. Après, je suis passée de maison en maison avec un statut de bonne à tout faire illégale. Le plus dur, c’était la solitude. Je n’avais pas imaginé que Bruxelles était si loin, je ne pensais pas passer autant de temps sans ma famille. J’imaginais avoir mes papiers rapidement et pouvoir faire des « aller-retour ». Aujourd’hui, je ne suis pas vraiment heureuse, mais je sais que c’est mieux pour mes enfants. Je ne suis pas présente physiquement, mais je peux au moins leur donner une bonne éducation en les mettant dans des écoles privées. Je ne les ai pas abandonnés, mais je suis désormais une mère transnationale, c’est-à-dire que je les appelle presque tous les jours, je leur donne des conseils, leur rappelle de bien manger avant de partir à l’école, de se protéger s’ils ont des rapports. Bref tout ce qu’une mère fait au quotidien. La seule différence, c’est que je suis là virtuellement, via internet », explique Martha.

Le travail informel à demeure

Martha travaille du lundi au samedi en interne. Elle se lève avant tout le monde et se couche en dernier. Elle a de grosses journées d’environ dix à douze heures et gagne un salaire mensuel de 1 100 euros, non déclaré.
Le travail de domestique à demeure est lourd de conséquences. Premièrement, le fait de loger chez l’employeur joue sur le degré de liberté des bonnes, sur le nombre d’heures effectuées et payées et sur l’intensité des pressions et de la subordination auxquelles elles sont soumises. De plus, il n’y a pas de séparation entre l’espace privé et professionnel, sauf le dimanche.

« Le plus dur pour moi, c’est l’isolement. Je suis souvent seule et comme je ne parle pas français, il m’est difficile de me faire des amis. En travaillant du lundi au samedi, je n’ai pas le temps de faire des cours de langue, alors je traîne avec d’autres salvadoriennes, mais j’aimerais m’intégrer à la société belge. », continue Martha.

Un espoir ?

Aujourd’hui, en passant par les titres-services, les domestiques peuvent espérer avoir un permis de travail B, ce qui leur permet de se sentir plus en sécurité et de ne pas stresser à la vue d’un policier.
Mais dans la pratique, les titres-services n’empêchent pas les abus. « Malgré un contrat de 38h/semaine, les domestiques vivent toujours chez les employeurs et travaillent 60h/semaine sans que cela ne compte comme des heures supplémentaires. En étant déclarées, elles sont mieux payées, mais les employeurs se permettent de compenser en prenant les chèques-repas qu’elles reçoivent via les titres-services. En gros, les conditions de travail restent les mêmes. La légalité ne résout pas tous les problèmes », explique Elke Gutierrez, collaboratrice de l’Organisation pour travailleurs immigrés clandestins1 (Orca).

L’Orca en a bien conscience et met quelques dispositions au service de ces femmes. L’association organise des cours de français le dimanche ou met sur pied un service d’aide sur lequel ces femmes peuvent s’appuyer quand elles ne sont pas payées. L’organisation essaye aussi d’amener la problématique au niveau politique ou d’activer d’autres asbl, car tant que la demande de domestiques informelles grandira en Belgique, le problème n’aura pas de solution.

1. Orca, Organisation pour les travailleurs immigrés clandestins :
– adresse : rue Gaucheret, 164 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 274 14 31
– site : http://www.orcasite.be
– courriel : info@orcasite.be

En savoir plus

– Destremau Blandine, Lautier Bruno, « Introduction : Femmes en domesticité. Les domestiques du sud, au Nord et au Sud » , dans Tiers-Monde, 2002, tome 43 n° 170. pp. 249-264.
– Oso Casas Laura, « Stratégies de mobilité sociale des domestiques immigrées en Espagne », dans Tiers-Monde, 2002, tome 43 n° 170. pp. 287-305.
– Hondagneu-Sotelo and Ernestine AvilaReviewed work(s) :  « I’m Here, but I’m There »: The Meanings of Latina Transnational Motherhood, in Gender and Society, Vol.11, No 5 (Oct, 1997), pp.548/571
– Pierrette Hondagneu-Sotelo, Gender and U.S. Immigration: Contemporary Trends,  University of California Press, 2003
– Ofelia Woo et José Moreno Mena, « Las mujeres migrantes y familias mexicanas en Estados Unido »s, dans Migración: México entres sus dos fronteras. Foro – Migraciones 2000-2001
– Andrea Réa et Maryse TRIPIER, Sociologie de l’immigration, La Découverte, Paris, 2008
– Vidal, Dominique, Les bonnes de Rio. Emploi domestique et société démocratique au Brésil, Septentrion Presses Universitaires, 2007.

Vinciane Malcotte

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