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Regard critique · Justice sociale

Métiers du social, le consom'acteur en ligne se fait désirer

Comment, dans le social, utilise-t-on Internet ? Sa montée en puissance change-t-elle vraiment quelque chose à la manière dont le travail social se fait ?Aperçu exclusif d’une enquête sur le terrain.

23-05-2010 Alter Échos n° 295

Comment, dans le social, utilise-t-on Internet ? Sa montée en puissance change-t-elle vraiment quelque chose à la manière dont le travail social se fait ?Au-delà des impressions et des intuitions des uns et des autres, on en sait peu de choses. L’Agence Alter s’apprête à diffuser les résultats de l’enquête qu’ellevient de terminer à ce sujet1. En voici un aperçu exclusif.

L’enquête n’ayant pas été menée par ou pour des ingénieurs, l’aspect technologique de la question est vite réglé : la première conclusion del’enquête est en effet que l’équipement est bel et bien présent dans les bureaux. Le web est accessible et utilisé dans 89,3 % des services contactés. C’est uneévolution puisqu’en 2001, date de la dernière étude consacrée à ce sujet (Idéji), on parlait de 74 %. Cela dit, près de 30 % des servicespointent des problèmes d’accès (faible débit, horaires limités, accès restreint à certains sites, etc.).

Quelques balises

Menée par le département études et conseil de l’Agence Alter, AlteR&I, l’enquête a porté sur l’information en ligne et son utilisation par les professionnelsde l’action sociale en Région wallonne (l’étude étant cofinancée par la Région). Elle a été menée au premier quadrimestre 2010 sur la based’entretiens en face à face avec un échantillon de vingt-cinq organisations, et également de réponses à cent trente-cinq questionnaires distribués dans lecadre de formations continues ciblées.

On parle bien ici du web (ou « la toile », ou « www »), et non de toutes les autres applications qui utilisent les possibilités d’Internet, commele courrier électronique, les outils de téléphonie comme Skype, les serveurs de données, le travail sur ordinateur distant, etc.) On ne parle pas non plus deséventuels sites web mis en ligne par les organisations rencontrées.

Il faut d’emblée relever que l’étude indique que les variables géographiques et sectorielles ne jouent pas en la matière, ce qui donne à ses conclusions uneportée plus générale, par exemple pour les autres secteurs (Aide à la jeunesse, Insertion, Logement), et pour Bruxelles.

Pour ce qui est de l’utilisation qu’on en fait dans le cadre professionnel, le site le plus utilisé, avant les Guide social et autres portails thématiques, est tout simplement lemoteur de recherche Google. Le premier usage est en effet la recherche d’informations 100 %, qui se pratique également à partir des newsletters reçues et à partir dedivers types de sites thématiques. Viennent ensuite :
• la diffusion d’informations, surtout par envoi d’e-mails, parfois organisé sous forme de newsletter ;
• la gestion administrative des services (PC Banking, formulaires administratifs en ligne, recherche de financement…) ;
• l’organisation (planification de réunions, par exemple).

C’est le format texte qui attire surtout, les supports audio et/ou vidéo sont très peu consultés. D’abord parce qu’ils sont perçus comme non professionnels (peupertinents, mal vus par l’entourage professionnel immédiat), et également faute d’équipement (PC ne gérant pas le son, absence de casque pour ne pas perturber le travaildes collègues, etc.)

La bonne info et la mauvaise info

Si on serre la focale sur ce premier usage, la question qui se pose immédiatement est de savoir quelles sont les informations recherchées en ligne et comment elles sontévaluées.

Pour être utile aux yeux des professionnels du social (comme de n’importe qui d’autre, du reste), l’information doit être précise, concise, complète, bienstructurée, accessible sans détour, lisible au niveau de la présentation, compréhensible et fiable. La majorité (67 %) des personnes questionnées parécrit considère l’information en ligne comme rapide et facile d’accès. Mais on se plaint aussi de surinformation, et on se trouve couramment confronté à desinformations auxquelles l’accès est jugé trop fastidieux ou dont la fiabilité semble incertaine.

Ce qui manque aujourd’hui ? Un « portail social » global bien structuré renvoyant aux références de base : un moteur de rechercheréférençant un ensemble de sites utiles dans le secteur social et permettant ainsi des recherches thématiques et/ou administratives. Autrement dit, une approche du typeGoogle, mais qui éliminerait le « bruit ». Sans doute en partie un fantasme, comme cette fameuse bibliothèque où l’on tombe tout de suite sur le livre tantrecherché…

Google über alles

Au départ, un moteur de recherche, c’est une espèce d’index du web. On y introduit une requête pour découvrir ce que la toile peut vous proposer. On part àl’aventure, quitte à devoir encore beaucoup trier l’information.

Avec Google aujourd’hui, si cette forme d’usage reste prédominante, on en voit également d’autres apparaître ; rendus possibles par les étonnantes performances dusystème. Il devient en effet une porte d’entrée quasi automatique pour toute recherche sur le web, jusqu’à remplacer une partie des signets habituellement confiés aulogiciel de navigation.

Exemple : « Alter, ils n’avaient pas fait il y a un an ou deux cette espèce de liste commentée des collaborateurs des nouveaux cabinetsministériels ? » Réponse facile : dans Google, la requête « Alter cabinets » limitée aux pages belges donne accès en unclic à la page en question. Souvent, cela va même plus vite que de passer par la page d’accueil du site qu’on sollicite.

Google, on l’utilise donc de plus en plus pour rechercher… ce que l’on connaît. Comme une espèce de seconde mémoire personnelle du web. C’est ce qu’on appelle savoir serendre indispensable…

Participation peu active

L’enquête a également tenté de prendre en compte les nouvelles tendances en matière d’utilisation d’Internet, sachant que depuis 2004, sous le slogan web 2.0, la toilen’est plus juste une espèce de silo d’informations plus ou moins organisées. Sur ce point, les impressions générales de tout un chacun se confirment : dans le social, onest consommateur avant d’être acteur d’information…

Sites communautaires, sondages, débats et forums en ligne, documents à rédaction collaborative (wiki), flux d’information automatisés, pages web personnalisées,partage de liens, de textes, et de tout autres formes de données, tous ces usages « 2.0 » qui passent par une mise en ligne de contenus, aussi légèresoit-elle, de sa propre initiative, restent très marginaux au niveau professionnel. Au travail, on se limite très majoritairement à un usage passif du web, on consomme
del’information. Et ce n’est pas faute de connaître une partie de ces outils : 33 % des personnes interrogées utilisent les forums, postent des commentaires, sont abonnésà un flux RSS ou ont un blog, 52 % ont un profil sur l’énorme site communautaire Facebook… à titre privé.

Il apparaît en parallèle qu’aux dires de ses utilisateurs dans les services sociaux, Internet ne change pas réellement les pratiques professionnelles, mais qu’il facilite lespratiques existantes : il permet avant tout, dans des situations de plus en plus nombreuses, un gain de temps important en facilitant la recherche d’information, la communication, ou encorel’accès à des documents administratifs. « J’ai travaillé dans un endroit ou l’accès au web n’était pas aisé : on utilisait plus le supportpapier, ça ralentissait le travail, mais ça marchait malgré tout », explique l’une des personnes interrogées pour l’enquête.

Des nuances, des variables

Le rapport d’AlteR&I essaie d’aller plus loin pour voir où cela coince et si cela coince vraiment pour tout le monde. Il remarque d’abord que l’utilisation de la toile dépendrad’abord de la fonction concernée : le chargé de mission, l’assistant social ou le travailleur de terrain consulte principalement des informations « services »(horaires, coordonnées…) dans le cadre même de la relation d’aide, donc au cas par cas, selon ses besoins, liés au contact immédiat avec l’usager : les heuresd’ouverture de tel guichet communal, les documents à rassembler pour y aller, le bus à prendre, etc. Les animateurs quant à eux l’utilisent pour préparer leurs animations.Quant aux personnes occupant des postes de coordinateur d’asbl, de responsable de service, elles se pencheront davantage sur les aspects liés à la gestion au sens large (gestionadministrative, gestion de projets, financement…).

Cette différenciation des usages se retrouve aussi entre services. Les structures de première ligne – celles où les publics en demande d’aide sociale sontrencontrés – ont des usages du web centrés sur les besoins de la personne aidée. On s’y intéresse d’abord à son secteur à soi, à sarégion, etc. Les structures de deuxième ligne (fédérations, centres de référence, centres de documentation, etc.) seront plutôt attentives àpouvoir diffuser de l’information pour leurs membres et autres utilisateurs professionnels : recherches thématiques pour des projets ou de l’accompagnement, alimentation de newsletters, veilleinformative… Ces services se concentrent aussi sur leur région ou leur secteur (autrement dit leurs missions), mais le lien y est plus accentué avec d’autres thématiques etd’autres territoires.

Dans une moindre mesure, l’usage du web sera également fonction de l’âge : on constate que les moins de 35 ans ont un usage plus intensif et plus étendu du web dans lecadre professionnel, tandis que les « moins jeunes » ont construit sur un réflexe « papier » leur rapport à l’information professionnelle. Ilest cependant évident que la personnalité et le rapport à la technologie interviennent aussi ici, surtout pour les plus de 35 ans, où la diversité des profilsd’utilisation semble plus grande, entre les irrémédiables fracturés numériques irrécupérables et les boulimiques du web.

Et des tendances… peut-être

Ces quelques résultats n’augurent pas de « révolution web » dans le social. L’usage du web interroge en effet le rapport à l’écrit (parfoisparticulièrement problématique chez les professionnels en première ligne), mais aussi tout simplement le rapport à l’ordinateur, à la« machine ». C’est qu’on parle essentiellement ici de métiers où l’on n’a pas forcément appris à utiliser un PC, à rédiger, ni àlire pour s’informer, et où le rapport à l’information est essentiellement utilitaire. S’ajoutent à cela le manque de temps (pression de l’urgence), les problèmesd’équipement même s’ils se sont fort réduits, le fait que l’information en ligne ne rentre pas comme telle dans le cadre de la fonction des personnes ou des missions de leur asblet, par conséquent, pas non plus dans les formations initiales ou continues…

Mais qu’on ne s’y trompe pas : alors que le rapport à l’outil peut s’avérer relativement basique dans la sphère professionnelle, il peut être plus étendu, onl’a dit, au niveau privé. Il y a donc des applications et des développements d’outils « 2.0 » qu’une partie des professionnels du social seraient àmême de pouvoir utiliser, y compris éventuellement en première ligne. Mais avec sans doute un niveau d’exigence considérable, voire une méfiance assezgénérale à l’égard de certains outils.

C’est le cas des forums ou des blogs, par exemple. Le manque de modération et les propos jugés peu sérieux sont pointés du doigt. Aucune plus-value en termesd’utilité, et pas de garantie de fiabilité des informations. Cet exemple permet de pointer un déterminant évident de la situation généraleconstatée : il existe peu ou pas d’offres « 2.0 » spécifiquement orientées « secteur social », et donc peu ou pas de lieuxparticipatifs où une parole utile et fiable peut s’élaborer. L’étude n’en relève en fait qu’un seul : le forum sur le surendettement2 ouvert par l’Observatoiredu crédit et de l’endettement et l’Administration wallonne…

Par contre, on aura pu relever que les possibilités de partager des ressources, de proposer des sujets d’articles ou de réagir auprès des membres d’une rédactionrencontrent un certain intérêt, à défaut d’usages effectifs. Des sites tels que Facebook sont également largement fréquentés, certaines structuresayant édité aujourd’hui leur propre profil. L’horizon est donc assez ouvert sur les outils qui pourront rencontrer les besoins des travailleurs sociaux dans les années àvenir.

Gaëlle Francart, Véronique Linard et Thomas Lemaigre

1. Téléchargeable sur lesite www.alteri.be

2. Forum du surendettement :
http://socialsante.wallonie.be/forumsurendettement

Thomas Lemaigre

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