À l’heure d’écrire ces lignes, les différents acteurs de la PSE sont toujours dans l’expectative quant à la rentrée. Seront-ils les seuls à se charger du tracing des élèves durant cette année scolaire? Les négociations politiques sont encore en cours… «L’ONE a demandé que la charge du tracing dans les écoles soit mieux répartie entre les acteurs, justement pour mener à bien ses missions qui, par décret, occupent 90% du temps de travail des équipes de la PSE, à savoir les bilans de santé, le soutien et le développement de programmes de promotion de la santé à l’école», explique la Dre Nathalie Ribesse, adjointe à la Direction Santé au sein de l’ONE et responsable pôle Promotion de la santé à l’école.
Il faut dire que la crise sanitaire a décuplé le travail des équipes PSE. «La quantité d’heures supplémentaires prestées est tout à fait incroyable, en travaillant jusqu’à 10-12 heures par jour, 7 jours sur 7, chaque fois qu’il y a eu des pics. Les infirmières restaient également plus tard en semaine avec son lot d’heures supplémentaires. Cette année scolaire nous a totalement épuisés», témoigne la Dre Lise Maskens, du service PSE de la Province du Brabant wallon. «On ne pourra pas mener une deuxième année scolaire comme celle qu’on a connue cette année, sans quoi on va perdre les infirmières, les médecins au fur et à mesure à cause de l’épuisement. En plus, le personnel n’a pas du tout le sentiment d’être reconnu, valorisé. Pourtant, si les écoles ont pu rester ouvertes, c’est grâce à la PSE qui a fait ce travail de tracing, un travail colossal…», poursuit-elle.
«La quantité d’heures supplémentaires prestées est tout à fait incroyable, en travaillant jusqu’à 10-12 heures par jour, 7 jours sur 7, chaque fois qu’il y a eu des pics. Les infirmières restaient également plus tard en semaine avec son lot d’heures supplémentaires. Cette année scolaire nous a totalement épuisés.» Dre Lise Maskens, service PSE de la Province du Brabant wallon.
Du côté de la ministre francophone de la Santé, Bénédicte Linard (Écolo), on est conscient de ce travail colossal. «La pandémie a pesé lourdement sur l’organisation des services PSE et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Fédération Wallonie-Bruxelles a accordé par deux fois, en 2020 et 2021, deux millions d’euros ponctuels aux services afin de faire face à la charge de travail supplémentaire liée à la gestion de la crise sanitaire», indique Bénédicte Linard. Ce montant de deux millions d’euros est d’ailleurs désormais pérennisé et rendu structurel pour les services PSE via le nouveau Contrat de gestion conclu avec l’ONE cet été.
Outre ce soutien financier, l’ONE avait fixé des priorités aux équipes pour le suivi des élèves, selon le code couleur et la charge de travail liée à la gestion de l’épidémie. En code rouge, les équipes devaient se concentrer sur les vaccinations prioritaires, les dépistages visuels des tout-petits et la situation de maltraitance et de grande vulnérabilité. En code orange, et selon la charge de travail, les équipes devaient se charger des bilans de santé des 3es maternelles, du public de l’enseignement professionnel, technique et spécialisé ou du CEFA.
«Sur le terrain, ces priorités ont été suivies de façon très inégale selon les équipes, reconnaît Nathalie Ribesse. En plus de la charge de travail exceptionnelle, il y a eu des équipes où, par moments, près de la moitié du personnel était absent (Covid, quarantaine, épuisement, autres raisons…). Ce fut une situation très compliquée et il faut saluer le travail énorme qui a été fait», poursuit-elle.
Un sondage réalisé par l’ONE avec les responsables de service PSE début juin permet d’ailleurs d’estimer la couverture de certaines activités pour l’année écoulée (NDLR: 74% des équipes ont répondu à cette enquête). «La couverture de l’offre de vaccination prioritaire est, compte tenu des circonstances, tout à fait bonne: trois quarts des équipes répondantes estiment avoir pu couvrir une offre de vaccination entre 75 et 100% des classes sous tutelle», indique Nathalie Ribesse.
Au niveau de la vaccination, la Fédération Wallonie-Bruxelles avait en outre prévu une équipe de huit infirmières mobiles pour venir en renfort des équipes PSE, équipe qui sera encore présente cette année.
Au PSE de la Province du Brabant wallon, le service est parvenu, par exemple, à maintenir les bilans de santé «mais on n’a pas pu les faire tous à 100 %, en ciblant certains publics comme les maternelles avec les dépistages visuels, en rattrapant aussi le dépistage sur les enfants qui n’avaient pas pu être contrôlés lors du premier confinement. Dans le secondaire, on a priorisé le public du technique et professionnel parce que c’est un public potentiellement plus vulnérable. Dans le spécialisé secondaire, on s’est concentré sur la vaccination», résume Lise Maskens.
Comment rattraper?
Normalement, un élève passe un bilan de santé complet ou partiel tous les deux ans environ. Mais cela ne sera pas possible de rattraper les bilans de santé non réalisés ces derniers mois. «Certains élèves vont passer entre les mailles du filet. Il ne va pas être possible, avec les moyens dont on dispose, tant humains que financiers, de récupérer tout ce qui n’a pas été fait», poursuit Lise Maskens.
Du côté de l’ONE, on espère que des filets de sécurité vont fonctionner: «En PSE, on peut toujours voir un enfant en bilan de santé spécifique, en dehors des périodes obligatoires. Si l’infirmière, le médecin sont interpellés par une situation, il y a toujours moyen de convoquer l’enfant. Il faut aussi que les médecins généralistes, les pédiatres, soient conscients que la majorité des élèves n’ont pas eu de bilan de santé cette année, ce qui signifie pour certains enfants quatre ans sans bilan de santé. Avec cette pandémie, je pense que chaque professionnel de santé doit, à son niveau, avoir un œil global sur la santé des enfants et des jeunes, et leur apporter une attention spécifique», précise Nathalie Ribesse.
«Avec cette pandémie, je pense que chaque professionnel de santé doit, à son niveau, avoir un œil global sur la santé des enfants et des jeunes, et leur apporter une attention spécifique.» Dre Nathalie Ribesse, ONE
Une attention à porter aussi sur les situations de violences intrafamiliales. «Par rapport à ces problématiques, on en a effectivement davantage rencontré. Pour les familles qui étaient sur la corde raide, chaque confinement a effectivement explosé les choses. Il y a eu des détresses assez interpellantes, même si elles ne sont pas encore quantifiables. À ce propos, les écoles ont joué un rôle fondamental en nous avertissant de situations compliquées…», explique Lise Maskens.
Durant cette période, les enfants ont en outre porté des choses très lourdes, sur le plan de la santé mentale, craignant de ramener à la maison le virus. «On a été confronté à la peur de la maladie parce que, dans un premier temps, on a fonctionné dans un régime de la peur selon moi, et cela a pu créer des mouvements de panique. Nos services sont intervenus dans un établissement où les jeunes n’osaient plus revenir en classe. On a dû leur expliquer ce qu’était un virus, expliquer comment notre corps se défendait, expliquer les moyens pour éviter d’être en contact avec ce virus… On a dû gérer ce stress inhérent à la situation sanitaire», indique, de son côté, la Dre Fabienne Henry, du service PSE de la Ville de Bruxelles.
D’où tout l’intérêt de développer des programmes de promotion de la santé dans les établissements scolaires, notamment en cette période de pandémie. Cette mission-là, les services PSE doivent l’exercer à hauteur de 20 % de leur temps de travail global. Mais avec la crise sanitaire, cette mission est la plupart du temps passée à la trappe.
«Outre ces missions auxquelles certains services ont dû renoncer, tous n’ont pas eu la possibilité de faire un travail de fond, et préventif, avec les établissements scolaires pour bien expliquer, au-delà des gestes barrières ou des mesures de protection, ce qu’est une épidémie, un virus, ou encore échanger avec les jeunes sur la perception qu’ils ont eue des contraintes liées à toute cette gestion épidémique», constate Chantal Vandoorne, directrice de la Care ESPRIst, service d’appui en Promotion et en Éducation pour la santé, à l’ULiège. «On parle beaucoup des dégâts sur la santé mentale des jeunes, mais en fait, pendant un an, on n’a absolument pas mis le paquet là-dessus alors qu’on aurait pu travailler sur ces aspects de façon préventive. On ne peut jeter la pierre à personne, sachant que les équipes ont fait de nombreuses heures supplémentaires», poursuit Chantal Vandoorne.
Mais comme le reconnaît la directrice, c’était, bien avant la crise, une mission qui avait déjà peine à se développer. «Outre le manque de moyens et la disparité dans les services, il y a un manque de culture de promotion de la santé du côté des acteurs scolaires, un manque de construction commune d’outils pour promouvoir la santé.»
Un modèle à revoir?
Car c’est là sans doute toute la complexité de la santé scolaire en Fédération Wallonie-Bruxelles, les services PSE ont des moyens très différents et sont très hétérogènes, en fonction de leur situation géographique ou du réseau auquel ils dépendent. «Pour l’universalité, un enfant = un enfant, on n’y est pas… C’est un vrai problème dans l’organisation de nos services», relève Lise Maskens.
Une demande de refinancement du secteur existe de longue date. «La question du financement est en effet cruciale: on ne peut pas demander aux équipes de tout faire. Elles ne peuvent pas à la fois réaliser le bilan de santé, rattraper ceux qui n’ont pas été faits, faire de la promotion de la santé, s’inquiéter du bien-être et de la santé mentale des élèves en menant des actions par rapport à ces enjeux dans les écoles, sans parler du tracing… Bien avant la crise, la PSE était confrontée à un problème de sous-financement et de difficultés de réalisation de l’ensemble des missions dans certaines équipes sans financement complémentaire. La crise ne fait qu’accélérer les choses», indique Nathalie Ribesse.
«Pour les familles qui étaient sur la corde raide, chaque confinement a effectivement explosé les choses. Il y a eu des détresses assez interpellantes, même si elles ne sont pas encore quantifiables.» Dre Lise Maskens, service PSE de la Province du Brabant wallon.
L’ONE a d’ailleurs fait un appel d’offres pour réaliser une étude économique sur le coût des missions, avec l’objectif de revenir vers la Fédération Wallonie-Bruxelles pour faire mieux coïncider les financements et les attentes vis-à-vis de la PSE. «Avec l’idée aussi à terme de proposer des normes d’encadrement au secteur, parce que celles-ci sont très variables, allant d’un médecin à temps plein pour 3-5 écoles à un médecin à mi-temps pour 30 écoles», ajoute Nathalie Ribesse. «Quant à l’engagement du personnel, les statuts comme les rémunérations sont très différents selon les pouvoirs organisateurs. Chaque réseau a ses avantages et inconvénients, mais cela peut peser effectivement dans le recrutement. Certaines équipes sont à l’heure d’aujourd’hui sans médecin. C’est une minorité de structures, pour lesquelles les bilans de santé complets et les vaccinations ne peuvent effectivement pas être réalisés», poursuit Nathalie Ribesse.
Une situation dont la ministre Linard est bien consciente: «La Cour des comptes a récemment publié les résultats d’un audit concernant la gestion et le financement de la PSE. Celui-ci constate en effet une importante pénurie de médecins scolaires dans des zones rurales ou à faible indice socio-économique.» La Cour a également émis une série de recommandations, dont certaines sont déjà en cours d’exécution et d’autres doivent encore aboutir, que ce soit dans le cadre du décret relatif à la Promotion de la santé à l’école, mais aussi dans le cadre du nouveau contrat de gestion de l’ONE qui a été adopté au début de l’été. «L’ONE avait en effet déjà dressé ce constat d’un manque de médecins scolaires dans certaines régions. C’est pourquoi un refinancement de ce secteur a été prévu – deux millions supplémentaires ont été dégagés depuis 2020 – afin de permettre à ces services de participer efficacement à la lutte contre les inégalités sociales», précise Bénédicte Linard.
À côté de la question des moyens et du personnel, il y a un manque de connaissance et de reconnaissance de la Promotion de la Santé à l’École. «Beaucoup ne se rendent pas compte de ce qui est réalisé par les services de la PSE», estime Nathalie Ribesse. Face à cette situation, l’ONE fait la promotion de la profession à travers divers événements organisés par les facultés de médecine. «Dans les autres freins de la profession, on peut relever l’obligation décrétale d’un certificat en médecine scolaire pour pouvoir travailler comme médecin dans les structures PSE.» Pour lever ce frein, l’ONE rembourse notamment les frais de formation pour ce certificat pour peu que le médecin s’engage effectivement en PSE pendant trois ans au moins.
«La question du financement est en effet cruciale: on ne peut pas demander aux équipes de tout faire. Elles ne peuvent pas à la fois réaliser le bilan de santé, rattraper ceux qui n’ont pas été faits, faire de la promotion de la santé, s’inquiéter du bien-être et de la santé mentale des élèves en menant des actions par rapport à ces enjeux dans les écoles, sans parler du tracing…» Dre Nathalie Ribesse, ONE