Citoyen coupable, détendez-vous. En cas d’incivilité constatée, la médiation vous permet de vous racheter une vertu sans desserrer les cordons de la bourse. Du moins si vous préférez l’examen de conscience à la bonne vieille amende.
Abandon de déchets, déjections canines, vandalisme, nuisances sonores: ces petites incivilités sont soumises depuis 1999 au système des sanctions administratives communales (SAC) dans le but annoncé de lutter contre le sentiment d’insécurité et d’impunité chez le citoyen. Les communes ont depuis lors la possibilité de constater, de poursuivre et de sanctionner certaines infractions sur la base de leur règlement de police. Parallèlement à l’amende administrative (pouvant aller jusqu’à 350 euros), les communes peuvent avoir recours à la médiation pour régler le conflit. En 2006 et dans le sillage de l’émotion suscitée par l’agression mortelle de Joe Van Holsbeeck, le gouvernement fédéral a décidé de renforcer la politique de lutte contre la délinquance juvénile et d’octroyer un appui complémentaire aux villes et communes pour aider ces dernières à mettre en œuvre une politique efficace de prévention et de répression des incivilités[1]. Le service Politique des Grandes Villes (SPP Intégration sociale) a donc reçu pour mission de favoriser l’application de la procédure de médiation, considérée comme un moyen pédagogique privilégié pour (ré)apprendre au citoyen le respect des normes et des règles sociales. Le gouvernement fédéral passe donc des conventions avec des villes et communes qui emploient un médiateur local et les mettent à la disposition des communes voisines, sur la base d’un médiateur par arrondissement judiciaire (ou zone de police dans la Région de Bruxelles-Capitale). Actuellement, 29 arrondissements judiciaires/zones de police accueillent un médiateur subventionné par la Politique des Grandes Villes. Ces 29 médiateurs ont un profil universitaire, avec, le plus souvent, une spécialisation en criminologie ou sciences sociales. Ils travaillent au service de leur ville/commune, mais aussi au service de plus de 300 autres au total[2].
Un objectif éducatif
Si la médiation semble avoir gagné de l’importance au fil du temps, toutes les communes n’y ont donc pas recours. «Je pense que ce sont celles qui ne sont pas bien informées de ce que peut apporter la médiation. Elles pensent que cela leur coûtera de l’argent, puisque les amendes ne rentrent plus, mais il faut savoir que la médiation permet non seulement d’améliorer la vie dans l’espace public, mais parfois de récupérer des taxes anciennement impayées chez le contrevenant», explique Roland Houbrechts, médiateur local basé au sein de la Ville de Marche-en-Famenne. À noter que les communes peuvent d’ailleurs continuer à compter sur les amendes relatives aux infractions de stationnement et apparentées, seules infractions administratives exclues du processus de médiation depuis la loi du 24 juin 2013 relative aux SAC. Fini donc les incursions dans les associations actives dans le handicap après avoir stationné sur une place réservée aux personnes à mobilité réduite, lesquelles donnaient pourtant de fructueux résultats d’après Anne Bourgeois, médiatrice pour la zone de police d’Auderghem/Uccle/Watermael-Boitsfort. L’éducation a ses limites.
«Il ne suffit pas que le fonctionnaire sanctionnateur propose la médiation pour qu’elle ait lieu ! Seuls 10 % environ des contrevenants accepteront.» Roland Houbrechts, médiateur local basé à Marche-en-Famenne
La médiation est proposée par le fonctionnaire sanctionnateur (généralement un juriste de formation), qui accompagne la commune dans l’exercice de sa fonction de police et constate les incivilités. Pour les mineurs (passibles de SAC dès 14/16 ans selon les communes), cette proposition doit être faite systématiquement. Si le mineur accepte, celle-ci a lieu en présence d’un avocat et d’un/des parents du mineur, rendant de ce fait la procédure assez lourde, avec un effet dissuasif assumé. Concernant les majeurs, l’opportunité d’une médiation est laissée à l’appréciation du fonctionnaire sanctionnateur. «Le fait qu’on fasse appel à nous dépend clairement de la connaissance que ce fonctionnaire sanctionnateur a de notre existence. C’est aussi une question de personnes: certains fonctionnaires sanctionnateurs sont ouverts à l’aspect pédagogique, d’autres ont en tête des objectifs plus répressifs. Notre rôle est aussi de faire connaître ce qu’il est possible de faire avec la médiation», explique Anne Bourgeois. «Il ne suffit d’ailleurs pas que le fonctionnaire sanctionnateur propose la médiation pour qu’elle ait lieu! Seuls 10% environ des contrevenants accepteront», précise Roland Houbrechts.
La médiation peut alors avoir lieu de manière indirecte mais le plus souvent directe, grâce à une rencontre physique entre les deux parties, en présence du médiateur. Le but est alors de trouver un mode de réparation, qu’il soit matériel ou symbolique. «La médiation possède avant tout un rôle éducatif. On ne voit d’ailleurs jamais une personne qui revient pour la même infraction», assure Roland Houbrechts qui rappelle que, depuis la loi du 24 juin 2013, le médiateur doit aussi assumer une fonction de prévention. «À Marche-en-Famenne, je travaille en étroite collaboration avec le service de prévention. Car, sur le terrain, on se rend compte que les gens ont souvent une mauvaise connaissance de la loi. Beaucoup commettent des infractions en toute bonne foi. Par exemple, pendant des années, jeter un mégot de cigarette en rue n’a pas posé problème… Il faut donc d’abord informer et sensibiliser, ce que nous faisons via des campagnes d’affichage ludiques, des conférences de presse, les valves des villages, le bulletin communal ou encore la distribution d’accessoires en lien avec la campagne de prévention, comme des cendriers de poche et des distributeurs de sachets pour déjection canine», explique le médiateur. Cette campagne de prévention est suivie d’une campagne d’avertissements et enfin d’une phase répressive, donnant lieu à des SAC. «La continuité avec la prévention permet de montrer que le but de la commune n’est vraiment pas de se faire de l’argent sur le dos du citoyen via les amendes», argumente Roland Houbrechts.
Conscientiser et dédramatiser
Depuis l’arrêté royal du 28 janvier 2014 relatif à la médiation dans le cadre des SAC, une médiation aboutie exclut d’ailleurs la possibilité d’infliger tout de même une amende (ce qui restait jusque-là possible). Le jeu en vaudrait donc la chandelle. «La médiation est aussi une manière de diminuer le sentiment d’impunité chez les publics insolvables», explique Roland Houbrechts. Cela signifie-t-il que, quand certains auraient «les moyens» de leur incivilité, d’autres seraient nécessairement promis à la moulinette pédagogique? «Je ne suis pas d’accord car nous avons toutes sortes de personnes parmi celles qui recourent à la médiation. Il ne s’agit pas seulement de celles qui n’ont pas les moyens mais aussi de celles qui veulent réparer, ne fût-ce que vis-à-vis du regard de leur conjoint ou de leurs enfants. Pour les personnes qui ne sont pas solvables, la médiation est une manière d’être traitées comme les autres et de s’en sortir seules, sans devoir demander de l’aide à l’assistant du CPAS par exemple, ce qui est souvent une petite fierté. C’est aussi une manière de se réinsérer», affirme Roland Houbrechts. Reste que les liens privilégiés avec les publics précarisés sont réels dans les processus de médiation SAC, a fortiori depuis l’introduction par les réformes législatives de 2004 et 2005 de la notion d’«infractions mixtes», qui permet de considérer certains comportements comme relevant à la fois d’une infraction pénale et d’une infraction administrative (vols, dégradations, coups et blessures, etc.), le type de traitement dépendant de la décision du procureur du Roi. Et Roland Houberchts de rapporter le cas de cette jeune mère ayant volé une tétine dans une station-service pour un montant dérisoire de quelques euros. «Cette personne se sentait vraiment mal et était soulagée de pouvoir s’expliquer sur les raisons de son geste. Dans tous les cas, nous essayons de conscientiser mais aussi de dédramatiser», explique-t-il.
«Il y a toujours une histoire sous-jacente au P-V.» Anne Bourgeois, médiatrice pour la zone de police d’Auderghem/Uccle/Watermael-Boitsfort
Une fois la médiation enclenchée, elle aboutirait à une solution dans pas moins de 95% des cas. Lorsqu’il s’agit de dommages causés vis-à-vis de la commune, celle-ci consiste souvent en une prestation, par exemple en collaboration avec le service propreté. «Nous demandons toujours aux personnes de venir avec une proposition. L’idéal est que la personne trouve elle-même ce qu’elle peut faire, comme ce pêcheur qui a proposé de nettoyer les berges de rivière et qui a finalement fait beaucoup plus d’heures que ce qui lui était demandé parce que ça lui tenait à cœur», explique Roland Houbrechts. Lorsque la victime est un particulier, la réparation sera dans de nombreux cas d’ordre financier, avec un échelonnement possible. Mais avant d’en arriver là, il faudra en passer par des échanges tantôt vifs, tantôt très chargés émotionnellement. «Il y a toujours une histoire sous-jacente au P-V, explique Anne Bourgeois. Une personne a cassé le carreau du voisin mais en fait c’est parce que ce voisin avait préalablement cassé sa barrière, etc. Au fond, il n’est jamais clair de savoir qui est l’auteur et qui est la victime. Or, dans un processus de médiation SAC, la victime, c’est toujours celle qui est allée à la police! C’est quelque chose de difficile à manier au niveau du vocabulaire.» Et la médiatrice de souligner que, dans une médiation sociale à proprement parler, ce vocable qui hiérarchise les positions est d’ailleurs exclu.
Autre lacune de la médiation SAC: lorsque la «victime» est la commune, il n’est pas rare que le médiateur doive se faire juge et partie, dans les cas (non exceptionnels) où le représentant de l’autorité communale est absent. «On se retrouve alors dans une position un peu schizophrénique. Par ailleurs, on pourrait croire qu’il y a moins d’émotionnel quand la victime est la commune, mais ce n’est pas toujours le cas, poursuit Anne Bourgeois. Bien sûr, une personne n’est jamais triste d’avoir dégradé du matériel communal… mais elle peut l’être à cause des raisons qui l’ont amenée à faire ça… par exemple si elle sortait d’une discussion vive avec son conjoint. Derrière des infractions peu graves, il y a souvent des situations très difficiles.» Les pleurs, d’ailleurs, ne sont pas rares en médiation. «Comprendre les raisons pour lesquelles l’autre s’est comporté de telle manière, c’est le principe de la médiation. C’est important de l’évoquer, même si on est aussi obligé de fixer le cadre sinon cela peut nous amener sur des terrains très éloignés de l’infraction…», explique encore la médiatrice. Le sac de nœuds sous la SAC…
[1] «Médiation dans le cadre des sanctions administratives communales», SPP IS, 2016.
[2] Il s’agit des arrondissements judiciaires d’Anvers (Anvers), Arlon (Aubange), Audenaerde (Grammont), de Bruges (Bruges), Charleroi (Charleroi), Courtrai (Courtrai), Dinant (Florennes), Gand (Gand), Bruxelles-Hal-Vilvorde* (Vilvorde), Hasselt (Saint-Trond), Huy (Huy), Liège (Liège), Louvain (Louvain), Malines (Malines), Marche-en-Famenne (Marche-en-Famenne), Namur (Sambreville), Nivelles (Nivelles), Neufchâteau (Bastogne), Termonde (Termonde), Tongres (Tongres), Tournai (Tournai), Turnhout (Turnhout), Verviers (Verviers) et des zones de police 5339 (Ixelles), 5340 (Jette), 5341 (Saint-Gilles), 5342 (Auderghem), 5343 (Woluwe-Saint-Lambert), 5344 (Saint-Josse).
En savoir plus
Alter Échos n°416, «SAC: vers une justice spectacle?», Julie Luong, 3 février 2016.