En 2015, plus de 3.000 mineurs étrangers non accompagnés (Mena) sont arrivés en Belgique. À mesure qu’ils progressent dans le parcours d’accueil, les Mena rencontrent de nouvelles difficultés. Des associations alertent: les logements de transition vers l’autonomie sont saturés, l’arrivée sur le marché locatif est mal préparée. Selon elles, des centaines de jeunes pourraient se retrouver à la rue.
Pour les mineurs étrangers non accompagnés, la crise n’en finit pas. Un groupe d’associations d’aide aux enfants exilés – réunis dans la Plateforme mineurs en exil – tire la sonnette d’alarme. En cause: les difficultés que rencontrent ces jeunes – réfugiés la plupart du temps – à se loger. «Si nous n’investissons pas rapidement dans leur accès au logement, des centaines de jeunes (ex-)Mena risquent de se retrouver à la rue», dénoncent les associations.
Selon elles, la crise de l’accueil des demandeurs d’asile se transforme sans bruit en une véritable «crise du logement», qui touche particulièrement les jeunes, et donc les plus fragiles. Le marché locatif, plus spécifiquement à Bruxelles, est saturé pour les personnes à faible revenu. La difficulté à trouver un logement bloque des Mena dans un circuit d’accueil saturé, ce qui crée un engorgement en cascade, aux conséquences potentiellement désastreuses pour ces mineurs (ou très jeunes adultes) à la recherche d’une place dans la société belge.
Un accueil en trois phases
En 2015, lors de la grande vague d’arrivée de demandeurs d’asile en Belgique, ce sont 3.099 Mena qui ont demandé une protection à l’État belge. Et près de 70% l’ont obtenue. Les années précédentes, on comptait entre 300 et 500 arrivées de mineurs chaque année. Autant dire que l’accueil de ces nouveaux venus, aux besoins particuliers – les Mena sont vulnérables –, s’est avéré complexe. Il a fallu ouvrir des places rapidement, parfois dans la précipitation, pour les intégrer dans le circuit d’accueil belge, en bricolant pour essayer d’offrir une réponse adaptée à leur âge.
Ce circuit d’accueil est organisé en trois phases. La première est celle de l’orientation et de l’observation. Elle se passe dans des centres adaptés (les COO, pour centres d’orientation et d’observation) et ne dure que deux semaines renouvelables une fois.
La troisième phase est celle de la «transition». Une phase cruciale qui permet de préparer intensivement les jeunes à la vie d’adulte.
La deuxième phase a lieu dans des centres d’accueil pour réfugiés. C’est celle de l’aide «matérielle». Il s’agit d’un accueil collectif dans de grands centres gérés par l’administration (Fédasil) ou par l’un de ses partenaires, comme la Croix-Rouge. Après quatre mois en centre, si le mineur de plus de 16 ans a obtenu un titre de séjour, il peut accéder à la troisième phase. «Mais dans les faits, ce sont les jeunes de 17 ans et demi et plus qui sont prioritaires, explique Hedwige de Biourge, responsable Mena chez Fédasil. Cela crée une certaine frustration chez des jeunes qui introduisent leur demande à 16 ans et attendent longtemps en centre.»
La troisième phase est celle de la «transition». Une phase cruciale qui permet de préparer intensivement les jeunes à la vie d’adulte. Elle se passe dans des «initiatives locales d’accueil» (ILA) organisées, sur une base volontaire, par les CPAS, dont les dépenses sont remboursées par l’État belge (le remboursement est plus important pour les Mena). Cet accueil a lieu dans des logements semi-autonomes. Les jeunes y bénéficient d’un encadrement important (3 éducateurs pour 15 mineurs).
Ces éducateurs les aident dans leur apprentissage de la vie quotidienne en Belgique. Ils les confrontent aux dédales de l’administration, des abonnements, des factures. Ils les épaulent dans la gestion de leur argent, pour apprendre à concocter un repas et surtout… à rechercher un logement.
L’un de ses objectifs poursuivis en ILA est bien de lâcher dans la nature – donc sur le marché locatif belge – des jeunes à peu près débrouillards. Cette phase n’est censée durer que six mois, renouvelables une fois. Une limite qui, selon Fédasil, est flexible. «À aucun moment, une ILA ne mettra à la rue un mineur si son séjour dure plus d’un an sous prétexte que le mineur n’a pas trouvé de logement», affirme Hedwige de Biourge.
Une troisième phase saturée
Le nombre de places en ILA est insuffisant. Le réseau est presque saturé. Début juin, 220 mineurs étaient hébergés en ILA, alors que l’ensemble du réseau Fédasil, toutes phases confondues, offre 2.500 places aux mineurs d’âge.
Aujourd’hui, 120 jeunes en deuxième phase attendent une place en ILA. Le chiffre risque d’augmenter car les centaines de Mena arrivés en 2015 sont aujourd’hui coincés en deuxième phase. «La crise de l’accueil des Mena en troisième phase est une réalité que nous ne pouvons nier», confirme Hedwige de Biourge. Cette réalité engendre une pression constatée par plusieurs acteurs. «Pour libérer des places en troisième phase, des jeunes sont poussés vers la sortie, sans être forcément autonomes», témoigne Olivier Fagel de l’association Mentor-escale, spécialisée dans l’accompagnement et l’accueil de Mena, dont le témoignage est confirmé par Roxanne Charles, coordinatrice d’une des deux ILA bruxelloises à Watermael-Boitsfort. «J’ai par exemple connu des refus de prolongation d’accueil pour des jeunes dont l’âge s’approchait des 18 ans», dit-elle.
«Oui, certains jeunes se sont retrouvés trop tôt en ILA. Mais nous étions en pleine crise de l’accueil et c’est le propre des situations de crise, il faut agir vite.», Hedwige de Biourge, Fedasil.
Au sein de la plateforme Mineurs en exil, on critique l’instruction de Fédasil du 23 juillet 2015 qui organise ces passages de phase en phase. «Avant 2015, ce passage s’organisait davantage en fonction de la maturité du jeune, témoigne Rob Kaelen, porte-parole de la plateforme. Depuis que c’est l’obtention du titre de séjour qui est devenu le critère essentiel, on voit que certaines nationalités, comme les Syriens par exemple, obtiennent très vite un statut de séjour et se retrouvent en troisième phase alors qu’ils ne sont pas prêts.»
Chez Fédasil, on ne nie pas que des erreurs aient pu être commises: «Oui, certains jeunes se sont retrouvés trop tôt en ILA, admet Hedwige de Biourge. Mais nous étions en pleine crise de l’accueil et c’est le propre des situations de crise, il faut agir vite.» Aujourd’hui, la responsable Mena pour Fédasil rappelle que, pour chaque mineur, un plan d’accompagnement individuel est élaboré. Le souci, c’est que les centres collectifs ne permettent pas toujours d’aider les réfugiés – quel que soit leur âge – à tendre vers l’autonomie. «C’est toujours un problème, concède Hedwige de Biourge. Il n’est pas souvent possible de cuisiner en centre, par exemple. Mais cela change. Des centres d’accueil, comme celui de Pondrôme, créent des ‘foyers de cuisine’, avec un budget permettant de faire ses courses, de préparer les repas.»
CPAS de Bruxelles, vers la fin du calvaire?
Le CPAS de Bruxelles a mis en place une politique dissuasive à l’égard des Mena en leur refusant l’accès à l’aide sociale au motif que celle-ci ne serait réservée qu’aux adultes. «Et pourtant la loi est très claire, explique l’avocate Cécile Ghymers, l’aide sociale est octroyée aux personnes qui sont en état de besoin. Il est aussi question de titre de séjour, bien sûr, mais pas d’âge.» Le CPAS a été l’objet de multiples condamnations. Effet dissuasif garanti. «Des jeunes ont dû quitter leur appartement à Bruxelles car ils ne pouvaient pas le payer, tout simplement», affirme l’avocate. Le mot s’est répandu parmi les réfugiés mineurs: «Installez-vous n’importe où, sauf à Bruxelles». Aujourd’hui, il semblerait que le CPAS se remette en question et adapte sa pratique à ce que lui enjoint la justice. Mais c’est encore à confirmer.
Fédasil annonce «deux mesures spécifiques»
Pour faire face à la crise, Fédasil annonce la mise en place de «deux mesures spécifiques» pour désengorger le réseau d’accueil des Mena. «Nous allons proposer aux CPAS de convertir des places adultes en places mineurs», explique Hedwige De Biourge. Le montant versé par Fédasil aux CPAS pour l’accueil en ILA devrait désormais être lié à la personne accueillie et non plus à l’appellation du lieu. Le montant du remboursement étant plus élevé pour les mineurs, cela devrait inciter des CPAS à héberger des mineurs dans certaines de leurs places adultes. Fédasil table sur la création d’une centaine de places.
Deuxième «mesure» spécifique: modifier les critères de passage de la deuxième à la troisième phase d’accueil. Afin «d’éviter la frustration» des mineurs de 16 ans qui demandent un hébergement en ILA et l’attendent parfois plus d’un an, Fédasil n’octroiera désormais ses places en ILA qu’à des jeunes de plus de 17 ans, toujours en possession d’un titre de séjour.
Les jeunes de 17 ans et demi ne seront plus prioritaires. «Seront pris en compte les dates de reconnaissance d’obtention d’un titre de séjour ainsi que la date de demande de place individuelle. Notre but est de vider la liste d’attente et de limiter l’attente.» Mais vu l’écart gigantesque entre le nombre de Mena en centres d’accueil et le nombre de places en ILA, il est difficile aujourd’hui de se loger à Bruxelles: encore plus difficile pour les Mena de miser sur l’effet réel de ces mesures.
Se loger à Bruxelles: encore plus difficile pour les Mena
Les associations préviennent: «Nous nous attendons à un flux sortant de Mena sans précédent; entre 1.500 et 2.000 jeunes.» Un flux qui se dirige vers le marché locatif. «Lorsqu’ils sont mal préparés, leur parcours est alors très souvent précaire, ils sont hébergés par leur réseau, des amis, jonglent de solution temporaire en solution temporaire», détaille Rob Kaelen.
Ces jeunes prennent de plein fouet la réalité du marché du logement à Bruxelles. Le manque de places dans les logements sociaux est devenu proverbial (plus de 40.000 personnes en attente, rappellent les associations). Quant au prix des loyers sur le marché locatif ordinaire, il est généralement rédhibitoire pour des personnes qui émargent au CPAS et touchent, en tant qu’isolés, 884 euros par mois. La difficulté est plus aiguë à Bruxelles. «En général, ces Mena finissent pas trouver quelque chose, témoigne Roxanne Charles, mais il faut voir ce que c’est. Ce sont souvent des logements une pièce, pas toujours salubres, avec des douches et des toilettes sur le palier. Les seuls logements corrects pour leurs budgets, ce sont les colocations.» Et bien souvent les propriétaires n’aiment pas trop que leurs colocataires s’inscrivent à la commune en tant que personnes isolées. Avec une aide sociale de cohabitant, il devient impossible de payer un loyer.
Les propriétaires s’interrogent parfois sur la fiabilité de si jeunes gens. Sans compter les réactions méfiantes que les termes «CPAS», «réfugié» ou «migrant» peuvent parfois engendrer.
Les difficultés que rencontrent les Mena dans le parc immobilier bruxellois ne concernent évidemment pas que les Mena. Elles touchent toutes les personnes précaires. «Mais le fait d’être un mineur étranger non accompagné, ou un jeune étranger à peine majeur est une difficulté supplémentaire.» Les Mena n’ont pas le même réseau d’aide que de jeunes locaux, pas les mêmes ressources sur lesquelles s’appuyer. Et les propriétaires s’interrogent parfois sur la fiabilité de si jeunes gens. Sans compter les réactions méfiantes que les termes «CPAS», «réfugié» ou «migrant» peuvent parfois engendrer.
Pour pallier ces difficultés, les associations envisagent de mener une campagne de sensibilisation des propriétaires et réclament de pousser l’accompagnement des jeunes jusqu’à cette «quatrième phase informelle» de l’accueil: l’installation concrète dans un logement. Et selon ces associations, il y a urgence. Le pic de sorties du réseau d’accueil est attendu pour l’automne.
En savoir plus
«Logement des réfugiés: droit dans le mur?», Alter Échos n° 411, 19 octobre 2015, Martine Vandemeulebroucke.