Les places manquent pour accueillir les Mena. Les autorités fédérales et fédérées se rejettent la balle sur la responsabilité de leur prise en charge.
+ 590 %, c’est la hausse du nombre de mineurs étrangers non accompagnés (Mena) cet été par rapport à 2014. «Les demandes d’accueil ont clairement augmenté: de 2 ou 3 demandes par jour, début 2015, on est passé à près de 30 par jour en septembre», explique Katja Fournier, de la plate-forme Mineurs en exil. «On s’attend à accueillir près de 2.300 Mena contre 1.760 en 2014», poursuit-elle. Autre augmentation significative, celle de la tutelle, passée à 1.800 demandes jusqu’en août 2015, contre 1.663 l’an dernier. «À ce sujet, il y a une inquiétude, tant dans le recrutement des tuteurs qui est insuffisant que dans le retard pris dans la désignation de ceux-ci.» Puis, ce constat, celui d’un rajeunissement marqué du public: certes, la catégorie 15-17 ans reste majoritaire, mais les moins de 10 ans et la catégorie 12-14 ans continuent d’augmenter. «Avec pour corollaire, une hausse du nombre de jeunes à vulnérabilité extrême (torture, viol, etc.) et une hausse de jeunes qui ont perdu leurs parents», relève Katja Fournier.
Reste la question cruciale, celle des places. Il y a aujourd’hui près de 1.000 Mena dans les structures de Fedasil: 253 places en premier accueil, 647 places dans les centres collectifs (les «ailes Mena»), 164 en accueil individuel. «La capacité d’accueil a été augmentée récemment, notamment en créant de nouvelles structures spécifiques à Woluwe-Saint-Pierre avec 80 places, ou en activant les places de réserve dans les centres Fedasil et Croix-Rouge», explique Benoît Mansy pour Fedasil.
Beaucoup d’autres jeunes devraient bientôt s’ajouter à ce chiffre déjà important. Or, avant même l’afflux de ces dernières semaines, il était déjà difficile de trouver des solutions de prise en charge pour ces mineurs. En cause: un protocole de coopération entre le fédéral et la Fédération Wallonie-Bruxelles. Évoqué depuis cinq ans, il n’est toujours pas d’application. Le fédéral estime qu’une fois reconnus, ces mineurs relèvent des Communautés, via l’Aide à la jeunesse. Mais cette dernière ne s’aventure pas trop loin dans la prise en charge des Mena, de peur que Fedasil ne se décharge de ses responsabilités. Conséquence: l’Aide à la jeunesse rechigne bien souvent à reconnaître l’état de danger de ces jeunes. Interrogé au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Rachid Madrane a été clair: «L’accueil des Mena ne relève pas, a priori, du secteur de l’Aide à la jeunesse et des compétences de la Fédération, même si nous pouvons intervenir au cas par cas», a-t-il indiqué. «Le Service de l’Aide à la jeunesse de Bruxelles, qui est le plus souvent sollicité à propos des Mena, ne constate pas encore une augmentation notable des demandes d’aide pour ces mineurs.» Quant au protocole de collaboration, les travaux sont toujours en cours «même s’ils ont été provisoirement mis entre parenthèses en raison de la crise actuelle». «En fait, des clarifications doivent être apportées sur le rôle et les missions d’un référent Mena qui serait amené à jouer un rôle d’interface entre Fedasil, les services de tutelle et les services compétents dans les autres niveaux de pouvoir – aide à la jeunesse, enseignement, santé mentale, intégration – en fonction des problématiques rencontrées.»
Une réponse politique qui déçoit beaucoup sur le terrain. «On est dans une guerre de tranchées entre Fedasil et l’Aide à la jeunesse. Ce jeu de ping-pong rend les jeunes plus fragiles encore, d’autant que 25 % des Mena qui arrivent chez nous sont dans une situation d’extrême vulnérabilité», rappel Katja Fournier. «On craint des refus d’accueil et une situation similaire à 2012. Six cents jeunes avaient tout simplement été envoyés à la rue, sans prise en charge.»
Alter Échos n°358 du 19 avril 2013 :« Mena : la Belgique condamnée. Et après ? »
Alter Échos n°332 du 17 février 2012 : « Des Mena à la rue : des solutions naîtront-elles du froid ? »