Alter Échos: L’emploi en Wallonie, ce sont des chiffres parfois effarants: 219.000 chômeurs, mais 18.000 offres d’emploi. Un taux d’emploi de 65,9% que le gouvernement wallon veut faire passer à 68,7% en 2025. Quelle serait votre baguette magique pour atteindre cet objectif?
Raymonde Yerna: Le taux d’emploi a augmenté entre 2019 et 2024 passant de 64,6% à 65,9%. Cette tendance, on aurait aimé qu’elle soit plus forte et plus rapide, mais, vous le savez, la Belgique et la Wallonie ont dû faire face à des crises importantes (Covid, inondations, crise énergétique…). Soutenir l’augmentation du taux d’emploi est effectivement une des missions du Forem. Nous devons outiller et accompagner de manière intensive toujours plus de chercheurs d’emploi. C’est d’ailleurs l’objectif de la réforme de l’accompagnement et l’un des trois objectifs que le Forem s’est fixés pour 2024. Pour y arriver, il est essentiel d’accompagner l’ensemble des chercheurs d’emploi en leur proposant des solutions adaptées à leur situation personnelle. Une des causes du chômage en Wallonie et, paradoxalement, des pénuries de main-d’œuvre repose sur l’écart entre les compétences des chercheurs d’emploi et celles attendues par les entreprises. Il est essentiel d’élever le niveau de compétences. L’orientation et la formation tout au long de la vie sont donc fondamentales.
AÉ: Comment le Forem compte-t-il s’y prendre? Avec quels partenaires?
RY: Le Forem dispose de leviers que nous développerons encore en 2024, avec le concours de nos partenaires de l’enseignement, de la formation et de l’insertion socioprofessionnelle au travers du déploiement du réseau des Cités et Carrefours des métiers et de l’offre de formation professionnelle. En 2023, le Forem a formé 43.800 chercheurs d’emploi, dont 22.300 dans le cadre des partenariats activés par le Forem, avec les centres d’insertion socioprofessionnelle, les missions régionales, l’enseignement de promotion sociale, les partenaires privés… Plus de 5.500 chercheurs d’emploi ont également décroché un emploi suite à une formation PFI (Plan Formation Insertion) et 98 suite à une formation en entreprises «Coups de poing pénuries». Je souhaite renforcer notre ambition en la matière et j’ai donc fixé comme objectif: 10% de chercheurs d’emploi de plus formés en 2024 et le double de «Coups de poing pénuries». La priorité étant évidemment de former d’abord celles et ceux qui ont le moins de compétences et de former dans des filières porteuses d’emploi.
Une des causes du chômage en Wallonie et, paradoxalement, des pénuries de main-d’œuvre repose sur l’écart entre les compétences des chercheurs d’emploi et celles attendues par les entreprises.
Par rapport à la formation, il ne faut pas oublier qu’à côté des chercheurs d’emploi, nous avons formé près de 70.000 personnes (travailleurs, étudiants, professeurs). La formation de ces publics est aussi fondamentale quand on connaît les enjeux de la transition numérique, de la digitalisation de l’économie ainsi que les transitions énergétique et environnementale qui touchent en profondeur l’ensemble des secteurs d’activité ainsi que les métiers et les compétences recherchées.
AÉ: Quatre chômeurs sur dix en Wallonie n’ont pas leur diplôme du second degré de l’enseignement secondaire. Le Forem peut-il combler ce «trou» dans leurs compétences?
RY: Effectivement et quatre demandeurs d’emploi sur dix aussi présentent une durée d’inoccupation supérieure à deux ans. Il est donc essentiel d’accompagner plus de chercheurs d’emploi afin qu’ils ne s’enlisent pas dans la spirale du chômage. C’est pourquoi nous allons démultiplier les actions en leur faveur. Par exemple, cette année nous allons notamment augmenter de 17% le nombre de jobdays, tous secteurs confondus, et nous déployons partout en Wallonie les dispositifs «Coups de boost», qui visent la mobilisation et le coaching des jeunes les plus fragilisés, en partenariat avec les syndicats. En plus des sept autres partenariats sectoriels déjà actifs, nous venons d’entamer une collaboration renforcée avec le secteur de l’économie sociale répondant à des valeurs sociétales porteuses de sens pour une partie de nos publics…
AÉ: Le chômage de longue durée, c’est près de six chômeurs sur dix. Est-ce propre à la Wallonie?
RY: Non, cela s’observe aussi dans les autres régions du pays. C’est aussi six demandeurs d’emploi sur dix à Bruxelles et la moitié des demandeurs d’emploi en Flandre sont inoccupés depuis un an.
AÉ: Certains partis plaident pour une diminution importante, voire une suppression des allocations pour les chômeurs de longue durée. À l’inverse, des experts estiment qu’une part non négligeable de ces chômeurs sont très éloignés de l’emploi, voire qu’ils ne sont plus aptes à travailler pour différentes raisons.
RY: Le nombre de chercheurs d’emploi bénéficiaires d’allocations de chômage ou d’insertion est passé de 196.000 en 2014 à 119.000 en 2023. Le nombre de chercheurs d’emploi inscrits en tant que tels au Forem en janvier 2024 est d’un peu plus de 231.000 pour moins de 40.000 offres d’emploi disponibles sur le site du Forem. Le contrôle de la disponibilité conduit déjà à un report, une suspension, voire à une suppression des allocations pour celles et ceux qui ne recherchent pas activement de l’emploi.
Il est donc essentiel d’accompagner plus de chercheurs d’emploi afin qu’ils ne s’enlisent pas dans la spirale du chômage.
Afin de quantifier les effets de la limitation dans le temps des allocations d’insertion, le Forem a réalisé une analyse sur les personnes en fin de droit aux allocations d’insertion. Nous avons constaté que 19 % des demandeurs d’emploi ayant perdu leurs droits aux allocations d’insertion se sont inscrits au Forem (à la demande d’un CPAS). À peine 12,5 % de ces demandeurs d’emploi ont eu un retour à l’emploi dans les six mois qui ont suivi leur exclusion. Un peu plus de la moitié (53%) ont quitté la demande d’emploi sans pour autant aller à l’emploi ou à la formation. Cette limitation des allocations dans le temps entraînerait donc probablement surtout un transfert des demandeurs d’emploi vers l’aide sociale.
AÉ: Plusieurs métiers sont en pénurie. Pourquoi, selon vous, ces offres ne sont-elles pas rencontrées malgré les incitants mis en place?
RY: La dernière liste des métiers en pénurie comprend 158 fonctions critiques dont 92 métiers sont en pénurie de main-d’œuvre. De son côté, la Flandre vient de mettre à jour sa liste et celle-ci vient de gonfler de sept nouveaux métiers pour atteindre le nombre de 241 métiers en pénurie et fonctions critiques. Je ne connais pas un pays où il n’y a pas de difficultés de recrutement. Cette problématique est malheureusement mondiale, mais, comme je suis fondamentalement optimiste, nous allons activer un maximum de pistes de solutions pour réduire les pénuries de main-d’œuvre, là où nous pouvons agir pour faire se rencontrer l’offre et la demande de main-d’œuvre et de compétences. En ouvrant le champ des possibles en matière d’orientation professionnelle, en formant sur mesure, en soutenant et en conseillant les entreprises lors de leurs recrutements, en participant à la promotion des métiers et secteurs porteurs d’avenir et de sens… Nous l’avons d’ailleurs bien vu dans l’une de nos dernières études: nous avons souhaité mettre en parallèle les besoins de main-d’œuvre des différents secteurs avec les aspirations professionnelles des jeunes Wallons et Wallonnes de 5e, 6e, et 7e années de l’enseignement secondaire. L’un des messages qu’envoient les jeunes aux patrons en recherche de main-d’œuvre est que certains métiers en pénurie ont un certain pouvoir d’attraction: enseignant, médecin, infirmier, mécanicien, analyste-développeur informatique, comptable, architecte. Il faut donc travailler sur l’image de marque de ces métiers.
AÉ: C’est aussi une responsabilité des entreprises?
RY: Les entreprises et les secteurs ont un rôle clé en la matière et nous allons les soutenir. On le voit d’ailleurs dans les entreprises qui communiquent de manière moderne. Les difficultés pour attirer des candidats sont moindres parce qu’elles osent mettre sur la table un package attractif pour les candidats. Souvent composé d’un salaire intéressant et d’un CDI, mais pas uniquement: la nouvelle génération est aussi attentive à la question de la mobilité, à ce qui peut contribuer à une meilleure conciliation vie privée/vie professionnelle, aux valeurs de l’entreprise ou au leadership du chef ou de la cheffe d’entreprise…
AÉ: En Wallonie, les entreprises proposent moins de contrats à durée indéterminée qu’en Flandre. Et donc des emplois de moindre qualité. Cela n’aide pas…
RY: J’aimerais partager une phrase que mes parents me rappelaient souvent: «Tu es la première actrice de ton bonheur.» Cette phrase s’applique avec acuité au problème de la pénurie de main-d’œuvre. En Flandre, ils sont quasiment au plein emploi. On constate que 80% des offres d’emploi diffusées par les entreprises flamandes sur le site du Forem proposent un CDI. Ils se donnent les moyens d’attirer des candidats. Si on analyse les offres proposées par les entreprises wallonnes, on retrouve majoritairement des CDD et des contrats intérimaires, même si les perspectives de CDI à l’issue de l’intérim sont importantes.
On constate que 80% des offres d’emploi diffusées par les entreprises flamandes sur le site du Forem proposent un CDI.
Ils se donnent les moyens d’attirer des candidats.
Pour les entreprises qui recherchent des profils qui sont dans la liste des métiers en pénurie, cela risque d’être compliqué de trouver la perle rare. C’est d’ailleurs pour cela que les formations «Coups de poing pénurie» dans l’industrie technologique, dans la construction, dans l’industrie alimentaire rencontrent un tel succès puisque les entreprises proposent un CDI aux personnes (à minimum 80% des candidats et candidates), qui terminent avec succès la formation.