« Cela devient embêtant de le dire mais croire qu’il suffit d’un peu de bonne volonté ou d’être naturel pour faire un groupe, voire un monde plus juste,c’est comme dire à un ouvrier d’aller pisser devant la porte de son patron pour que cesse l’exploitation. » Voilà une manière de résumer lesmotivations de David Vercauteren et de ses partenaires au moment d’entamer l’écriture de cet ouvrage atypique et innovant1.
« Faire circuler des récits … »
Membres du Groupe de recherche et de formation autonome (Grefa), ils ont participé à de nombreuses actions collectives ces dernières années, telles que le CollectifSans Ticket, le Collectif Sans Nom et croisé les chemins de bien d’autres encore en Belgique et à l’étranger.
De leurs expériences, ils ont voulu laisser une trace qui puisse être utile aux groupes et collectifs existants et à venir. Au départ de leur travail de réflexionet de rédaction, il y a ce constat que la plupart de ces initiatives se « prennent les pieds » dans les mêmes problèmes : conflits de personnes, bureaucratisation,débordement des individus par la force du groupe, essoufflement, exclusions, image de soi, etc. Or, la réflexion n’étant pas rentable, peu de groupes s’autorisent deprendre le temps de réfléchir à leurs propres pratiques ; il se produit une césure entre « le geste et sa pensée, entre l’individu et sacollectivité » qui aboutit à une homogénéisation marchande des pratiques et à l’absence de transmission.
« … en vue de nourrir … »
Pour remédier à cela, David Vercauteren et ses amis ambitionnent de contribuer à l’élaboration d’une « culture des précédents »qui aborde enfin de front ce qui est systématiquement refoulé lorsque l’on se penche sur les parcours des groupes : leurs dynamiques internes. Si les outils pour analyser lesrapports de force externes, la maîtrise des agendas, existent (l’auteur les qualifie de « macropolitiques »), il s’agit ici de chercher à appréhender« sur un mode non psychologisant des problèmes comme le pouvoir, les relations, la déprime » à partir de la vie des groupes et des parcours de ceux qui y contribuent.Ou, pour reprendre encore une fois les mots de l’auteur : « s’ouvrir à un diagnostic sur ce qui entrave la possibilité d’inventer l’avenir. »Voilà énoncée l’intention d’une « micropolitique » des groupes.
Pour inviter les groupes à élaborer leurs propres récits, l’ouvrage brosse « une mosaïque de situations-problèmes que l’on peut rencontrer dansune expérience collective » et, pour chacune, propose des éléments de vigilance, des pistes et quelques artifices ou dispositifs. Présentés par ordrealphabétique (« Artifices », « Assembler », « Auto-dissolution », (…), « Evaluer », (…), « Fantômes »,(…),« Parler », « Pouvoir », « Programmer », (…), « Rôles », (…), « Souci de soi », « Subsides »,(…)), ces moments de la vie d’un groupe peuvent être appréhendés selon le chemin propre du lecteur. Il est aussi possible de suivre deux itinérairesproposés par les auteurs, selon que l’on s’intéresse à la micropolitique d’un groupe qui se forme ou à celle d’un groupe en crise.
« … de la fabrication collective »
L’objectif est bien de constituer au fur et à mesure une carte infinie qui permette à chaque expérience de se situer par rapport aux autres. Et non de constituer uncorpus théorique qui figerait le plus petit commun dénominateur de ces expériences au détriment des forces de changement que peuvent produire les agencements de leurssingularités.
On aimerait tant pouvoir mettre cet ouvrage entre les mains de certains négociateurs gouvernementaux …
En attendant, signalons que Radio Panik organisera une journée de discussion – date prévue : le 10 novembre prochain – autour de « la culture desprécédents », avec l’auteur et une série d’associations et de collectifs. Pour de plus amples renseignements : http://www.radiopanik.org
1. David Vercauteren en collaboration avec Thierry Müller et Olivier Crabbé, Micropolitiques des groupes.
Pour une écologie des pratiques collectives, HB Editions, Forcalquier 2007
– 19,50 euros
– courriel : micropolitiques@collectifs.net