Une conférence-débat sur l’immigration économique, première d’une série de trois, s’est déroulée ce 7 mars à Bruxellesà l’initiative de la Fondation Roi Baudouin1 et du Centre pour l’égalité des chances2. En débat : le modèle de migrationéconomique souhaité en Belgique et plus largement, au niveau européen.
La migration économique était au centre des débats ce 7 mars. Nullement un hasard pour qui se penche un peu sur l’actualité. D’abord, l’accord partiel del’Orange bleue à l’automne dernier, où l’on annonce que les personnes sans papiers pourraient recevoir, une fois et à titre exceptionnel, un permis de séjourtemporaire sur la base d’une offre d’emploi ferme. Ensuite, le ministre de l’Intérieur, Patrick Dewael (VLD) qui lance des discussions préparatoires autour d’unemesure du même genre pour déboucher à la mi-mars sur l’intégration de cette mesure dans les discussions de notre futur gouvernement. C’est clair, la question està l’agenda politique belge, mais pas seulement. Ainsi, la Commission européenne évoquait dernièrement l’octroi d’une carte bleue pour les migrantshautement qualifiés.
Les régularisations bientôt au menu européen
« Ne résumons pas la politique migratoire européenne à la carte bleue, proteste Jean-Louis De Brouwer, directeur Immigration de la DG Justice, Liberté etSécurité à la Commission européenne. Ce que veut mettre en place la Commission, c’est une boîte à outils bien plus fournie. » Selon Jean-Louis DeBrouwer, nous n’échapperons pas à une réflexion de fond sur la politique migratoire économique. « Il faut être réaliste, le vieillissement et ladiminution de notre population ainsi qu’une pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs nous poussent à aller chercher de la main-d’œuvre ailleurs. Ilest clair que nous ne pourrons pas continuer à délocaliser et que les inégalités économiques continueront à pousser les gens à chercher ailleursl’Eldorado. Il faut bien entendu réfléchir à cette politique migratoire, notamment avec les pays du Sud, de manière à enrayer la fuite de leurscerveaux chez nous. Il faut une politique de contrôle des frontières, une politique d’asile plus efficace et équitable, ouvrir les canaux de l’immigrationlégale, lutter contre le travail clandestin. Nous n’échapperons pas non plus à un débat sur les régularisations. La nécessité de celles-ci estpar ailleurs le symbole visible de l’échec des politiques migratoires. » Un débat sur les régularisations qui sera à l’agenda de la présidencefrançaise de l’UE au 2e semestre 2008 et, au mois d’octobre, d’un conseil des ministres qui sera spécialement consacré à la politique migratoire.
Deux modèles
Autour des modèles migratoires à privilégier, deux exemples : ceux de l’Espagne et du Canada.
L’Espagne, tout d’abord, a fortement mis l’accent sur la migration pour le travail et la régularisation de nombreux travailleurs en situation illégale, en fonctiondes besoins sur le marché du travail. Et ce, dans une concertation préalable entre le gouvernement Zapatero et les partenaires sociaux. Le contrat de travail a ainsi permis àprès de 600 000 clandestins d’être régularisés. En contrepartie, le gouvernement a mis en place une lutte plus efficace contre l’immigration clandestineet… a durci sa politique de rapatriement.
Le Canada se distingue de son côté en fixant annuellement des objectifs chiffrés à l’immigration : entre 240 000 et 260 000 personnes seront accueillies en 2008sur le sol canadien. Les migrants sont choisis en fonction du nombre de points qu’ils comptabilisent en répondant ou pas à une série de critères basés surl’âge, le diplôme, les connaissances linguistiques, etc. Le Canada met l’accent sur une « migration durable » et sur des programmes d’intégrationà la citoyenneté. Depuis 1980, les migrants accueillis dans le pays font l’objet d’études statistiques « de suivi » et les principales évolutionssont mises sur carte.
Réactions des partenaires sociaux
Les organisations patronales, FEB et Unizo, les syndicats, CSC et FGTB, ainsi que deux ONG, le CNCD et le Vlaamsminderhedencentrum, ont été appelés à réagirà ces modèles migratoires mais aussi à ce qu’ils préconisent pour la Belgique.
Chris Serroyen, chef du service d’études de la CSC juge les modèles présentés intéressants mais souhaite qu’on mette d’abord la prioritésur la libre circulation des travailleurs européens, sur les demandeurs d’emploi belges d’origine étrangère et qu’on utilise avant tout le «réservoir de main-d’œuvre » que constituent les sans-papiers qui résident chez nous. Quant à faire venir seulement les travailleurs les plus qualifiés,Chris Serroyen qualifie sans ambages une telle politique de migration de « racisme intellectuel ».
Jean-François Macours, conseiller juridique au service d’études sociales de la FGTB, semble séduit par l’approche canadienne mais demande qu’on clarifie aupréalable ce qu’on entend par pénurie si on fait venir de la main-d’œuvre pour les métiers en pénurie. Il semble en effet que du côté syndical, onn’ait pas tout à fait la même définition que du côté patronal.
De son côté, Bjorn Cuyt du service d’études d’Unizo (Union flamande des indépendants), est séduit par l’approche espagnole « àlaquelle les partenaires sociaux ont été étroitement associés » mais il attire l’attention sur le fait qu’à plus long terme, il faudra pallier auvieillissement de la population. Un avis partagé par sa collègue de la Fédération des entreprises belges, Sonja Kohnenmergen, qui plaide non seulement pour une migrationéconomique des « plus qualifiés » mais aussi des « peu qualifiés » et qui tient à rassurer la population sur une possible invasion de migrantséconomiques. « Aucun indicateur ne nous permet de penser que ce sera l’invasion puisqu’il s’agit d’une immigration contrôlée. »
Cette vision purement utilitariste des migrants irrite Benoît Van Der Meerschen, directeur du CNCD et par ailleurs président de la Ligue des droits de l’homme. Il rappelletrès judicieusement qu’on ne parle pas ici d’outils mais d’êtres humains et que la liberté de circuler reste un des droits fondamentaux de l’homme. Et des’interroger sur le fai
t qu’on parle de dialogue avec les partenaires sociaux sans y inviter ceux du Sud pourtant concernés au premier chef.
Enfin, Françoise Pissart, directrice à la Fondation Roi Baudouin constatera en conclusion une convergence de vues entre syndicats et employeurs sur le fait que la politiquemigratoire ne doit pas concerner que les plus qualifiés. Et qu’il serait nécessaire que la Belgique se dote d’un bon monitoring, sur l’exemple canadien
Deux outils intéressants
Pour appuyer cette série de débats, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme et la Fondation Roi Baudouin proposent deux publications : unsurvol des principaux chiffres et faits concernant la migration et les migrants en Belgique, ainsi qu’un inventaire des acteurs essentiels du débat migratoire pour la Belgique, avec leursprises de position récentes.
• Facts and Figures
Combien de migrants arrivent chaque année sur notre territoire ? Quels sont les pays d’origine des personnes séjournant en Belgique ? Quel est le profil des personnes qui ontacquis la nationalité belge ? Quels sont les modes de régularisation possibles pour les étrangers en séjour clandestin ? Quelle est la clé de répartition despermis de travail B selon les secteurs ? Et bien d’autres chiffres…
• Mapping des acteurs
La deuxième publication (réalisée par des chercheurs du Centre d’études de l’ethnicité et des migrations de l’ULg et du Interculturalism, Migration andMinority Research Centre de la KUL) propose un inventaire des principaux acteurs qui contribuent ou peuvent contribuer à définir une politique migratoire pour la Belgique ; elle faitaussi le point sur leurs prises de position récentes. Quel est, par exemple, le point de vue de la FGTB sur la question de la régularisation ? Que pense la FEB d’une nouvellemigration économique ? Que dit le Conseil des femmes sur l’accueil des primo-arrivants ?
Pour consulter ces publications : http://www.diversite.be
1. FRB :
– adresse : rue Brederode, 21 à 1000 Bruxelles
– contact : Françoise Pissart
– tél. : 02 511 18 40
– courriel : info@kbs-frb.be
– site : www.kbs-frb.be
2. CECLR :
– adresse : rue royale, 138 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 212 30 00
– site : www.diversite.be