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Milquet vide son Sac

Interview de Joëlle Milquet suite au vote de la loi sur les sanctions administratives communales

Le projet de loi sur les sanctions administratives communales a été voté, le 30 mai 2013, à une large majorité. Joëlle Milquet, la ministre de l’Intérieur et de l’Egalité des chances (CDH), revient sur cette loi et sur les critiques qu’elle a essuyées. En flinguant au passage les Organisations de Jeunesse et le parti Ecolo

Alter Echos : Vous sentez-vous soulagée à l’issue de ce vote sur les sanctions administratives ou un peu déçue que cette loi ait été à l’origine d’une telle polémique ?

Joëlle Milquet : Il faut prendre un peu de distance. Les grandes lignes de cette loi sur les sanctions administratives communales figuraient dans l’accord de gouvernement. Il n’y a pas eu de polémique. Seuls 10 % des parlementaires ont voté contre ce texte. Je n’ai pas vu de manifestation, mais surtout de l’agitation médiatique.

A.E. : Les organisations de jeunesse dénoncent le double discours de certains partis politiques. Peut-être partagez-vous ce constat…

J.M. : Je pourrais vous parler d’Ecolo. Ils ont menti à tout le monde. Les Ecolos ont accepté et voté la loi qui a permis de créer les Sac en 1999. Ce projet offrait bien moins de garanties, notamment pour les jeunes, que celui qui vient d’être voté. Douze ans après, pour un projet moins sécuritaire et plus pédagogique, ils viennent donner des leçons. D’un côté, ils s’offusquent du projet de loi et de l’autre, que font leurs bourgmestres ? Ils ont tous des sanctions administratives communales sévères, applicables aux mineurs, inscrites dans leurs règlements de police. Il y a de la mauvaise foi dans leurs arguments… et de la désinformation.

A.E. : Vous dîtes souvent que les bourgmestres soutiennent ce projet de loi. Pourtant, dans nos colonnes, Jacques Gobert, président de l’Union des villes et communes de Wallonie, exprimait de sévères critiques ? Il affirmait qu’avec cette loi on fait porter sur les communes le poids des échecs de certaines politiques publiques…

J.M. : Tous les bourgmestres sont venus nous demander la loi sur les Sac. Ils n’avaient que ça à la bouche. Le projet correspond à ce qu’ils demandaient, notamment sur le stationnement (NDLR les infractions relatives au stationnement sont inclues dans le champ couvert par les Sac). Quant à ce que dit monsieur Gobert, c’est une phrase qu’on entend depuis 20 ans. Un discours implorant. Aujourd’hui, tout le monde a des difficultés, tout le monde doit prendre ses responsabilités. C’est vrai qu’avec une justice plus riche ou aurait peut-être pu faire autrement, mais ce n’est pas le cas. Et sur le fond, je ne comprends pas ces objections. Tout le monde nous dit qu’il faut un signal clair dès que la première incivilité est commise, pour enrayer la délinquance. Les Sac peuvent permettre ce signal clair.

A.E. : Une des critiques souvent entendues est celle de la violation du principe de séparation des pouvoirs…

J.M. : On parle ici d’infractions aux règlements communaux. Pour les infractions mixtes (qui relèvent du champ pénal et qui figurent aussi sur la liste des Sac), c’est toujours le parquet qui garde la main. Et ça, ce n’est pas nouveau, cela figurait déjà dans la loi sur les sanctions administratives communales.

Des mobilisations… communales

Deux cent treize organisations s’étaient mobilisées pour tenter d’inverser les rapports de force au Parlement fédéral lors du vote de la loi sur les Sac. Sans succès.

C’est désormais au niveau communal que le combat se déplace. Chaque commune étant libre d’appliquer ou non les dispositions de la nouvelle loi.

A l’initiative de la plate-forme « Het-Werkt – ça marche », une lettre sera envoyée par des Organisations de jeunesse aux Conseils communaux de la zone de police « Ouest » de Bruxelles. A commencer par Molenbeek-Saint-Jean, où il est fort possible que l’on applique dès 14 ans ces sanctions administratives.

Les Organisations de jeunesse souhaitent que les Conseils communaux s’y opposent.

« Les organisations de jeunesse ont donné un drôle de message »

A.E. : Dans votre intervention à la Chambre, vous n’avez pas épargné les Organisations de jeunesse…

J.M. : J’ai le plus grand respect pour les Organisations de jeunesse et je comprends qu’elles soient émues. Les jeunes pensent que tout cela est nouveau, que nous avons inventé les Sac. Mais évidemment, ce n’est pas le cas. Outre l’abaissement de l’âge, j’ai ajouté des garanties pour les jeunes en créant une procédure parentale, en généralisant la médiation. Je rappelle qu’une prestation citoyenne pourra être effectuée par le jeune. Enfin, jamais un jeune n’aura à payer une amende. Ses parents le devront, et uniquement en dernier recours. En se mobilisant contre ces sanctions, les Organisations de jeunesse ont donné un drôle de message. Elles ont contribué à montrer les jeunes comme des auteurs d’infractions. Ce n’est pas une image réelle des jeunes. Avec cette loi, nous voulons surtout protéger les jeunes qui sont des victimes. Les jeunes, dans leur immense majorité, veulent le respect des règles, veulent que les espaces publics soient propres, que leur environnement soit respecté. On voudrait me faire croire que les jeunes ne seraient pas d’accord qu’il y ait une réponse aux fléaux qu’ils dénoncent ?

A.E. : Vu l’élargissement du champ d’application des Sac, y aura-t-il des transferts financiers vers les communes pour qu’elles s’acquittent de leurs nouvelles missions ?

J.M. : Trente-huit millions d’euros seront disponibles via les contrats de sécurité et de prévention. Les communes pourront déposer, dans ce cadre-là, des projets en lien avec les Sac. Pour la médiation par exemple. Autre moyen de financement : les nouvelles recettes que vont générer les Sac. Par exemple grâce au volet « stationnement » de la loi. C’est un système qui s’autoalimente et dont les recettes pourront aussi permettre de financer des projets de prévention.

A.E. : Des plates-formes de concertation locales « jeunesse » devront être impliquées concernant la mise en place des Sac pour les mineurs (amendement Tuybens, Spa). Mais les organes consultatifs de jeunesse ne sont pas généralisés du côté francophone…

J.M. : C’est à madame Huytebroeck (ministre bruxelloise de la Jeunesse) de voir ce qu’il y a lieu de faire. Mais au niveau communal, si on souhaite consulter les jeunes, on sait comment faire.

A.E. : Une dernière question concernant l’abaissement de l’âge. Est-ce vrai que l’application des Sac aux mineurs de plus de 16 ans n’a jamais été évaluée ?

J.M. : Dans la mesure où tous les bourgmestres demandaient de renforcer le dispositif, c’est certainement qu’il est efficace. Mais qu’on se rassure, maintenant l’application des Sac sera régulièrement évaluée. Je tiens tout de même à rappeler que dans la loi de 1965 sur la protection de la jeunesse, il existe des sanctions administratives applicables dès 14 ans. Des interdictions de stade sont possibles. Je n’ai jamais entendu quelqu’un s’en plaindre.

A.E. : Y a-t-il selon vous une limite d’âge ? Si, demain, les bourgmestres réclament que l’on applique les sanctions administratives dès 12 ans…

J.M. : Quatorze ans est une limite et il n’a jamais été question de descendre en dessous. Quatorze ans, ce n’est pas 12 ans. A 14 ans, on a tout de même assez de discernement. Je tiens enfin à rappeler que ce n’est pas mon parti qui a demandé l’abaissement de l’âge. Cela ne figurait pas dans le programme du CDH. Avec cette loi, j’ai appliqué l’accord de gouvernement.

A.E. : Enfin, les détracteurs des Sac dénoncent la violation du principe d’égalité devant la loi…

J.M. : Si on part de ce principe, alors toute la Belgique est en dehors de la loi. Dès qu’on donne des autonomies de pouvoir, alors, par définition, vous n’avez pas les mêmes règles.

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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