Dès la note sur la politique en matière d’intégration, rédigée par la N-VA, pendant les négociations pour la formation d’un gouvernement régional, le ton était donné, et avec lui le sort du Minderhedenforum certainement scellé. Depuis bientôt 20 ans, cet organe participatif est le relais des communautés immigrées auprès des autorités flamandes et rassemble une quinzaine d’associations ethnoculturelles (turques, congolaises, marocaines, roms, etc.). Ce porte-voix officiel des minorités s’était montré très critique sur cette note qui rendait plus difficile l’intégration des nouveaux arrivants. Et il n’a pas fallu attendre longtemps après la mise en place du gouvernement, rassemblant N-VA, CD&V et Open VLD, pour que la disparition du Forum soit très vite actée. Dans son accord de coalition, l’exécutif souhaitait en effet que «les initiatives qui se basent sur l’origine ethnique et culturelle et favorisent la ségrégation ne soient plus subventionnées par le gouvernement».
Avec un tempo parfait puisque l’accord entre ce dernier et l’organisation expire en 2020. Sauf surprise, il ne sera pas prolongé. «À moins que le Forum change de formule et de vision, précisait toutefois le libéral Bart Somers, ministre flamand des Affaires intérieures. Au lieu d’être une coupole d’associations communautaires, ce nouvel organe devra être composé de différents acteurs (experts, entreprises, citoyens, associations…) qui organisent et soutiennent des activités de participation politique des personnes d’origine étrangère». «Il faut réinventer la citoyenneté», affirmait-il encore dans De Standaard1, visant explicitement le Forum. «Sont-ils une valeur ajoutée ou un frein au vivre-ensemble? Est-ce que cela verrouille ou libère? Prenez le Forum des minorités, il y a des gens formidables qui y sont actifs. Mais avons-nous besoin d’un instrument avec des personnes qui représentent leur communauté ou avons-nous besoin d’une expertise sur l’émancipation, sur la sortie de cette communauté?» La question était laissée en suspens, alors que Malines, ville dont Somers a été bourgmestre pendant des années, s’apprête à accueillir un institut Hannah Arendt, censé réfléchir sur la citoyenneté et la diversité en Flandre. Un simple hasard?
«Il reste du travail à faire pour que chacun puisse participer pleinement à la société, quelle que soit son origine. Chaque année, la Belgique se retrouve en dernière position dans les statistiques en ce qui concerne la fracture ethnique.» Minderhedenforum
Sans équivalent en Belgique
Pourtant, le Forum des minorités reste un organe sans équivalent dans notre pays, en apportant un travail d’analyse et de plaidoyer dans divers domaines: emploi, enseignement, logement, santé… Comme le dit le Forum dans son dernier rapport d’activité, «il reste du travail à faire pour que chacun puisse participer pleinement à la société, quelle que soit son origine. Chaque année, la Belgique se retrouve en dernière position dans les statistiques en ce qui concerne la fracture ethnique2». C’est dans ce contexte peu glorieux que le Forum des minorités a tenté de développer différents types d’actions et de sensibiliser l’opinion publique ces dernières années. Sur le marché de l’emploi par exemple, en réclamant la mise en place systématique de tests de situation (ou testing) et des ‘mystery calls’, ou encore en souhaitant l’obligation pour les entreprises de mettre en œuvre une politique de diversité, avec des objectifs clairs, des mécanismes de contrôle et des sanctions si besoin, le tout fixé par le gouvernement. En matière de médias, le Forum collabore avec la VRT pour favoriser la présence à l’antenne de personnes issues des minorités, ou encore pour veiller au traitement de l’information concernant les différentes communautés. Au niveau éducatif, il fait partie du Conseil flamand de l’éducation, ce qui a permis aux réseaux éducatifs de réfléchir davantage à la diversité, notamment en ce qui concerne le multilinguisme, la formation des enseignants ou encore la communication avec les parents d’origine immigrée.
Construire des ponts
À la tête du Forum depuis 2017, on retrouve Landry Mawungu, un trentenaire bruxellois. Né en 1989, ce passionné de rap français a étudié la sociologie et la politique internationale comparée à la KUL, avant de travailler dans diverses ONG comme Oxfam. Son parcours est emblématique du Forum dont la volonté est d’être le creuset d’une société multiculturelle avec tous ceux qui ont envie de travailler à un avenir commun. Ses proches le présentent volontiers comme un «constructeur de ponts». «C’est probablement à cause de tous les différents contextes dans lesquels j’ai vécu. Fils d’une mère wallonne et d’un père congolais à Tubize, j’ai grandi juste en dessous de la frontière linguistique, au milieu de toutes sortes de cultures. Quand j’avais 9 ans, nous avons déménagé à Herne, dans le Pajottenland, et, du coup, j’étais le seul francophone là-bas. Avec une couleur en plus», témoignait-il dans un entretien à Knack3.
«Nous ne pouvons nous permettre de décliner; au contraire, nous devons aller de l’avant. En 2020, votre origine ne devrait pas déterminer votre avenir. C’est pourquoi nous continuons à nous engager pour une société inclusive sans racisme, sans discrimination, dans laquelle chacun, quelle que soit son origine, se sente chez lui. Et nous avons bon espoir… De nombreuses organisations, entreprises, administrations et citoyens aspirent au même objectif.» Landry Mawungu, directeur du Minderhedenforum
Ces dernières années ont été plus que mouvementées, reconnaissait le directeur du Forum, avec la recrudescence d’un discours raciste et populiste. «Garder le silence sur le racisme, c’est consentir, ajoutait-il dans un autre entretien4. Surtout maintenant que des enseignants ont remarqué que des jeunes défendent des organisations telles que Schild en Vrienden et remettent même en cause l’Holocauste.» Landry Mawungu appelait aussi à la clarté sur la société que nous voulons. «Le racisme n’est pas relatif et il a un impact négatif sur bon nombre de vies. Il fait obstacle à une société dans laquelle tous peuvent participer sur un pied d’égalité.» En pleine crise sanitaire, le directeur du Forum le comparait à une «maladie sociétale», expliquant que les décideurs politiques et l’opinion publique ont trop souvent tendance à le minimiser5.
Face à la menace d’une disparition, les équipes du Forum travaillent sur une nouvelle formule, plus en phase avec le canon souhaité par l’exécutif flamand, raison pour laquelle elles n’ont pas souhaité répondre à nos questions, sans doute pour ne vexer personne en s’adressant à un média francophone et sur un sujet ô combien brûlant. «Nous ne pouvons nous permettre de décliner, au contraire, nous devons aller de l’avant. En 2020, votre origine ne devrait pas déterminer votre avenir. C’est pourquoi nous continuons à nous engager pour une société inclusive sans racisme, sans discrimination, dans laquelle chacun, quelle que soit son origine, se sente chez lui. Et nous avons bon espoir… De nombreuses organisations, entreprises, administrations et citoyens aspirent au même objectif», affirmait d’ailleurs Landry Mawungu dans le dernier rapport du Forum. Comme un pied de nez à ceux qui voudraient faire taire le porte-voix des minorités.
(1) «We moeten het burgerschap heruitvinden», De Standaard, 27 mai 2020.
(2) Jaarverslag 2019, https://www.minderhedenforum.be/wat-doen-wij/archief-projecten-jaarverslagen
(3) Landry Mawungu, directeur van het Minderhedenforum: «Er is geen wereldje dat me vreemd is», Knack, 3 juin 2020.
(4) Landry Mawungu (Minderhedenforum): «In Brussel ben ik nooit een vreemde eend in de bijt», Knack, 19 mars 2019.
(5) Racisme: van endemie naar pandemie?, MO, 21 mars 2020.