A la suite de l’annonce du plan d’action pour les mineurs en danger, l’interfédération de l’aide à la jeunesse et le cabinet d’Evelyne Huytebroeck sont presque arrivésà un accord. Parmi les mesures décidées : les services d’aide et d’intervention éducative (SAIE) devraient augmenter leur nombre de situations prises en charge sanscompensation de personnel. Une mesure qui divise.
On négocie sévère depuis quelques mois. En janvier dernier, Evelyne Huytebroeck (Ecolo), ministre de l’Aide à la jeunesse1, présentait son pland’action pour les mineurs en danger. On se souvient du tableau qui nous était présenté : des services engorgés, des listes d’attente longues comme le bras rendantl’espoir d’une prise en charge rapide assez utopique (Voir « Mineursen danger, plan d’action pour secteur en danger« , dans Alter échos n°308 ). Pour enrayer cette spirale, la ministre avait dévoilé son plan : 500 prises encharge supplémentaires d’ici 2014 et 3 millions d’euros sur la table. Autrement dit : il faut faire beaucoup avec un peu de moyens.
La ministre ne souhaitait pas créer de nouveaux services. L’objectif était donc d’augmenter les prises en charge dans les services généralistes résidentiels (lesfamilles d’accueil ou les services d’accueil et d’aide éducative, en gros les « homes »), comme non résidentiels (centres d’orientation éducative et SAIE).Depuis lors, cabinet et interfédération de l’Aide à la jeunesse représentant les patrons du secteur tentent de trouver un accord sur les modalités d’application dece plan. A l’heure du bouclage, les discussions patinent (voir encadré), mais un accord global a été trouvé, dont les caractéristiques principales ne sont pasremises en cause par les parties en présence. Dans cet accord, on découvre qu’un effort particulier est demandé aux SAIE : ils devront suivre davantage de jeunes sanspersonnel supplémentaire.
Le contenu de l’accord
Même si les négociations sont bloquées – la demande d’augmentation salariale pour les directeurs des services privés de l’Aide à la jeunesse constitueraitune pierre d’achoppement – l’interfédération de l’Aide à la jeunesse et le cabinet de la ministre Evelyne Huytebroeck ont trouvé un accord sur l’augmentation desprises en charge dans les SAIE.
A l’heure actuelle, les SAIE peuvent prendre en charge de douze à vingt-quatre « situations ». Pour douze situations, le service est agréé pour cinqéquivalents temps plein.
A la suite de l’accord, les SAIE qui suivent de douze à dix-sept situations devront assumer une prise en charge supplémentaire. Ceux qui en assument de dix-huit à vingt-deuxseront responsables de deux situations en plus. Enfin, les SAIE les plus gros, ceux qui suivent de vingt-trois à vingt-quatre situations, seront chargés d’en accueillir trois deplus.
Cette augmentation concernera tous les SAIE. Elle sera obligatoire et ne sera pas compensée par du personnel supplémentaire. Tous les frais de fonctionnement liés àcette augmentation seront couverts.
Ensuite, une deuxième option s’ouvrira aux SAIE volontaires. Ceux qui acceptent de prendre en charge encore trois situations de plus pourront bénéficier du financement d’untravailleur à mi-temps. Quinze services seront concernés. Les postulants devront répondre à un appel à projets.
Un accord qui divise le secteur
L’interfédération2 a contribué, en concertation, à l’élaboration de cette proposition. Jean-Paul Rossius, son président, justifie cetteposition : « Nous avons reproché à la ministre sa décision un peu précipitée, avec une concertation tardive. Mais la réalité, c’estqu’il faut augmenter le nombre de prises en charge car les délais d’attente sont trop longs. Nous voulons bien faire un effort, mais avec des compensations. Et il y en aura, notamment en cequi concerne les frais de fonctionnement. De plus, la deuxième phase, sur base volontaire, est importante car elle permet d’obtenir un mi-temps en plus. Ceci étant, certains SAIEdisent qu’ils n’y arriveront pas. » Le Traversier3, à Nivelles, est de ceux-là. Sa directrice, Kathleen Van Heyste regrette que « la compensation nesoit pas bonne, c’est le strict minimum. Avec cette augmentation du nombre de prises en charge, il y aura une baisse de la qualité de notre travail. » On sent une certaine amertumes’emparer d’elle : « Je suis fâchée contre l’interfédération qui n’a pas tenu compte de tous les avis. Si les SAIE acceptent une charge de travailsupplémentaire sans réelle compensation, jusqu’où çela va-t-il aller ? Rien n’empêchera la ministre de faire ça avec d’autres services. » Un avispartagé par la fédération laïque Ance4 qui accueille en son sein certains SAIE. Pascal Iacono, administrateur, regrette « qu’il n’y ait pas eud’analyse qualitative sérieuse avant de prendre la mesure. On nous dit que certains SAIE travaillent à 120 % de leur capacité. Donc tout le monde pourrait le faire. Maisdans la réalité, quand il y a beaucoup d’investissement dans le milieu de vie, ça prend beaucoup de temps et d’énergie. » Un argument que l’on entendçà et là. Pour résumer, certains SAIE dépasseraient les 100 % de prises en charge car, au lieu de travailler intensivement dans le milieu de vie, ils feraientse déplacer les jeunes vers eux, contrairement à leur mission de base. Les mauvaises pratiques auraient donc servi d’exemple à suivre pour le cabinet. Alain Lising, conseiller dela ministre de l’Aide à la jeunesse sur ces matières, s’insurge face à cette interprétation : « Presque tous les services tournent à 100 %. Lefait d’assurer une prise en charge supplémentaire nous semble simplement être une charge de travail raisonnable. »
Qui travaille plus que qui ?
Pourquoi demander aux SAIE de faire cet effort et pas aux autres services ? Certains acteurs ont un point de vue arrêté sur la question, qui nécessite une plongée dansl’histoire du secteur. Pour Olivier Pirard, directeur d’un SIIF (voir encadré), « les SAIE ont été créés en 1999, alors que l’on supprimait des placesd’hébergement. L’idée était de moins « placer » et de davantage suivre les jeunes dans leur milieu de vie, ce qui est une mission des SAIE. En gros, onoffrait une porte de sortie au personnel des structures d’hébergement en leur proposant de travailler en SAIE. On a créé quelque chose de novateur avec des gens qui venaient del’hébergement. Pour faire avaler la pilule, on leur a proposé des conditions assez favorables avec peu de prises en charge
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rave; assumer. » Une version que corroborel’interfédération, tout en la nuançant, par la voix de son président : « En ’99, beaucoup de services résidentiels sont devenus SAIE. La crainte despolitiques était qu’il y ait peu de candidats alors j’ai l’impression qu’on leur a proposé des normes, disons, attractives. Mais je ne sais pas si c’est vrai »,préfère-t-il corriger. Inutile de dire que cette version des faits recueille des réactions plutôt froides de la part des SAIE que nous avons contactés.
SIIF et SAIE : prises en charge et missions
Les SIIF prennent douze mineurs en charge pour quatre équivalents temps plein. Ils ont l’obligation de passer cinq heures par semaine dans le milieu de vie, pour chaque cas. Ils proposentune intervention éducative intensive à domicile dans des situations de négligence ou de maltraitance d’enfants de zéro à six ans.
Les SAIE prennent douze situations (dont des fratries) en charge pour cinq équivalents temps plein. Pas d’obligation précise concernant le temps passé dans le milieu de vie.Ils apportent aux jeunes et à leur famille une aide éducative dans le milieu familial de vie ou en logement autonome.
Au cabinet d’Evelyne Huytebroeck, on ne s’attarde pas trop sur les considérations historiques. Alain Lising préfère justifier le choix d’une augmentation des prises en chargepar une tentative d’objectivation de la situation. « On est parti d’une série de services dont la mission est d’intervenir intensivement. On s’est rendu compte que si on adaptait lanorme d’encadrement des SAIE à celle des SIIF, cela permettrait d’augmenter le nombre de prises en charge des SAIE. Pour des missions assez proches, avec le même personnel, ils sontcapables de faire plus. » Attention néanmoins à ne pas comparer des pommes et des poires, préviennent certains acteurs, comme Pascal Iacono de l’Ance, « enSIIF, une prise en charge, c’est un jeune alors qu’en SAIE une prise en charge peut couvrir jusqu’à trois jeunes en cas de fratrie. » Un argument recevable aux yeux d’Alain Lising,« mais, dit-il, dans la réalité, les chiffres prouvent que la plupart des situations suivies en SAIE sont des situations individuelles. »
L’instant des six SIIF
En avril dernier, la ministre de l’Aide à la jeunesse, Evelyne Huytebroeck, l’annonçait (Voir « Aide à la jeunesse : des gagnants des perdants« , dans Alteréchos n°314) : les services d’intervention intensive en famille (SIIF) allaient être pérennisés. Ces « projets expérimentaux » furentlancés en 2009 par la précédente ministre, Catherine Fonck (CDH), afin d’apporter une aide éducative intensive, dans le milieu de vie de très jeunes enfants (dezéro à six ans) en cas de négligence, voire de maltraitance.
Mais cette pérennisation était conditionnée : les SIIF devaient intégrer les équipes des services d’aide et d’intervention éducative, dont lesmissions sont assez proches.
Quelques mois plus tard, les discussions sur les modalités de ce changement s’enlisent. Les SIIF rechignent à quitter leur giron – ils sont en généralintégrés au sein d’asbl qui dépendent de différentes institutions – une intercommunale ou la Région wallonne, par exemple – pour en gagner un autre.
De nombreuses difficultés pratiques apparaissent. Olivier Pirard, directeur du SIIF L’Échalier5 à Amay en esquisse une liste : « La fusion estcensée s’appuyer sur une volonté des SAIE mais, dans certaines régions, les SAIE ne proposent pas de nous accueillir. Dans d’autres, les équipes vont devoir quitter leuremployeur, ce qui n’est pas toujours évident. Surtout que les pouvoirs organisateurs ne sont pas toujours les mêmes. Il y a une crainte de perte au niveau financier. »
Pour exprimer leur position, et donc pour « demander que la fusion n’ait pas lieu », dit Olivier Pirard, les SIIF ont rédigé une lettre à l’attention dela ministre. Cette dernière les recevra en septembre.
Au cabinet d’Evelyne Huytebroeck, on réaffirme le principe : « A priori, le projet n’a pas changé, nous souhaitons l’intégration des SIIF au sein des SAIE.Mais il faut prendre du temps pour l’organiser. Les SIIF mettent en avant une série de difficultés dont nous discuterons en septembre. »
SAIE : une pièce du puzzle
Les SAIE ne sont que quelques pièces du puzzle de l’Aide à la jeunesse et du plan d’action pour les mineurs en danger. Le cabinet de la ministre explique notamment que leurs missionsseront amenées à changer. Les liens avec les services d’hébergement (SAAE) devront être renforcés. Jusqu’à présent, les SAAE travaillaient à laréintégration familiale pendant un an maximum. Lorsqu’un jeune quitte une institution, c’est l’équipe du SAAE qui l’accompagne vers la sortie et l’aide à la transition, auretour en famille. Ce qui est amené à changer. Si l’aide à la réintégration familiale dure plus de six mois, ce sont les SAIE qui prendraient le relais. Selon AlainLising, « cela permettrait de libérer des places en hébergement. Car lorsque le jeune est suivi par le SAAE lors de sa réintégration familiale, son lit estconservé – vide – dans l’institution ». Là encore, il s’agit d’une mesure qui ne fait pas l’unanimité, notamment chez les syndicats du non- marchand, dont laCNE qui regrette que cet accord global ne se décide « qu’avec les employeurs ». La secrétaire nationale de la CNE pour le non-marchand6, Patricia Piette, arguequ’il faut « prendre tout l’accord en considération et pas seulement les SAIE. Avec ce changement de mission, on dit aux SAAE « vous n’êtes bons que pour l’hébergement ». Deplus, on demande aussi aux SAAE d’assumer plus de prises en charge. Les travailleurs pensent qu’ils ne pourront pas les absorber. »
Un accord vaste et complexe visant à augmenter le nombre de prises en charge pour les mineurs en danger. Une mesure qui s’impose au vu des longs délais d’attente. Même sicertains s’interrogent sur le bien-fondé de cette orientation. C’est par exemple le cas de Jean-Pierre Degand, directeur du SAIE Les Bourgeons7 : « Si on n’agit que surl’offre de services et pas sur la manière dont sont traitées les demandes, alors la réflexion est parcellaire. J’ai toujours en tête la réflexion sur les IPPJ : pluson ouvre de places, plus elles sont pleines, plus on demande de places. »
1. Cabinet d’Evelyne Huytebroeck:
– adresse : place Surlet de Choquier, 15-17 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 227
32 11
–
site : http://evelyne.huytebroeck.be
2. Interfédération de l’Aide à la jeunesse, :
– adresse : chaussée de Boendael, 6 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 648 69 16
– courriel : interaaj@gmail.com
3. Le Traversier :
– adresse : rue Cheval Godet 34 à 1400 Nivelles
– tél. : 067 84 49 10
– courriel : traversier@scarlet.be
4. Association nationale des communautés éducatives :
– adresse : avenue de Stalingrad, 54 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 513 17 24
5. L’Échalier, :
– adresse : place Adolphe Grégoire, 3 à 4540 Amay
– tél. : 085 85 52 32
– courriel : siiflechalier@hotmail.com
6. CNE non-marchand :
– adresse : avenue Robert Schuman 52 à 1400 Nivelles
– tél. : 067 88 91 91
7. Les Bourgeons :
– adresse : boulevard Fulgence Masson, 4 à 7000 Mons
– tél. : 065 31 70 38
– courriel : lesbourgeons.asbl@skynet.be