La mixité sociale est l’un des objectifs majeurs de la réforme du logement public wallon. Élargir l’accès au logement public tout en renflouant les caisses des sociétés de logement, l’opération semble gagnante à tous les niveaux. Pourtant, la mixité sociale ne suscite pas l’engouement de tous, tant par rapport à son application concrète que par rapport à la philosophie qu’elle recouvre.
Ne dites plus «logement social» en Wallonie mais logement public. Le ministre wallon en charge du Logement, Paul Furlan (PS), a décidé de rassembler dans une seule catégorie l’ensemble des logements gérés par les sociétés de logement (logements sociaux, moyens, à loyer d’équilibre). Cette mesure fait partie de la réforme du logement public adoptée en première lecture cet été (et dont l’entrée en vigueur est prévue pour 2017).
Le but de la manœuvre selon le communiqué du ministre est de «simplifier et rendre plus efficace l’approche du secteur (exemple en supprimant les dérogations nécessaires pour changer simplement de logement sur le même territoire)». Le ministre entend aussi «augmenter la mixité et revenir à la philosophie première de quartiers d’habitations pour éviter l’effet ghetto». Il avait annoncé dès son arrivée dans le gouvernement wallon sa volonté de mener un grand chantier dans le logement public. «Ma philosophie, c’est de rétablir de la mixité sociale à l’intérieur des sociétés de logement», défendait-il dans nos colonnes en février 2015 (Paul Furlan: «Remettre du bon sens dans l’organisation du logement public», Alter Échos, n°396, 3 février 2015). Le ministre wallon du Logement soulignait les dérives du système actuel, évoquant en premier lieu «la ghettoïsation»: «On a concentré la pauvreté dans les sociétés de logement de services publics (SLSP). De 80 à 85% des gens qui y vivent sont des inactifs. Avec tous les problèmes qui en découlent, notamment le manque de cohésion sociale. De plus, ces logements ne sont pas répartis de manière égale en Wallonie, ce qui accentue la concentration de la pauvreté. Cette situation génère un problème de recettes. Les SLSP ne sont plus à même d’entretenir leur patrimoine et doivent constamment demander des subsides régionaux, avec des procédures lourdes.»
Ce changement sémantique dans la réforme du logement public s’accompagne d’une mesure concrète: l’augmentation du plafond de revenus. Dès 2017, un logement public pourra être accessible pour des revenus jusqu’à 56.900 euros pour un isolé et 69.400 euros pour un ménage. Aujourd’hui, les revenus ne doivent pas dépasser 42.400 euros pour une personne isolée et 51.300 euros pour un ménage (chiffres SWL, 2015), soit une augmentation d’environ 10%. Les communes qui fournissent le plus d’efforts en faveur du logement public seront autorisées à attribuer davantage de logements à des revenus moyens. En outre, la réforme prévoit aussi que des propriétaires (âgés, par exemple) pourront accéder au logement public, à condition qu’ils mettent leur bien – devenu trop grand ou inadapté – en gestion auprès d’un opérateur immobilier public (SLSP, AIS, etc.). Assurer la mixité sociale tout en renflouant les caisses des sociétés de logement, tel est l’objectif du ministre. Mais tout le monde en sort-il gagnant?
Selon Mathieu Van Criekingen, chercheur au laboratoire de géographie humaine de l’Université libre de Bruxelles, il faut s’interroger sur le terme de «mixité sociale». «Tout le monde semble être pour la mixité. Mais que représente-t-elle concrètement? Qui dit que la concentration de pauvres sur un territoire géographique, ce qu’on appelle un ‘ghetto’, n’est pas bon pour les pauvres eux-mêmes? On peut noter une série de facteurs qui témoignent que cela peut être bénéfique, notamment en termes de tissu commercial mais aussi en termes d’entraide et de solidarité…» Selon lui, derrière l’idée de mixité sociale, se cache un mythe, celui de croire que la réduction de la distance spatiale réduit la distance sociale. «La mixité se fait souvent dans un sens. Ce sont les ‘riches’ qui vont vers les ‘pauvres’. Il y a l’idée que les pauvres, stigmatisés notamment pour leur inactivité, vont s’élever socialement. Or, ça peut produire des tensions, des rejets et des évictions.»
L’augmentation des plafonds ne fait pas tout
Même si le ministre insiste sur l’aspect humain de sa réforme, cette mesure s’inscrit dans une logique budgétaire, dans l’objectif de renflouer les caisses des sociétés de logement avec des loyers plus onéreux. Un dispositif efficace?
L’Union des villes et des communes de Wallonie (UVCW) plaide de longue date pour une ouverture plus large des logements publics aux revenus moyens, pour répondre notamment à la paupérisation croissante des ménages qui creuse le déficit financier des sociétés de logement. «Cette réforme pose la question du type de locataires qu’on peut accueillir au sein du logement mais aussi du type d’attribution que l’on peut faire. En augmentant les plafonds de revenus, on aura plus de personnes, mais quel logement va-t-on leur donner et où?», commente Thibault Ceder, conseiller à l’UVCW. S’il salue l’avancée intéressante de cette réforme, notamment l’accès des propriétaires privés à condition de donner leur logement à une AIS, il émet un doute quant au pourcentage de logements dévolus aux revenus moins modestes. «Il varie entre 3 et 14%… On plaide pour 20%. Le but n’est pas d’accueillir plus de personnes dans les logements moyens mais d’apporter du capital afin de rénover le parc de logements», rappelle-t-il. Mais les candidats aux revenus «moyens» seront-ils nombreux? La situation actuelle ne semble pas aller dans ce sens. «Les logements moyens attribués dans certains quartiers ne sont pas fort prisés en raison de leur mauvaise réputation», observe Jérôme Trigaux, assistant social à l’association Comme chez nous et membre du comité d’attribution de La Sambrienne. Selon lui, «l’augmentation du plafond est une bonne chose mais elle exigera un certain temps pour être effective…». Thibault Ceder rappelle qu’il est nécessaire de redorer l’image du logement public et que «cela ne passera pas seulement par un changement de nom mais pas une communication plus large…».
Relever les plafonds d’accès pourrait, à long terme en tout cas, augmenter la demande. Sachant que la liste des personnes qui attendent un logement public est déjà longue, environ 35.000, l’offre suivra-t-elle? Les communes peinent déjà à remplir leur obligation d’avoir 10% de logements publics (une quarantaine de communes, sur 262, atteignent ce pourcentage). «L’augmentation du plafond de revenus ne va tout résoudre. Il doit y avoir un effort de financement complémentaire», plaide l’UVCW. C’est aussi le point de vue du Conseil économique et social de Wallonie. Dans son avis rendu en septembre dernier, il plaide pour «mettre en place des mécanismes alternatifs comme le développement d’un cadre favorable pour la mise sur le marché de logements ‘modestes’ par le secteur privé (procédures simplifiées, incitants fiscaux…); une réforme équilibrée de la fiscalité immobilière en vue de dégager de nouveaux moyens et d’encourager les travaux d’amélioration et de rénovation (notamment énergétique) des logements».
Pour répondre en partie au manque de logements, la réforme du logement a prévu un volet de lutte contre l’inoccupation, à travers des procédures plus simples et plus rapides. Le gouvernement devrait également mettre en place un Fonds d’investissement du logement et mobilisera l’épargne privée au profit du logement public.
«Tivoli, quartier durable ou clivant?», Alter Echos n°426, juin 2016, Rafal Naczyk